Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCXCI

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 592-593).

CHAPITRE CCXCI.


Comment messire Louis de Sancerre se partit de Puirenon atout ton gain et ses prisonniers, quand il sçut la venue de messire Jean Chandos et se retraist à la Roche de Pousoy.


Ainsi que messire Jean Chandos et sa route chevauchoient efforcément, certaines nouvelles en vinrent au Puirenon entre les François qui continuellement avoit assailli dès le point du jour jusques à midi, et leur dirent leurs espies qu’ils avoient toujours sur les champs. « Chers seigneurs, avisez-vous ; car messire Jean Chandos est parti de Poitiers à deux cents lances, et s’en vient de celle part à grand exploit et à grand désir qu’il vous puisse trouver. » Quand messire Louis de Sancerre, messire Jean de Vienne, messire Jean de Beuil et les autres qui là étoient entendirent ces nouvelles, ils dirent ainsi là entr’eux, les plus avisés : « Nos gens sont lassés et travaillés d’assaillir et de rioter à ces Anglois huy et hier ; si vaut mieux que tout bellement nous nous mettons au retour, et à sauveté notre gain et nos prisonniers, que ce que nous attendons ci la venue de messire Jean Chandos et sa route, qui sont frais et tous nouveaux ; car plus y pourrions perdre que gagner. » Ce conseil fut tenu et tantôt cru ; car il n’y convenoit point un long séjour : si firent les seigneurs sonner leurs trompettes de retraite. Adonc se retrairent toutes leurs gens, et se recueillirent et mirent au chemin pour revenir devers la Roche de Pousoy. Le comte de Pennebroch et les autres compagnons, qui virent cette retraite, connurent tantôt que les François avoient ouï nouvelles. Si dirent entr’eux : « Pour vérité, Chandos chevauche ; pour ce se sont retraits ces François qui ne l’osent attendre ; or tôt, tôt ! partons de ci, retraions-nous vers Poitiers et nous l’encontrerons. » Donc se montèrent à cheval ceux qui chevaux avoient, et qui point n’en avoit, il alloit tout à pied, et les plusieurs montèrent les deux sur un cheval. Si se départirent du Puirenon et prirent le chemin de Poitiers ; et n’étoient mie arrière de la maison, si vaillamment s’étoient tenus, une lieue, quand ils encontrèrent messire Jean Chandos et toute sa route, en tel état que je vous ai dit, les aucuns à pied, et les autres deux sur un cheval. Si se firent là grandes reconnoissances et grands approchemens d’amour, et dit messire Jean Chandos qu’il étoit moult courroucé quand il n’étoit là venu à temps, pourquoi il eût trouvé les François. Si chevauchèrent ainsi en parlant et janglant, environ trois lieues, et puis prirent congé les uns des autres. Si retourna messire Jean Chandos à Poitiers, et monseigneur le comte de Pennebroch à Mortaigne sur mer dont il s’étoit premièrement parti ; et les maréchaux de France et leurs gens retournèrent à la Roche de Posoy et là se refreschirent et départirent leur butin ; et puis se retrairent chacun en sa garnison et emmenèrent leurs prisonniers. Si les rançonnèrent courtoisement quand ils vouldrent, ainsi que Anglois et François ont toujours fait l’un l’autre.

Or retournerons à l’assemblée de Tournehen, et parlerons de la mort de la plus gentil roine, plus large ni plus courtoise que oncques régna en son temps : ce fut madame Philippe de Hainaut, roine d’Angleterre et d’Irlande. Dieu lui pardoint et à tous autres !