Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCXXIX

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 627-628).

CHAPITRE CCCXXIX.


Comment le duc de Lancastre prit les quatre chevaliers de Montpaon et leurs gens à rançon, et prit la saisine de la ville.


Si comme je vous ai ci-dessus dit, il y avoit tous les jours assaut à Montpaon ; et trop bien les chevaliers qui dedans étoient se défendoient, et y acquirent haute honneur ; car jusques adonc que on leur fit renverser un pan de leur mur, ils ne se effrayèrent. Mais je vous dis que les Anglois ordonnèrent manteaux[1] et atournements d’assauts quand ils purent approcher, parmi les fossés remplis jusques aux murs ; et là avoit brigands et gens pavoisés bien et fort, qui portoient grands pics de fer, par quoi ils piquèrent tant le mur qu’ils en firent cheoir sur une remontée plus de quarante pieds de large ; et puis tantôt les seigneurs de l’ost ordonnèrent et établirent une grande bataille de leurs archers, à l’encontre, qui traioient si omniement à ceux de dedans, que nul ne s’osoit mettre au devant, ni apparoir.

Quand messire Guillaume de Longval, messire Alain de la Houssaie, messire Louis de Mailly et le sire d’Arcy se virent en ce parti, si sentirent bien que ils ne se pouvoient tenir : si envoyèrent tantôt un de leurs hérauts monté à cheval, tout premièrement pour parler au duc de Lancastre ; car ils vouloient entrer en traité s’ils pouvoient. Le héraut vint jusques au duc, car on lui fit voie, et remontra ce pour quoi il étoit là envoyé. Le duc, par le conseil des barons qui là étoient, donna répit à ceux de dedans, tant qu’ils eussent parlementé à lui. Le héraut retourna et fit celle relation à ses maîtres ; et tantôt tous quatre ils se trairent avant. Si envoya le dit duc parler à eux monseigneur Guichart d’Angle. Là sur les fossés furent-ils en traité ; et demandèrent en quelle manière le duc les vouloit prendre ni avoir. Messire Guichard, qui étoit chargé de ce qu’il devoit dire et faire, leur dit : « Seigneurs, vous avez durement courroucé monseigneur : car vous l’avez ci tenu plus de onze semaines, où il a grandement frayé et perdu de ses gens ; pourquoi il ne vous recevra jà ni prendra, si vous ne vous rendez simplement ; et encore veut-il avoir tout premièrement messire Guillaume de Montpaon, et faire mourir, ainsi qu’il a desservi, comme traître envers lui. » Lors répondit messire Louis de Mailly et dit : « Messire Guichart, tant que de monseigneur Guillaume de Montpaon que vous demandez à avoir, nous vous jurons bien en loyauté que nous ne savons où il est, et que point il ne s’est tenu en cette ville, depuis que vous mîtes le siége devant : mais il nous seroit moult dur de nous rendre en la manière que vous nous voulez avoir, qui ci sommes envoyés comme soudoyers gagnans notre argent, ainsi que vous envoieriez les vôtres, ou vous-mêmes iriez personnellement ; et avant que nous fissions tel marché, nous nous vendrions si chèrement que on en parleroit cent ans à venir : mais retournez devets monseigneur le duc, et lui dites qu’il nous prenne courtoisement sur certaine composition de rançon, ainsi qu’il voudroit qu’on fît les siens, si ils étoient enchus en ce danger. » Lors répondit messire Guichard et dit : « Volontiers, j’en ferai mon plein pouvoir. »

À ces paroles retourna le dit maréchal devers le duc et prit en sa compagnie le captal de Buch, le seigneur de Rosem et le seigneur de Mucident, pour mieux abréger le duc[2]. Quand ces seigneurs furent devant lui, si lui remontrèrent tant de belles paroles, unes et autres, qu’il descendit à leur entente et prit les quatre chevaliers bretons dessus dits, et Sevestre Budes et leurs gens à mercy, comme prisonniers. Ainsi eut-il de rechef la saisine et possession de la forteresse de Montpaon, et prit la féauté des hommes de la ville et y ordonna deux chevaliers Gascons pour la garder, à quarante hommes d’armes et autant d’archers ; et la firent ceux tantôt réparer bien et à droit par les maçons de là environ, et la rafraîchirent de vivres et d’artillerie.

  1. Machines qui mettaient les soldats à couvert.
  2. Pour vaincre plus promptement la résistance du duc.