Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCXXIV

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 623-624).

CHAPITRE CCCXXIV.


Comment le pape Urbain mourut, et comment Grégoire XI fut élu en pape, dont le roi de France fut moult joyeux.


Après celle déconfiture de Pont-Volain, où une partie des Anglois furent rués jus, pourquoi leur chevauchée se dérompit et défit toute, messire Bertran du Guesclin, qui en sa nouvelleté de l’office de connétable de France se usoit, qui en eut grand’grâce et grand’recommandation, s’en vint en France et le sire de Cliçon avec lui, et emmenèrent la plus grand’partie de leurs prisonniers en leur compagnie en la cité de Paris. Là les y tinrent-ils tout aises sans danger, et les reçurent sur leur foi courtoisement, sans autre contrainte. Ils ne les mirent point en prison, en fers, ni en ceps, ainsi que les Allemands font leurs prisonniers, quand ils les tiennent, pour attraire plus grand’finance : maudits soient-ils ! ce sont gens sans pitié et sans honneur, et aussi on n’en devroit nul prendre à merci. Les François firent bonne compagnie à leurs prisonniers, et les rançonnèrent courtoisement sans eux trop gréver ni presser.

De l’avenue de Pont-Volain et du dommage des Anglois furent moult courroucés le prince de Galles, le duc de Lancastre et ceux de leur côté qui se tenoient à Congnac, après l’avenue et le reconquêt de Limoges.

En cet temps et environ Noël, trépassa de ce siècle en Avignon, le pape Urbain Ve[1], qui tant fut vaillant clerc, preud’om et bon François. Et adonc se mirent les cardinaux en conclave, et élurent entre eux un pape, et le firent par commun accord du cardinal de Beaufort ; et fut ce pape appelé Grégoire XI[2] de la création de divine providence. De lui fut durement lie le roi de France, pourtant qu’il le sentoit bon François et preud’om. Et étoit au temps de sa création de-lez lui en Avignon le duc d’Anjou, qui y rendit grand’peine qu’il le fût.

En ce temps avint à monseigneur Eustache d’Aubrecicourt une moult dure aventure : car il chevauchoit en Limousin ; si vint un soir dedans le châtel du seigneur de Pierre-Buffière, qu’il tenoit pour ami, et pour compagnon et pour bon Anglois : mais il mit Thibaut du Pont, un homme d’armes Breton et sa route dedans son châtel ; lequel prit pour prisonnier monseigneur Eustache, qui de ce ne se donnoit point de garde, et le mena avecques lui comme son prisonnier, et le rançonna depuis douze mille francs, dont il en paya les quatre mille, et son fils François d’Aubrecicourt demeura en ôtage pour le demeurant devers le duc de Bourbon, qui l’avoit raplegié et rendu grand’peine à sa délivrance, pour la cause de ce que monseigneur Eustache avoit aussi rendu grand’peine à la délivrance de madame sa mère que les Compagnie prirent à Belleperche. Depuis sa délivrance, messire Eustache s’en vint demeurer en Quarenten, outre les gués Saint-Clément en la basse Normandie, en une bonne ville que le roi de Navarre lui avoit donnée ; et là mourut. Dieu en ait l’âme ! car il fut, tant comme il vesqui et dura, moult vaillant chevalier.

  1. Urbain V mourut le 19 décembre.
  2. L’élection de Grégoire XI se fit le 30 décembre.