Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCVII

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 608-609).

CHAPITRE CCCVII.


Comment le duc d’Anjou s’en vint de Toulouse à Paris ; et comment le roi Charles envoya le dit duc d’Anjou et le duc de Berry en Aquitaine contre les Anglois.


En ce temps se partit le duc d’Anjou de la ville de Toulouse et chevaucha en grand’arroy parmi le royaume de France ; et exploita tant par ses journées qu’il vint en la bonne ville de Paris[1]. Là trouva-t-il le roi son frère, le duc de Berry et le duc de Bourgogne, ses autres frères, qui le reçurent liement et doucement ; et eurent adonc, les quatre frères, le terme pendant qu’ils se tinrent ensemble, à Paris, plusieurs consaulx et consultations ensemble sur l’état des besognes du royaume, à savoir comment ils guerroieroient et se maintiendroient sur l’été à venir. Et fut adonc ordonné et proposé que on feroit deux grands et grosses armées et chevauchées en Aquitaine, desquelles le duc d’Anjou et sa route gouverneroient l’une, et entreroient en Guyenne par devers la Réole et Bergerac, et le duc de Berry au lez devers Limoges et Quersin ; et se devoient, ces deux armées, trouver devers la ville d’Angoulême, et là dedans assiéger le prince.

Encore fut adonc proposé et avisé par grand’délibération de conseil, que on remanderoit en Castille messire du Guesclin, ce vaillant chevalier, qui si vaillamment et loyaument s’étoit combattu pour la couronne de France ; et qu’il seroit prié qu’il voulsist être connétable de France. Quand le roi de France et ses frères, et leur conseil, eurent tout ordonné et jeté leur propos ainsi qu’ils vouloient qu’il se fît, et ils furent ébattus un grand temps ensemble, et ce vint à l’entrée du mois de mai, le duc d’Anjou prit congé à eux pour retourner tout premièrement en son pays[2], pourtant qu’il avoit à faire le plus lointain chemin. Si fut convoyé des barons et des chevaliers de France, pour ce qu’il en étoit durement bien aimé et recommandé. Si chevaucha le dit duc par ses journées tant, et si bien exploita qu’il vint à Montpellier[3], et là séjourna plus d’un mois, et puis revint à Toulouse. Si se pourvéy tantôt de gens d’armes partout où il les pouvoit avoir ; et jà en avoit-il grand’foison qui se tenoient sur les champs et faisoient frontière aux Anglois, en Rouergue et en Quersin ; car le petit Meschin, Ernaudon de Pans, Perrot de Savoie, le Bourg Camus, Antoine le Nègre, Lamit, Jaquet de Bray, et grand’foison de leurs routes s’étoient tenus toute la saison environ Caours, et avoient honni et apovri tout le pays.

D’autre part le duc de Berry s’en vint à Bourges en Berry, et fit un très grand mandement de chevaliers et écuyers de France, de Bourgogne et d’Auvergne. Aussi le duc de Bourbon se retraist en son pays et fit sa semonce, pour être en cette chevauchée, et assembla grand’foison de chevaliers et d’écuyers de la comté de Forez et de Bourbonnois. Le comte Pierre d’Alençon et messire Robert d’Alençon, son frère, se pourvurent d’autre part bien et efforcément.

En celle saison, étoit revenu de Prusse messire Guy de Blois, qui là avoit été chevalier fait nouvellement, et avoit levé bannière à une escarmouche et grande rèse qui fut faite sur les ennemis de Dieu. Si que, sitôt que le gentil chevalier fut revenu en Hainaut, et il ouït nouvelles de cette chevauchée qui se faisoit et devoit faire de ses cousins de France en la duché d’Aquitaine, il se pourvéy bien et grossement pour y aller, et se partit de Hainaut à tout son arroy, et s’en vint à Paris se présenter au roi qui le vit moult volontiers, et qui l’ordonna d’aller avec le duc de Berry en cette chevauchée, à une charge de gens d’armes, chevaliers et écuyers. Si se partit messire Guy de Blois de la cité de Paris et chevaucha vers Orléans pour venir à Blois et puis en Berry.

  1. Le duc d’Anjou dut arriver à Paris vers la fin de mars ou le commencement d’avril de cette année.
  2. Il était encore à Paris le 7 mai : ce jour même il y retint, pour conseiller de son grand conseil, Gauthier, évêque du Mans.
  3. Il était à Montpellier le 2 juillet, et le 11 il arriva à Toulouse.