Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCLXXV

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 684-685).

CHAPITRE CCCLXXV.


Comment le comte Jean de Pennebroch et messire Guichard d’Angle furent délivrés de leur prison du roi d’Espaigne.


En ce temps se fit la délivrance du comte Jean de Pennebroch qui étoit ès dangers et en la prison du roi Henry de Castille, lequel fut pris sur mer devant La Rochelle, ainsi que vous avez ouy recorder, et laquelle délivrance se fit par moyen tel que je vous dirai. Messire Bertran de Claiquin, connétable de France, tenoit une terre en Castille du don le roi Henry en récompensant les beaux services qu’il lui avoit faits, laquelle terre est appelée Sorie, et valoit par an au dit connétable bien dix mille francs ; sique il fut traité que messire Bertran rendit au roi Henry la dite terre de Sorie pour le corps du comte de Pennebroch ; et le comte de Pennebroch se rançonna envers le connétable à six vingt mille francs, et payer tout à une fois ; et en furent les Lombards de Bruges plèges. Or furent cils traités et ces marchés trop sagement faits et demenés des gens le dit comte, ainsi qu’il apparut ; vous orrez comment. Ils ne devoient rien payer, si auroient les gens du connétable remis le corps du comte sain et en bon point, sans nul péril, en la ville de Calais. Si se départit le dit comte sur cel état d’Espaigne, et passa parmi Navarre, et entra au royaume de France, et chevaucha avec ses gens tout parmi, sur le conduit du connétable. Si avint que, en chevauchant, une très grand’maladie le prit ; et toudis alloit avant, mais il le convenoit porter en litière. Tant alla, et si la maladie le demena, que il le convint arrêter et aliter en la cité d’Arras et là mourut. Et demeura du comte de Pennebroch et de madame Anne sa femme, qui fille avoit été de messire Gautier de Mauny, un beau fils qui adonc avoit bien deux ans. Ainsi perdit monseigneur Bertran son prisonnier et sa rançon, et les hoirs du comte et ses plèges en furent quittes.

En ce temps se refit un autre traité et parçon de terre et d’un prisonnier, ce gentil chevalier monseigneur Guichart d’Angle, entre le roi Henry dessus nommé et monseigneur Olivier de Mauny, neveu du connétable de France. Le roi avoit donné au dit monseigneur Olivier une terre en Castille que on appelle Grète, qui bien valoit quatre mille francs par an. Cil messire Olivier étoit à marier. Si avisa en France un moult bel et haut mariage pour lui en Picardie, de la fille au seigneur de Roye, de quoi le père étoit prisonnier et en grand danger en Angleterre devers le roi. Messire Olivier fit traiter devers le lignage du seigneur de Roye comment il pourroit avoir sa fille. On lui répondit que, s’il pouvoit tant faire par moyens que il délivrât le seigneur de Roye, il auroit sa fille qui étoit taillée d’avoir et tenir trois mille francs par an de revenue, car le père étoit mais un vieux chevalier. Adonc monseigneur Olivier de Mauny exploita sur cel estat et mit gens en œuvre ; et fut demandé au roi d’Angleterre lequel des prisonniers qui étoient en Espaigne il avoit plus cher à donner et à voir la délivrance pour le baron de Roye, ou monseigneur Guichart d’Angle, ou monseigneur Othe de Grandson. Le roi d’Angleterre répondit que il s’inclinoit plus à monseigneur Guichart que à monseigneur Othe. Quand on sçut son intention, messire Olivier de Mauny fit traiter devers le roi Henry et rendit celle terre de Grète que il tenoit, pour monseigneur Guichart d’Angle et Guillaume d’Angle son neveu ; et tantôt se fit l’échange du baron de Roye pour ces deux. Si revint le sire de Roye en France ; et messire Olivier de Mauny épousa sa fille, et puis tint toute la terre du seigneur, car il ne vesqui mie puis longuement. Et messire Guichart et son neveu furent délivrés, et allèrent en Angleterre où ils furent liement reçus ; et retint le roi de son conseil et de-lez lui monseigneur Guichart, lequel renonça à tout ce que il tenoit en Poitou et remanda sa femme et ses enfans, et les fit passer par mer et venir en Angleterre. Avec la renonciation il remercia grandement le duc de Berry de ce que il avoit tenu sa femme et sa terre en paix le temps que il avoit été tenu prisonnier en Castille.