Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCIV

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 606-607).

CHAPITRE CCCIV.


Comment le comte de Cantebruge et le comte de, Pennebroch mandèrent au duc de Bourbon qu’il leur voulsist livrer bataille, et quelle chose le dit duc répondit.


Quand le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch et les barons de Poitou et d’Aquitaine, qui là étoit moult étoffément, eurent été devant les François et aussi devant Belle-Perche le terme de quinze jours, ils virent que point n’issoient de leur bastide pour eux venir combattre, si eurent conseil et avis d’envoyer un héraut devers eux pour savoir quelle chose ils vouloient faire. Si en fut Chandos le héraut chargé, induit et informé quelle chose il leur diroit. Tant exploita le dessus dit, qu’il vint devers le duc de Bourbon, qui là étoit entre ses gens ; si vint et dit ainsi : « Monseigneur, mes maîtres et seigneurs m’envoient devers vous, et vous font à savoir par moi qu’ils sont trop émerveillés de ce que vous les avez sçus jà le terme de quinze jours devant vous, et si n’êtes point issus de votre fort pour eux combattre. Si vous mandent que, si vous voulez traire hors et venir devers eux, ils vous lairont prendre et aviser pièce de terre pour vous combattre à eux ; si en ait la victoire cil à qui Dieu l’ordonnera. »

À cette parole répondit le duc de Bourbon, et dit : « Chandos, vous direz à vos maîtres que je ne combattrai point à leur volonté et ordonnance ; et bien sais voirement qu’ils sont là ; mais point ne partirai de ci ni n’en déferai mon siége, si aurai-je conquis le châtel de Belle-Perche. » — « Monseigneur, dit le héraut, je leur dirai bien ainsi. » Lors se départit sur ce point Chandos, et retourna devers ses maîtres, et leur dit cette réponse. Si ne leur fut mie bien plaisant, et se mirent au conseil ensemble. De ce conseil issirent, et dirent à Chandos autres paroles, lesquelles il vouloient qu’il rapportât aux François, si comme il fit ; et leur dit de rechef quand il fut revenu : « Seigneurs, mes maîtres et mes seigneurs vous mandent par moi, puis que combattre ni traire hors ne vous voulez, ni la parçon prendre qu’ils vous ont faite, que dedans trois jours, sire duc de Bourbon, à heure de tierce ou de midi, vous verrez votre dame de mère mettre à cheval et mener en voie : si avisez sur ce, et la rescouez si vous voulez ou pouvez. » Lors répondit le duc de Bourbon et dit : « Chandos, Chandos, dites à vos maîtres que ils guerroient mal honorablement, quand une ancienne femme seule entre ses gens ils ont prise, et la veulent mener et ravir comme prisonnière ; et point n’a-t-on vu en guerre des seigneurs du temps passé que les dames et damoiselles y fussent prisonnières ni ravies. De madame ma mère me déplaira, si je la vois emmener ; et la r’aurons quand nous pourrons : mais la forteresse ne mèneront-ils point, elle nous demeurera. Et pour ce que vous nous avez ci mis des parçons, vous direz encore à vos maîtres, que si ils se veulent mettre sur les champs jusques à cinquante, nous nous y mettrons aussi : si en ait qui en pourra avoir. » — « Monseigneur, dit le héraut, je leur dirai volontiers tout ainsi. » À ces mots partit Chandos d’eux, et prit congé et s’en vint arrière devers le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch et les autres à qui il fit sa relation. À la parçon que le duc de Bourbon leur envoya n’eurent-ils point conseil d’entendre ; si s’ordonnèrent comme pour eux partir de là, et emmener la dame et ceux du fort, qui étoient grandement courroucés et travaillés des engins de l’ost.