Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre LXVII

Livre I. — Partie I. [1337]

CHAPITRE LXVII.


Comment aucuns chevaliers et écuyers flamands étoient en l’île de Gagant qui gardoient couvertement le passage contre les Anglois.


De toutes ces devises et ordonnances, ainsi comme elles se portoient et étendoient, et des conforts et des alliances que le roi anglois acquéroit par deçà la mer, tant en l’Empire comme ailleurs, étoit le roi Philippe tout informé ; et eût volontiers vu que le comte de Flandre se fût tenu en son pays, et eût attrait ses gens à son accord : mais ce Jaquemart d’Artevelle avoit jà si surmonté toutes manières de gens en Flandre, que nul n’osoit contredire à son opinion. Mêmement le comte leur sire ne s’osoit clairement tenir en Flandre son pays ; et avoit envoyé madame sa femme[1] et Louis son fils en France, pour doute des Flamands. Avec ce se tenoient en l’île de Gagant[2] aucuns chevaliers et écuyers de Flandre en garnison, dont messire Ducres de Hallewyn[3], et messire Jean de Rhodes et les enfans de l’Estrief étoient capitaines et souverains ; et là gardoient le passage contre les Anglois, et faisoient guerre couvertement : dont les chevaliers d’Angleterre, qui se tenoient en Hainaut, étoient tous informés que, si ils s’en ralloient par là en leur pays, ils seroient rencontrés ; parquoi ils n’étoient mie bien assur. Nonobstant ce, chevauchoient eux et alloient à leur volonté parmi le pays de Flandre et par les bonnes villes ; mais c’étoit sur le confort de Jaquemart d’Artevelle, qui les portoit et honoroit en toutes manières, ce qu’il pouvoit. Or retournerons un petit au duc de Brabant.

  1. Il avait épousé Marguerite de France, deuxième fille du roi Philippe-le-Long, de laquelle il eut Louis, surnommé de Male du lieu de sa naissance.
  2. Cadsand, île située entre la ville de L’Écluse et l’île de Walcheren en Zélande.
  3. Les annales de Flandre disent mieux le Duckere (seigueur) de Hallewyn.