Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre LXIV

Livre I. — Partie I. [1337]

CHAPITRE LXIV.


Comment les seigneurs d’Angleterre firent alliance avec le duc de Guelres, le marquis de Juliers, l’archevêque de Cologne et le sire de Fauquemont.


Adonc furent ces seigneurs d’Angleterre moult aises ; car il leur sembla qu’ils avoient moult bien besogné, tant comme au duc. Si s’en retournèrent à Valenciennes, et firent par messages, et par l’or et l’argent de leur seigneur, tant que le duc de Guerles, serourge du dit roi, le marquis de Juliers, pour lui et pour l’archevêque de Cologne Walerant son frère, et le sire de Fauquemont vinrent à Valenciennes parler à eux, pardevant le comte de Hainaut, qui ne pouvoit mais chevaucher ni aller, et pardevant monseigneur Jean son frère. Et exploitèrent si bien devers eux, parmi grands sommes de florins que chacun devoit avoir pour lui et pour ses gens, qu’ils leur enconvenancèrent de défier le roi de France avec le roi anglois quand il lui plairoit, et que chacun d’eux le serviroit à un certain nombre de gens d’armes à heaumes couronnés[1]. En ce temps parloit-on de heaumes couronnés ; et ne faisoient les seigneurs nul compte d’autres gens d’armes, s’ils n’étoient à heaumes et à tymbres couronnés. Or est cet état tout devenu autre maintenant que on parle de bassinets, de lances ou de glaives, de haches et de jaques[2] ; et vous dis que ces seigneurs dessus nommés enconvenancèrent aux gens du roi anglois qu’ils se aherdroient à d’autres seigneurs d’outre le Rhin, qui bien avoient pouvoir d’amener grand’foison de gens d’armes, mais qu’ils eussent le pourquoi : puis prirent congé les dessus dits seigneurs et Allemands et s’en rallèrent en leur pays, et les seigneurs d’Angleterre demeurèrent encore à Valenciennes et en Hainaut, de-lez le comte, par lequel conseil ils ouvroient le plus.

Si prirent et envoyèrent encore suffisans messages devers l’évêque de Liége, monseigneur Aoul, et l’eussent volontiers attrait de leur partie ; mais le dit évêque n’y voulut oncques entendre, ni rien faire contre la France[3], de qui il étoit devenu homme et entré en sa féauté. Le roi Charles de Behaingne n’y fut point prié ni mandé, car on savoit bien qu’il étoit si conjoint au roi de France, par le mariage de leurs deux enfans, du duc de Normandie Jean, qui avoit à femme madame Bonne fille, au dessus dit roi, que pour cette cause il ne feroit rien contre le roi de France.

Or me tairai un petit d’eux, et parlerai d’une autre matière qui à cette se rajoindra.

  1. Ces différens traités, rapportés par Rymer, sont datés des 24 et 27 mai et du 1er juin 1337.
  2. Espèce de casaque contrepointée qu’on mettait pardessus la cuirasse.
  3. Adolphe de La Marck, évêque de Liége, loin de prendre parti pour le roi d’Angleterre, s’arma en 1339 pour Philippe de Valois et lui fournit cinq cents hommes d’armes, moyennant soixante mille florins que le roi lui assigna.