Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CXLIII

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 124-125).
Livre I. — Partie I. [1340]

CHAPITRE CXLIII.


Comment à la requête et prière de madame Jeanne de Valois, sœur du roi de France et mère du comte de Hainaut, les deux rois firent traité de paix.


Ce siége de devant la cité de Tournay dura assez longuement, onze semaines trois jours moins : si pouvez bien croire et savoir qu’il y eut fait plusieurs escarmouches et paletis, tant à assaillir la cité comme ès chevauchées des compagnons bacheleureux l’un sur l’autre. Mais dedans la cité de Tournay avoit très bonne et sage chevalerie, envoyée en garnison de par le roi de France, si comme dessus est dit, qui tellement ensoignèrent et pensèrent que nul dommage ne s’y prit. Or n’est rien, si comme on dit, qui ne prenne fin.

On doit savoir que ce siége pendant, madame Jeanne de Valois, sœur au roi de France et mère au comte Guillaume de Hainaut, travailloit durement d’un ost en l’autre, afin que paix ou répit fût entre ces parties, par quoi on se départit sans bataille. Car la bonne dame véoit là de deux côtés toute la fleur et l’honneur de la chevalerie du monde : si eût vu trop ennuis, pour les grands périls qui en pouvoient venir, que bataille fut adressée entre eux. Et par plusieurs fois la bonne dame étoit chue aux pieds du roi de France son frère, en lui priant que répit ou traité d’accord fût pris entre lui et le roi anglois. Et quand la bonne dame avoit travaillé à ceux de France, elle s’en venoit à ceux de l’Empire, espécialement au duc de Brabant et au marquis de Juliers son fils qui avoit eu sa fille[1], et à messire Jean de Hainaut, et leur prioit que pour Dieu et pour pitié, ils voulsissent entendre à aucun traité d’accord, et avoier le roi d’Angleterre à ce qu’il y voulsit descendre.

Tant alla et tant procura la bonne dame entre ces seigneurs, avec l’aide et le conseil d’un gentil chevalier et sage, qui étoit moult bien de toutes les parties, qui s’appeloit messire Louis d’Angimont, que une journée de traiter fût accordée à lendemain, là où chacune des parties devoit envoyer quatre personnes suffisans pour traiter toutes bonnes voies pour accorder les dites parties, s’il plaisoit à Dieu, et souffrance de trois jours que l’un ne pouvoit ni devoit forfaire sur l’autre ; et se devoient assembler ces traiteurs en une chapelle séant en my les champs, qu’on appelle Esplechin. Lendemain, après messe et après boire, les traiteurs vinrent ensemble en la dite chapelle, et la dessus dite bonne dame avec eux. De la partie du roi de France y furent envoyés Jean le roi de Behaigne, Charles le comte d’Alençon, frère du roi, l’évêque de Liége, le comte de Flandre et le comte d’Armagnac[2].

De la partie du roi d’Angleterre y furent envoyés le duc de Brabant, l’évêque de Lincolle, le duc de Guerles, le marquis de Juliers et messire Jean de Hainaut.

  1. Le marquis de Juliers avait épousé Jeanne de Hainaut, fille de la comtesse, laquelle Jeanne était morte en 1337.
  2. Dans la charte de cette trêve rapportée par Rymer, on trouve nommés parmi les plénipotentiaires français, au lieu du comte de Flandre, Raoul, duc de Lorraine, et Ayme, comte de Savoie ; et parmi les plénipotentiaires du roi d’Angleterre, il n’est point fait mention de l’évêque de Lincoln.