Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CLXXV

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 150-151).
Livre I. — Partie I. [1342]

CHAPITRE CLXXV.


Comment les François assaillirent Hainebon moult asprement ; et comment messire Charles de Blois alla assiéger Auroy.


Lendemain les seigneurs de France, qui avoient perdu leurs tentes et leurs pourvéances, eurent conseil qu’ils se logeroient d’arbres et de feuilles plus près de la ville, et qu’ils se maintiendroient plus sagement. Si s’allèrent loger à grand’peine plus près de la ville, et disoient souvent à ceux de la ville ainsi : « Allez, seigneurs, allez querre votre comtesse ; certes elle est perdue ; vous ne la trouverez mie de pié-çà. » Quand ceux de la ville, gens d’armes et autres, ouïrent telles paroles, ils furent ébahis et eurent grand’peur que ce grand meschef ne fût avenu à leur dame ; si n’en savoient que croire, pourtant qu’elle ne revenoit point, et n’en oyoient nulles nouvelles. Si demeurèrent en tel peur par l’espace de cinq jours. Et la comtesse qui bien pensoit que ses gens étoient en grand meschef pour li, et en grand’doutance, se pourchassa tant qu’elle eut bien cinq cents compagnons armés et bien montés ; puis se partit de Brest entour mie-nuit, et s’en vint, à soleil levant, et chevauchant droit à l’un des côtés de l’ost, et fit ouvrir la porte du châtel de Hainebon, et entra dedans à grand’joie et à grand son de trompettes et de nacaires ; de quoi l’ost des François fut durement estourmi. Si se firent tous armer et coururent devers la ville pour assaillir ; et ceux dedans aux fenêtres pour défendre. Là commença grand assaut et fort, qui dura jusques à haute nonne[1] ; et plus y perdirent les assaillans que les défendans. Environ heure de nonne les seigneurs firent cesser l’assaut, car leurs gens se faisoient tuer et navrer sans raison ; et retrairent à leur logis. Si eurent conseil et accord que messire Charles de Blois irait assiéger le châtel d’Auroy que le roi Artus fit faire et fermer ; et iraient avec lui le duc de Bourbon, le comte de Blois son frère, le maréchal de France messire Robert Bertrand, et messire Hervey de Léon, et partie des Gennevois ; et messire Louis d’Espaigne, le vicomte de Rohan, et tout le remenant des Gennevois et Espaignols demeureraient devant Hainebon, et manderoient douze grands engins qu’ils avoient laissés à Rennes pour jeter à la ville et au châtel de Hainebon ; car ils véoient bien qu’ils ne pouvoient gagner ni rien profiter à l’assaillir. Si que ils firent deux osts ; si en demeura l’un devant Hainebon, et l’autre alla assiéger le châtel d’Auroy, qui étoit assez près de là : duquel nous parlerons, et nous souffrirons un petit des autres.

  1. Jusques après midi.