Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCLIX

Livre I. — Partie I. [1346]

CHAPITRE CCLIX.


Comment le duc de Normandie partit son ost en quatre parties pour assaillir Aiguillon et envoya querre les engins de Toulouse.


Quand vint lendemain, ces seigneurs de France s’assemblèrent, et regardèrent et avisèrent entre eux comment ils pourroient mieux et plus apertement gréver ceux du château. Si ordonnèrent, pour plus travailler leurs ennemis, qu’ils partiroient leur ost en quatre parties, desquelles la première partie assaudroit du matin jusqu’à prime, la seconde de prime jusques à midi, la tierce de midi jusques à vespres, et la quarte de vespres jusques à la nuit, car ils pensoient que les défendans ne pourroient tant durer. Si le fit ainsi par grand avis, et assaillirent par telle ordonnance cinq ou six jours. Mais ce ne leur valut rien, ains y perdirent grossement de leurs gens ; car ceux du châtel ne furent oncques si recrus, combien qu’ils fussent travaillés outre mesure, qu’ils ne s’abandonnassent au défendre si vaillamment, parquoi ceux de l’ost pussent rien gagner sur eux, non mie seulement le pont qui est devant le châtel. Et quand ils virent que assaut qu’ils y fissent ne leur profitoit rien, si en furent tous confus, et eurent autre conseil ; car ils envoyèrent quérir à Toulouse huit des plus grands engins qui y fussent, et encore en firent eux faire et charpenter quatre autres plus grands assez, et firent sans cesser ces douze engins jeter nuit et jour dedans le château. Mais ceux de la forteresse étoient si bien guérités, que oncques pierre d’engin ne les gréva, fors ès toits des maisons ; et avoient ceux du châtel bons engins qui débrisoient tous les engins de dehors ; et en peu d’heures en brisèrent six, dont ceux de l’ost furent moult courroucés. Et toujours avisoient et subtilloient comment ils les pourroient mieux gréver.