Les Chiens de paille/Chapitre III

Gallimard (p. 97-122).

Constant revint chez les Liassov et cette fois-ci il y vit Roxane. Auprès de son mari elle était rayonnante comme elle ne l’était pas entre Susini et Bardy. Le spirituel et le charnel glissent l’un dans l’autre par des nuances insensibles ; si à l’extrémité de la longue trame de ses sensations Roxane échappait à son compagnon, de nuance en nuance elle remontait à lui par les fils de plus en plus entrecroisés et serrés de l’ennui et du regret. Qu’importaient à Liassov, qui était à l’origine de la trame, les effilochures de la frange ? Constant ne voyait aucune contradiction entre la scène dont il avait été témoin dans la dune et celle qu’il contemplait maintenant d’une femme calmement assise et qui buvait l’esprit d’un homme avec de grands yeux habitués depuis des années à cette lente et sûre désaltération.

Constant regardait Roxane avec un regard profondément calme. Parce qu’il y avait en elle une beauté tourmentée et émouvante, il n’aurait peut-être pas pu la regarder aussi calmement s’il ne l’avait pas connue tout de suite dans son intimité apparente avec Bardy – cela, en dépit de son immense détachement d’homme qui avait tout possédé sur cette planète et qui était saturé de tout. Il avait toujours tout possédé bien qu’ayant été toujours très pauvre, mais les haltes des vagabonds et les possessions des pauvres ont un pouvoir fulgurant. L’ayant saisie dans sa plus vive fugacité, il la goûtait maintenant dans sa profonde station. Il la voyait sans la regarder et elle était trop façonnée par Liassov pour en ressentir un malaise, comme aurait fait une autre femme qui aurait cru voir dans ces regards blancs quelque chose de sournois ou de dédaigneux. La pureté n’est probable et admissible que chez un homme comblé de toutes les ordures et les ayant enfin distillées.

— J’aime votre religion orthodoxe, déclara Constant. On dirait que chez vous mieux que chez nous le chrétien a sauvegardé son hérédité païenne, c’est pourquoi l’esprit évangélique chez Dostoïevsky et chez Tolstoï s’élève comme une fleur si forte : elle est bien nourrie par en dessous. Dans votre clergé, vous avez des prêtres mariés à côté des moines.

— Nous avons connu aussi l’horreur du péché.

Mais les païens l’ont connue avant les chrétiens.

On ne peut plus admettre cette opposition entre le monde païen et le monde chrétien où Nietzsche s’est enfermé. Nietzsche opposait injustement le christianisme actuel, qui est tout à fait dégénéré et imbécile, c’est entendu, sauf chez quelques artistes de génie, à un paganisme que la science de son temps n’embrassait pas aussi largement que la nôtre. Le monde antique a connu le sens du péché et avant de tomber en décadence, c’est pourquoi il a engendré le christianisme. Le sens du péché n’est une particularité pour personne. Les Juifs, qui sans doute ne l’ignoraient pas par eux-mêmes, l’ont trouvé sous une forme prodigieusement développée chez les Aryens par excellence, chez les Iraniens, les Perses. Les Aryens de l’Inde aussi ont connu le péché, mais sous une autre forme, beaucoup plus profonde d’ailleurs, non plus morale mais cosmique.

Pour eux, le péché comme d’ailleurs pour les initiés de l’Occident c’est l’éloignement du monde de son centre divin, c’est le tourment, délicieux, qu’engendre l’articulation du Verbe sur l’indicible.

Le jeune Allemand de la Kommandantur qui était là s’écria :

— Le monde antique dont vous parlez était le monde méditerranéen. En effet, pas de solution de continuité entre le VIe siècle avant Jésus et le VIe siècle après. Pourtant, au temps de l’Iliade, les Grecs n’étaient pas encore méditerranéens, ou à peine, et il y a des traces de pureté jusque chez Pindare et Eschyle.

— Bah, il y en a même chez Platon. Par le côté politique, Platon était un spartophile, comme Bardy ici présent est un germanophile ; dans la République on voit que Platon avait gardé intact l’idéal guerrier des Aryas : un communisme aristocratique.

— Mais, reprit le jeune Allemand, il y a un monde nordique qui n’a aucun sens du péché, qui n’a pas besoin de rédemption ni de dieu rédempteur : c’est le monde des Védas et de l’Edda, c’est le monde des premiers aryens de l’Inde et de la Perse, des premiers Germains et Scandinaves, des premiers Celtes et Italiotes. Avant de descendre vers le sud, les Aryens n’avaient pas le sens du péché.

— C’est possible, bien que… mais en tout cas les Nordiques par les religions de mystères et le christianisme ont plongé à jamais dans l’esprit méditerranéen : ils n’en sortiront jamais.

— Bah, hitlériens et staliniens naissent maintenant aussi ignorants du péché que…

— Que quoi ? Que qui ?

— Que les dieux. Nietzsche triomphe en eux.

Pour Constant, aimer les peintres et la peinture, c’était tout comme. Ah, comme il aurait aimé être peintre ; oui, c’eût été la meilleure façon d’accepter l’éphémère et de sacrer l’éphémère. Par cet art, en jouissant de la matière on la détruit mieux que par tout autre art, parce que sournoisement on a l’air de s’y asservir mieux. Peindre lui aurait donné de plus longues satisfactions que de calligraphier comme il le faisait les pensées des sages, et aussi plus profondes. Ses calligrammes ne le portaient pas assez avant dans la délicatesse qui capte l’infini dans un trait, dans l’héroïsme de l’artisan qui essaie d’incruster l’éternel dans le quotidien. Constant aimait cet atelier de Liassov où l’apparent désordre était l’effet des besoins du travail et la nonchalante marque d’un goût exquis. Ce qui lui faisait avant tout horreur dans les maisons bourgeoises et riches c’était cet ordre qui recouvre le vide et cette propreté qui se met si bien à l’aise dans le vide. Les Liassov n’étaient pas pauvres, mais ils gardaient les aises des pauvres, des vrais pauvres pour qui la pauvreté n’est pas une occasion de mesquinerie comme la richesse pour les riches. Constant méprisait à ses moments perdus les riches et les pauvres, c’est-à-dire la plupart des humains. Liassov peignait dans des verts et des bruns dont Constant avait horreur, bien qu’il pût les admirer de la pointe de l’esprit ; par contre Liassov était la proie d’un tourment assez rare : il se voulait coloriste autant que dessinateur. Comme il était fort doué pour les deux moyens, le tourment résultait du fait qu’il était tenté tour à tour par chacun au détriment de 1 autre, alors qu’il aurait voulu user à plein des deux au même moment, ce qu’aucun peintre n’a jamais pu faire dans notre temps. Constant n’aimait que les peintres qui ont un tourment et qui tirent leur force des affres mêmes de ce tourment ; il aimait ceux qui ont une convulsion à surmonter. Néanmoins, il pouvait se détourner de cette direction principale de son esprit et s’extasier aussi bien qu’un autre sur la certitude étroitement prédestinée d’un Chardin, d’un Corot. Il mettait dans le même sac Monet et Renoir : il voyait en chacun d’eux un parti pris, une complaisance excessive dans leur propre style, l’asservissement de leur merveilleuse sensualité à la longue à une vision trop cernée, comme intellectualisée. Bien sûr, il mettait Renoir bien au-dessus de Monet. Manet lui avait donné un plaisir trop directement érotique pour qu’il pût en parler jamais à tête reposée. Constant qui dans le siècle avait aimé les belles femmes ; hautes, larges et pleines, amples et étincelantes armoires à glace, il sentait toutefois ses nerfs pincés par Daumier, Guys et Manet. Et Matisse.

Il apprit que Mme Liassov, qui s’appelait en réalité Kyria, avait gardé le nom de Roxane du temps où elle était actrice. Roxane était une tête admirable. Le sculpteur qui l’avait faite avait été trop séduit par la beauté qu’il avait mise dans cette tête pour descendre plus bas et il avait laissé le corps dans la gangue et, pourtant, n’ayant pas pu se résoudre à abandonner tout d’un coup son prodigieux propos, il avait laissé quelques indices fulgurer du cou aux épaules, au buste, aux hanches. Là, à mi-chemin un conflit obscur se laissait deviner entre la mauvaise volonté d’une matière énormément ingrate et cette spirituelle foudre qui descendait des admirables méplats du front, des pommettes et des mâchoires. Sans doute, ce visage était d’une beauté trop dépouillée, dans la robustesse, pour que ne fût pas payée une lourde rançon à la matière qui demeurait, à mesure que le regard s’abaissait, engoncée dans ses profondes impuissances. Constant avait adoré les seins des femmes et pourtant devant celle-ci il consentait à ce qu’elle n’en eût pas. Le sculpteur qui avait encore consenti à attacher aux mâchoires presque dures à force d’être nobles le cou vigoureux qu’ elles impliquaient et qui avait encore laissé d’amples indications de majesté assaillir et dégrossir la masse des épaules, n’avait pas poussé plus loin et soit que la proposition brute du bloc de marbre fût telle, soit que d’un seul coup de ciseau il eût aboli toute possibilité, on s’arrêtait court sur une poitrine d’éphèbe après s’être longuement attardé autour des ampleurs fières d’un visage de Junon qui semblait pourtant annoncer les ressources d’une ample féminité. Junon qui, d’ailleurs, n’était pas que marbre mais qui était travaillée dans chacun de ses traits par un dédoublement inespéré, par la contorsion imperceptiblement affleurante – outre les limites d’un cerne, d’un galbe impeccable – d’une autre déesse non pas grecque mais thrace ou thessalienne, qui faisait vibrer, onduler, entrer en tumescence par moments, un rêve passionné, sauvage, tirant ses fureurs d’une foi démoniaque.

Constant goûtait ainsi chez les Liassov une parfaite fusion d’atmosphère ascétique et d’atmosphère sensuelle : cela caressait en lui le sens qu’il avait de la religion. Il avait horreur de l’opposition qu’on fait du christianisme au paganisme : il ne s’intéressait qu’à ce qui y subsistait ou s’y réveillait de païen. Il traitait à sa manière les mythes chrétiens. C’est pourquoi, bien qu’il lût beaucoup plus les écrits indiens ou chinois ou arabes que les chrétiens, il lui arrivait de remettre parfois son nez dans les Évangiles. Il lisait les Évangiles tantôt au milieu d’un assez grand appareil de science et d’exégèse, tantôt tout nuement : mais dans un cas comme dans l’autre il trouvait le même secret répugnant et fascinant, le même secret sordide de roman policier aux dessous miroitants, la même légende indéchiffrable et révélatrice. Qui était Jésus ? Que voulait-il ? Avait-il existé comme homme ? En tout cas, il était évident qu’il existait comme dieu. Quelques vagues figures s’estompaient dans la vapeur du mirage autour de Jésus : Jean le Baptiste, Jean l’autre, Pierre, Judas.

À première vue, ce dernier était crispant de banalité. C’était le passant comme on en croise mille chaque jour dans la rue et qui, en effet, sont tous prêts à vous livrer à la police pour trente deniers. Et pourtant, si l’on s’amusait à réfléchir…

Bardy ne venait pas chez les Liassov, bien qu’il connût Wladimir. Roxane n’était pas de ces femmes qui mélangent les hommes. Elle ne prenait à Bardy que son corps et elle n’avait nulle envie de mêler dans des soirées tièdes l’odeur de Bardy avec celle de Wladimir. Elle avait aimé physiquement son mari et avait été aimée de même par lui. Il arrivait au peintre de loin en loin de la prendre encore dans ses bras : c’était dans une réminiscence lointaine qu’elle acceptait, qui ne la blessait pas. Ces reprises de contact devenaient de plus en plus rares et n’étaient absolument plus nécessaires, mais elles l’avaient été, car l’union de l’âme d’un homme avec celle d’une femme est impossible sans passer tôt ou tard par une période d’intimité charnelle. Rien d’autre n’aurait pu nourrir entre eux cette communion mystérieuse où accédait Roxane – au fond inapte comme toutes les femmes à l’intellectualité – grâce encore aux signes sensuels inscrits dans l’art de Wladimir. La nature sensible d’une femme peut trouver son ultime épanouissement et son couronnement dans la nature intellectuelle d’un homme auprès de qui elle vit : par ses chemins sensuels la femme peut rejoindre le plus haut spirituel. Cela est admirable, quand il n’y a pas chez la femme de prétention, d’imitation, de singerie verbale et que l’homme y veille. Une grande distinction, c’est-à-dire une grande simplicité, mettait à l’abri Wladimir et Roxane de tout ce fatras, de tout ce plâtras de malentendus bavards qui recouvre souvent et déshonore les ménages d’artistes. C’est pourquoi Constant, qui avait souvent passé pour un misogyne, se trouvait à l’aise chez eux et montrait à Roxane une bienveillance qu’il n’avait jamais pu montrer auparavant qu’à des filles sauvages.

Bardy entrait dans ce jeu délicat et bien qu’il fût assez instruit et qu’il eût une ferme personnalité dans un certain plan, il avait accepté de ne donner à Roxane que ce qu’elle voulait et pouvait lui prendre. Il avait une grande vénération pour Wladimir Liassov, et il pensait que pour la conserver le mieux était de l’exercer à distance. Aucun de ces êtres ne croyait à la pureté.

Il y avait un trait dans la situation de Bardy qui le rendait séduisant aux yeux de Constant, c’est qu’il était dans le milieu français la minorité, l’exception. Peut-être avait-il cru, en 1940, devenir la règle d’ailleurs et que cela avait grandement facilité sa prise de position. Constant le lui avait demandé crûment. L’autre lui avait répondu :

— Je me suis souvent posé la question. Mais non. J’ai attendu plusieurs mois avant d’agir et je savais que j’allais me brouiller avec tout le monde, mais cela a été plus fort que moi. Même si je m’étais abstenu de toute action, je n’aurais pas moins été suspect. Je me sens suspect en France depuis plusieurs années.

— Votre amitié avec les Liassov, avec ces transcendants étrangers vous a peut-être mis sur cette pente.

— Je ne me considère pas comme l’ami de Liassov, qui est un homme supérieur. Quant à elle… Je ne suis pas de ces hommes sur qui une femme peut influer. Je méprise les femmes autant que vous.

— Je ne les méprise pas, je les vois dans leur royaume.

— Allons, vous les méprisez, vous les haïssez. Vous méprisez et peut-être vous haïssez les hommes aussi.

— Alors, je suis infirme.

— Vous êtes ce que vous êtes.

— Que cela ! soupira Constant… Est-ce que vous connaissez les Allemands ?

— Personne ne les connaît et personne ne s’intéresse à eux.

— Au fond, les germanophiles sont des gens qui ont pitié des Allemands, de leur isolement. Il n’en a pas toujours été ainsi. Au siècle dernier les Allemands étaient dans l’intimité de beaucoup de nations… mais au fond, les Allemands n’ont communiqué avec le monde que par la philosophie et la musique, on ne leur pardonne pas les heures trop profondes qu’on a passées avec leurs grands esprits. Bah, tout cela c’est le passé… Ils ont joué un rôle formidable dans le développement des sciences. C’est eux aussi qui ont fait l’histoire…

— L’histoire…

— Oui, ça n’intéresse plus personne, assura Constant. Les hommes prennent en horreur l’histoire dont ils ont abusé. L’époque des lumières est bien finie, c’était l’époque de l’histoire. Les hommes ont besoin d’oublier…

— Bardy, vous êtes nationaliste ? demanda Constant un autre jour.

— Je l’ai été éperdument. Je vois ce que vous voulez me demander. Comment un nationaliste comme moi peut accepter si aisément la présence des Allemands ?

Il pourrait y avoir là en effet une dérision. Entre 1920 et 1935, j’ai montré une horreur et une fureur farouches à l’égard de tout internationalisme. Mais, depuis longtemps, je sentais la France tomber en faiblesse. Après 1934-1936, j’ai senti le besoin désespéré, urgent, d’ appuyer le nationalisme français à un autre nationalisme. Pendant des années j’avais pensé à l’appuyer au nationalisme anglais.

— Les pauvres nationalismes européens sont si exaspérés, si épuisés, qu’ils devraient s’appuyer les uns aux autres.

— L’Angleterre est tellement distraite et écartée de l’Europe par les intérêts de son Empire ; et puis les Anglais en étaient encore à une conception des choses hypocritement libérale qui est complètement morte pour moi : je me suis donc trouvé aussi étranger aux Anglais qu’à la plupart des Français.

— Salis aussi leur est étranger.

— Oui, mais le communisme a l’air d’être la continuation d’une vieille pensée française. Les Juifs ont l’art du camouflage ; ils camouflent admirablement la pensée terriblement réactionnaire (par rapport au XIXe, dans le langage du XIXe qu’est la pensée russe, qui elle-même est félinement inconsciente de son ambiguïté. Il faudra que les Russes soient ici, qu’ils viennent jusqu’à ces marais pour que les Français aient la révélation de l’abîme qu’il y a entre la réalité russe et les mots qui pour eux la recouvrent.

Ils en mourront, je crois, s’écria Constant avec une voix soudainement sarcastique.

Bardy le regarda avec surprise :

Mais vous êtes aussi passionné que moi et dans le même sens, Trubert.

Le visage de Canstant Trubert n’avait pas remué.

— Non, reprit-il d’une voix calme. Mais, bien que mon esprit soit au-delà de l’histoire, je ressens prophétiquement dans mes nerfs les violences de l’histoire.

— Pour en revenir à ce que je vous disais, reprit Bardy, ne pouvant plus m’appuyer sur les Anglais, j’ai essayé de m’appuyer sur les Allemands.

— Pauvres Français, qui doivent s’appuyer sur quelqu’un à tout prix. Les Anglais, eux-mêmes, s’appuient sur les Américains et, ce qui est pis, sur les Russes. Quand on faiblit, l’ami est pire que l’ennemi. Mais vous dites : « J’ai essayé de m’appuyer sur les Allemands. » Vous vous appuyez en plein sur eux !

— Je me suis aperçu depuis deux ans que les Allemands sont très faibles eux-mêmes. L’hitlérisme n’a été que le sursaut de quelques-uns d’entre eux, qu’ils ont pu imposer à la masse parce que celle-ci était aux abois. Les Allemands n’étaient pas assez jeunes pour se jeter dans le communisme et y faire peau neuve. Au fond, l’hitlérisme, en dépit de son côté héroïque, n’a été pour eux que le juste milieu entre le capitalisme et le communisme, entre le nationalisme et l’internationalisme. Mais ils se sont avérés incapables de faire vraiment l’Europe socialiste, ce qui aurait été leur justification.

— Alors ?

— Alors, soupira amèrement Bardy, je ne crois pas plus aujourd’hui au national-socialisme qu’à la démocratie. Je crois que le national-socialisme qui a essayé de se dégager de la démocratie s’y résorbera et que tout cela pêle-mêle sera écrasé par la Russie. Et ce sera bien, car mon idéal d’autorité et d’aristocratie est au fond enfoui dans ce communisme que j’ai tant combattu. Je recevrai la mort des communistes avec une amère satisfaction.

De marais en marais, à travers la forêt, la plaine humide, de la Vistule à l’Elbe, de l’Elbe à la Somme, les barbares arrivaient de nouveau. Mais « barbares » dans l’esprit de Constant n’avait aucun sens préjudiciel.

Toutefois, il discernait dans Bardy ce doute sur soi, cet esprit de dénigrement simiesque que chaque Français destitué insinue dans ses admirations étrangères et qui parfois retournait aussi Préault contre ses Anglais.

Constant exerçait une influence assez apaisante sur tous ces hommes pour pouvoir les amener à discuter ensemble sans trop d’éclats. Préault connaissait Bardy de longue date et ne répugnait pas à le rencontrer de loin en loin à la Maison des Marais.

— Bardy, demandait Préault, est-ce que vous ne ressentez pas de l’humiliation et de la honte ?

— J’ai ressenti l’humiliation de la défaite, mais non pas de l’occupation. La défaite dépendait de moi, l’occupation n’est qu’une conséquence.

— Peu importent la logique et la raison, je souffre et je veux écarter la souffrance. Vous, vous ne souffrez pas.

— Si, je souffre, mais il y a autre chose.

Constant, agacé, interrompait Bardy :

— Non, vous ne souffrez pas. N’ayez pas honte devant lui de ne pas souffrir. Moi, je ne souffre pas.

— Vous, Trubert, s’exclamait Préault, vous êtes un cosmopolite, un déraciné. Je me demande pourquoi vous êtes rentré en France pour 39.

— Et pourquoi je ne suis pas reparti en 40 !

— Oui, c’est vrai, c’est incompréhensible, ricana Préault.

— Bardy ne souffre pas de l’occupation des Allemands. Vous, Préault, ne souffriez pas de l’occupation des Anglais ici, avant, et vous n’en souffrirez pas s’ils reviennent.

— Ce n’est pas la même chose, cria Préault.

— Je souffrais de la présence de millions d’étrangers en France comme d’une occupation, riposta Bardy. C’est pourquoi j’étais nationaliste extrémiste. Leur occupation me paraissait pire que celle des Allemands parce qu’elle était plus dissimulée, parce qu’elle vous laissait des illusions, à vous autres : j’aime mieux recevoir un coup de couteau que d’être doucement intoxiqué.

Ici encore, Constant intervenait :

— Vous êtes patriote contre les Anglais, lui l’est contre les Allemands. Vous n’êtes plus du tout patriotes les uns ni les autres. L’époque du patriotisme, finie ! Il s’agit d’une guerre civile mondiale, une guerre de religions. Bardy aime mieux que la France soit allemande que menée par Préault et Préault aime mieux que la France soit anglaise ou américaine qu’aux mains de Bardy. Ainsi, les protestants livraient la France aux Allemands et aux Anglais et les catholiques aux Espagnols.

Préault et Bardy demeuraient rêveurs un instant. Préault se ressaisissait le premier.

— Je ne suis plus démocrate, je cherche uniquement dans l’Angleterre un appui momentané…

— Cela dure depuis 1902, s’écriait Bardy.

— … je ne suis pas totalitaire non plus, et j’ai plus de jeu avec l’Angleterre ou avec l’Amérique qu’avec l’Allemagne.

— Avec eux et toute leur séquelle, vous avez la marge de mourir doucement, sans vous en apercevoir, râlait Bardy.

— Croyez-vous vraiment, intercalait Constant, que l’Allemagne veuille sauver la France ?

— Oui, répétait Préault, le croyez-vous vraiment ?

Bardy prenait un air triste et obstiné :

— Je l’ai cru. Mais pour que l’Allemagne sauvât la France, il aurait fallu que la France voulût se sauver. Elle ne l’a pas voulu. Après trois ans il est prouvé que la France ne veut plus se sauver.

— Selon vos abominables théories, mais non selon les nôtres.

Bardy jouait de son air triste, maintenant tout à fait pathétique :

— Vous êtes un activiste, Préault, comme moi ; vous vous êtes heurté comme moi à l’inertie des Français. Croyez-vous qu’ils se redresseront aisément quand les Anglais et les Américains seront là ?

— Certes, ce sera difficile, concédait Préault, mais on y arrivera. Si je ne le croyais pas, je mourrais tout de suite.

Constant songeait, mais ne disait pas : « Ils croient sincèrement qu’ils sont tout entiers dans leur nationalisme. Pour ce genre de types-là, politiciens, c’est peut-être vrai ; mais ce n’est pas vrai ni pour la masse ni pour moi, l’exception. »

— Moi, qui vois votre discussion un peu du dehors…

— En cosmopolite, en internationaliste, s’esclaffait Bardy.

— … pour des nationalistes, vous êtes l’un et l’autre parfaitement louches. Jamais mon grand-père n’aurait joué ainsi des Anglais contre les Allemands, ou des Allemands contre les Anglais. Il les mettait tous dans le même sac.

— Les temps sont changés, faisait mollement Préault.

— Oui. La France ne se suffit plus à elle-même. C’est ce que vous ne voulez vous avouer ni l’un ni l’autre. C’est devenu un petit pays au regard des grands empires. L’Allemagne et le Japon sont le double de la France, les États-Unis le triple, la Russie le quadruple.

— Je me l’avoue, disait Bardy.

— Je ne l’admets pas, disait Préault, et c’est ce qui me distingue de vous.

— Je trouve, posait Constant, qu’en cela Bardy est plus perspicace et moins hypocrite que vous, Préault.

— Vous verrez comment nous nous débarrasserons des Anglo-Saxons, annonçait Préault.

— On verra cela, ricanait Bardy. D’ailleurs, vous ne croyez pas que vous vous en débarrasserez, car souvent vous m’avez dit : « J’aime mieux être anglais qu’allemand. » C’est donc que vous n’avez que ce choix. Eh bien moi, j’aime mieux être allemand, car étant allemand, je ne serais pas juif, ce que je serais si j’étais anglais.

— Le danger juif est un épouvantail, un chantage. Je ne veux pas devenir sûrement allemand sous prétexte d’être possiblement juif.

— C’est curieux, cette affaire juive, rêvait Constant.

Préault le regardait avec une curiosité horripilée.

— Vous, le cosmopolite, ça ne devrait pas vous gêner, les Juifs.

Bardy le regardait aussi avec méfiance :

— Être juif, déclarait Constant, c’est un état d’âme.

— Comment, vous ne croyez pas au sang, tonnait Bardy, vous ? Je n’aurais jamais cru ça de vous.

— Le sang, si, j’y crois, parce que c’est un mythe. J’aime les mythes. Un état d’âme séculaire entraîne un état physiologique ; donc, j’admets votre idée du sang. Les Juifs n’ont pas toujours été les Juifs, ils ont été les Hébreux, un peuple comme les autres, vivant sur sa terre – c’est-à-dire sur une terre qu’il avait conquise sur les autres et où il était tout mêlé à ces autres. Mais les Hébreux sont devenus les Juifs. Nous sommes en train de devenir tous des Juifs. Les Romains, à la fin de l’Empire, étaient intimement devenus des Juifs, des chrétiens, avant de le confesser et le professer.

— Oh, c’est trop compliqué pour moi, raillait Préault. Que voulez-vous dire ?

— Le Juif est le type parfait du décadent. Nous sommes tous en train en Europe de devenir des décadents. Mais…

Préault et Bardy se détournaient de lui et reprenaient la discussion entre eux deux. Il se détournait d’eux aussi. Pour détendre ses nerfs qui, en dépit de son grand flegme et de sa grande indifférence, s’étaient un peu exaspérés, il songeait à un texte thibétain. Il se baignait paisiblement dans la contemplation de sa beauté.

Il repensait aux énigmes des Évangiles. Judas jouait dans cette affaire un rôle énorme. C’était le traître. Or, la trahison est un emploi de première utilité dans la comédie humaine. C’est l’engrenage qui permet à toutes les roues de contribuer à un seul mouvement. Traître, traditeur, traducteur, transmetteur. Sans Iago, comment animer l’action entre Desdémone et Othello ? Cette nécessité, en s’élevant vers la sphère métaphysique, s’imposait encore mieux. Puisque Jésus doit mourir, comment le faire mourir ? Il faut que quelque force veuille bien s’en mêler… Mais n’anticipons pas. Tous les crimes sont collectifs et il n’y a jamais qu’un seul coupable, le peuple. Encore faut-il que le peuple tue par lui-même. Le peuple ne veut pas tuer lui-même Jésus, c’est que le peuple n’a pas plus d’initiative pour satisfaire sa soif de meurtre que pour satisfaire toute autre soif. Il faut que ses chefs lui tendent la coupe de sang. Or, les chefs aiment mieux le meurtre clandestin que le rut au coin de la rue ; ces chefs, assez raffinés, aiment bien les intermédiaires, un bourreau qui tache ses seules mains et non celles des chefs, un traître qui se charge de la salissure morale. Donc, faut-il trouver le traître, quelqu’un qui veuille bien faire le bouc émissaire. Sans doute, on trouve toujours des dévouements quand on en a besoin ; toujours on trouve des bourreaux, on trouve des traîtres. Pourtant, ce n’est pas n’importe lequel des mille passants qu’on rencontre dans la rue qui peut jouer le rôle de Judas. S’il ne s’agissait que d’une lettre anonyme, mais il faut se montrer.

Il est vrai que Judas avait peut-être cru, dans le premier moment, rester dans l’incognito comme on dit au Vatican.

C’était bien tentant de fouiller cette image de Judas et à partir du moment où l’on était dans la métaphysique, on pouvait s’en donner à cœur joie. Judas est un personnage indispensable, nécessaire. Sans Judas l’univers ne remue pas, sans Judas Dieu ne peut ni sortir ni rentrer en lui-même. Sans Judas aucune ouverture, aucune fenêtre ; c’est pourquoi on appelle ce jour de souffrance ou de salut qui ouvre sur un cachot ou un cabinet d’aisance : un judas. Sans Judas, le Dieu chrétien, qui pour une raison incompréhensible (le mystère de la création, c’est le mystère des mystères) a créé l’homme, qui pour une raison non moins incompréhensible a perdu l’homme, ne peut le sauver, troisième opération incompréhensible mais moins incompréhensible que les deux autres, que si Judas s’en mêle. Certes, Dieu est actif dans l’opération du salut, en tant que deuxième personne de la Trinité, à travers son fils. Mais ce fils a besoin de Judas. Me voilà sur une belle pente, il n’y a plus de raison de m’arrêter, et dans quel abîme vais-je culbuter ? Quel roman policier ! Judas a son libre arbitre, si peu que ce soit ; il pèse le pour et le contre, et il choisit. Il a l’air de choisir trente deniers contre sa réputation. Qui peut s’arrêter à ces babioles ? Il s’agit de bien autre chose. Il choisit que le monde remue, que le monde respire. Ce deus ex machina fait marcher la machine. Deus. Deus ? N’est-il pas lui-même un deus, un dieu ?

Comme derrière Iago ou Faust, nous voyons derrière lui se profiler Satan. Or Satan n’est-il qu’un ange ? N’est-ce pas un Dieu ? N’est-ce pas Ahriman, le presque égal d’Ormuzd ? N’est-ce pas l’autre Dieu de Mani ?

Sans aller si loin et en restant dans la mythologie chrétienne, on peut admettre que Judas a plus fait qu’aucun homme pour le salut de l’humanité puisqu’il n’a pas seulement accepté un supplice transitoire, mais un supplice éternel. C’est un type qui ressemble singulièrement à Prométhée. Du reste, Satan et Prométhée, n’est-ce pas tout un ?

Ce Judas, songeait Constant, c’est un bonhomme qui pigeait la dialectique et qui, connaissant la thèse, se chargeait bravement de l’antithèse, désireux d’engendrer la synthèse.

Très en arrière du pays des Marais, à plus de cent kilomètres, il y avait un camp qui attirait autant l’intérêt de Préault, de Salis, de Bardy que la Maison des Marais. Ils cherchaient tous trois à y faire des adhérents, et chacun y avait des intelligences. Constant entendait souvent parler d’un des jeunes chefs qui se disputaient là la pauvre jeunesse, si peu nombreuse, si mal élevée par ses parents, ne sachant pas très bien si elle se vouait à une héroïque nouveauté ou à la routine infâme et délicieuse.

Bardy se donna l’avantage de faire venir sur la côte ce jeune chef, qui passa deux ou trois jours à la Maison des Marais. Constant le considéra avec le même sentiment mélangé qu’il accordait aux aînés ; il s’intéressait à cette humanité brute – animale et spirituelle – tout en préparant sa méfiance à l’égard des ânonnements politiques dont elle devait être affadie. Cette méfiance s’exerçait de plus en plus envers les protagonistes de la comédie politique qui continuait sans vergogne son traintrain aux alentours et qui, lui rebattant les oreilles du matin au soir, l’empêchait d’écouter le murmure du vent dans les arbres des marais et sur les dunes. Dans l’obsession de ce voisinage, Constant devenait maussade, aigre, quinteux. En dépit de sa philosophie, dont Préault disait sottement qu’elle était panthéiste, Constant avait de plus en plus de peine à croire pratiquement que le murmure du vent et le papotement politique de tel ou tel étaient le même souffle et une rébellion montait en lui.

Tandis qu’il regardait le nouveau venu, une affreuse pitié lui tordit le cœur. Le garçon, qui s’appelait Cormont, Jacques Cormont, était très jeune. Il apparaissait comme une victime de la cruelle faiblesse du monde français et non comme un de ses agents, ce qu’il croyait pourtant être déjà. Les mots du jargon politique devenaient dans son sang comme des virus tout neufs et y rencontraient la fièvre. Il en était défiguré une seconde fois, l’ayant été déjà par le combat de 40. Son visage avait été brûlé et le ferme profil était enveloppé par le tissu cicatriciel comme par un vieux chiffon hideux. Mais le profil protestait contre la gifle sournoise ; dans le cuir bouilli, les yeux jetaient une flamme ardente et pitoyable. Constant aurait voulu se boucher les oreilles pour ne pas entendre les mots de billon qui allaient sortir de cette bouche touchée par le feu ; il constata avec soulagement que Cormont était assez sobre.

Cormont traitait avec la considération hargneuse qui va de soi ses aînés et il n’aurait même pas regardé Constant, s’il n’avait pas senti que l’autre avait une sorte d’expérience intime de la vie qui lui manquait à lui, jeune intellectuel jeté dans les combats les plus superficiels. À l’égard de Salis et Préault, il marquait la même timide mais obstinée rébellion qu’à l’égard de Bardy. À la manière de la jeunesse, il mélangeait la honte et la fierté et il en composait un incompréhensible bredouillement injurieux. Pour le mettre à son aise, au bout d’un moment, Constant se chargea de dire ce qui pouvait le plus lui déplaire et qui pouvait provoquer sa réaction la plus nette.

— La France est un coin du monde qui tombe dans l’oubli ; elle ne survit plus que par l’appel démagogique qu’on se croit obligé de lui lancer encore du dehors. Le peuple français n’est plus à l’âge politique, il est entré dans le sommeil séculaire et délicieux de toutes ces décadences qui peuplent la planète. Je pense à la Corée ou à la Birmanie. Si vous voulez vivre, jeune homme, votre violence politique, allez en Russie ou en Amérique. De quelle puissance étrangère êtes-vous l’agent, jeune nationaliste français ? Pour quel roi de Prusse travaillez-vous ?

— Je suis contre tous les rois de Prusse ; je suis contre les millionnaires, les commissaires du peuple, les S.S., le pape et la maçonnerie et les Juifs.

— La France, la France seule ! Jérusalem l’an prochain !

— Vous êtes un vieil anarcho…

— … édenté, un vieil anarcho édenté, rigola Constant. Je me suis usé les dents sur des continents plus durs que l’européen. Les terribles foules de Moscou, de New York, de Shanghaï font fi de votre pauvre vieille petite tribu d’Occident, jeune homme. Je regrette que vous vous acharniez à défendre le génie rabougri de la Loire et de la Seine. Il n’est pas défendable, il n’a pas besoin d’être défendu, il se défend tout seul. Il est aussi coriace qu’un dolmen oublié sur la lande. Les Français n’ont pas besoin de défendre la France, elle se défend toute seule, c’est un vieux caillou inusable.

— Mais non, s’écria Bardy, les Américains avec leurs films et les Russes avec leurs cellules commençaient très bien à concasser ce vieux caillou et à en faire un ciment anonyme.

— Je note, continua Constant, que les Allemands ou les Anglais nous ressemblent trop pour nous faire du mal, ils sont eux-mêmes cailloux sous les rouleaux compresseurs, russe, américain. Enfin, si vous ne vous exilez pas dans quelque cause étrangère, jeune Cormont, vous ne pouvez mener à l’extrémité de l’Occident que le jeu sordide d’un petit peuple irlandais enfermé dans son île avec ses gardiens de musée, jésuites ou maçons, qui dit sempiternellement merde à la terre entière et remâche son injure désolée.

— Nous ne sommes pas dans une île.

— Oh, on peut nous occuper sans s’intéresser à nous. Les Américains en Afrique sont aussi indifférents que les Allemands en France. Peu leur chaut qu’il reste encore dans les coins quelques grammairiens délicats. Vous ne serez même pas de ceux-là. Pour moi, si j’avais à recommencer ma vie et si je ne m’intéressais pas plus à la philosophie thibétaine qu’à toute autre chose, je me ferais américain ou russe, mais je ne m’attarderais pas aux spasmes mesquins d’une nation de second ordre.

Cormont grimaçait sans colère : il était sûr de ses vingt-cinq ans, ce qui faisait plaisir à Constant, qui lui était sûr de ses cinquante. Constant avançait son sale râtelier vers cette chair fraîche comme un vieux cheval qui ne croit plus beaucoup dans la vertu des jeunes avoines.

— Le peuple français, qu’il le veuille ou non, déclara Cormont d’un ton sec qui contrastait de façon plaisante avec son regard juvénilement affamé de sympathie, est arraché au délicat isolement thibétain où vous le croyez confiné comme vous. Il y a des centaines de milliers de jeunes Français qui vivent hors de la vieille France, en Allemagne ou en Afrique, et qui apporteront une autre haleine dans la sinistre cambuse. Ils ne seront plus ce qu’étaient leurs pères, qu’ils le veuillent ou non, même s’ils sont encore tentés de leur ressembler.

— Oui, c’est ça, ils ne sont plus des Français, ils sont pris dans les immenses mouvements de foules. N’appelez plus français ce qui n’est plus français.

— Ce sont des Européens, dit Bardy.

— L’Europe, l’Europe seule ! ricana Constant. Mais l’Europe est aussi disloquée que la France et autant qu’elle menacée d’extinction.