Les Chants du bivouac/Le petit fusil de bois

Texte établi par Avec une préface de M. Maurice BarrèsLibrairie Payot et Cie (p. 177-182).


LE PETIT FUSIL DE BOIS














 


 

LE PETIT FUSIL DE BOIS

Romagny !… Le beau village
Par ce jour ensoleillé !
Mais, nul n’y rit au passage :
Il a l’air tout endeuillé !

Il l’est, en effet, d’un crime
Hélas ! des plus révoltants
Puisque la douce victime
N’avait pas encor sept ans.


Tout au début de la Guerre
Un gai petit Alsacien
Debout au seuil de sa mère
Tenait un fusil, le sien :

Un flingot bien à la taille
De ses deux tout petits poings,
Terrible engin de bataille
De vingt sous, peut-être moins.

Soudain, voici que débouche
L’avant-garde d’Attila
Brandissant, déjà farouche,
Des « Mausers » — des vrais, ceux-là —

Et la chose énerve et vexe
Ce petit-fils des Gaulois :
Par un mouvement réflexe,
Levant son fusil de bois

Il l’épaule — ô crime horrible
Dont la Victoire dépend ! —
Il vise, imitant — terrible ! —
Les coups de feu : pan, pan, pan !

À ce geste du bon môme
(Poulbot revu par Hansi)
Un des soldats de Guillaume
Répond à coups de fusil !

Il tombe, le pauvre gosse ;
Il appelle sa maman ;
On l’achève à coups de crosse :
« Gloire au Kaiser allemand ! »


« Hoch ! Gott mit uns ! Gloire ! gloire ! »
Wolff annoncera demain
Cette première Victoire
Du vaillant Peuple germain !

Moi, j’ai conté ton histoire,
Enfant-martyr, doux héros,
Pour que l’on garde mémoire
Du crime de tes bourreaux ;

Et, si ton corps, petit brave,
Peut se retrouver encor
Je demande que l’on grave
Sur ta tombe, en lettres d’or :

« Ci-gît l’enfant qui, naguère,
Mit l’Allemagne aux abois
En partant, contre Elle, en guerre
Avec un fusil de bois ! »

(Romagny, 9 octobre 1914.)

Note de l’Éditeur :
xxxx Le préfet du Territoire a écrit à l’auteur, après lecture de cette poésie : « Je réaliserai votre rêve, cher poète et ami : Après la Victoire, le petit gars de Romagny aura sur sa tombe l’épitaphe de Botrel. »