Les Chants du bivouac/Le Sang des blessés

Texte établi par Avec une préface de M. Maurice BarrèsLibrairie Payot et Cie (p. 137-140).


LE SANG DES BLESSÉS














 


 

LE SANG DES BLESSÉS

Blessés, mes frères, mes enfants,
Je voudrais vous dire des choses
Comme on en dit aux triomphants
Par les grands soirs d’apothéoses ;

Je voudrais pleurer doucement
Sur votre chair endolorie,
Étancher le sang noblement
Versé pour la Mère-Patrie ;

Et, de me sentir impuissant
À soulager un peu vos peines,
Je m’épuise… de tout ce sang
Qui coule de vos jeunes veines ;

Et, moi, votre chantre, il me faut
Vous jalouser en ma nuit noire,
Ô vous qui rayonnez, là-haut,
Sur le seuil du Temple de Gloire !


Ô vous dont les siècles diront
Que, narguant fatigue et souffrance,
Vous avez, en couvrant son « front »,
Sauvé le cœur de votre France !

Ô vous dont nos petit-neveux,
Se sentant comme d’orgueil ivres,
Apprendront les noms glorieux
En les épelant dans des livres !

Ô vous qui venez de verser
— Victimes propitiatoires —
Le Sang qui, seul, doit arroser
Les palmes des justes Victoires,

Ce sang qu’il faut pour le salut
Des Peuples sur qui la Mort plane…
Tout comme, autrefois, il fallut
Celui d’un Christ et d’une Jeanne !

(Ambulances de Nancy, 4 Septembre.)