Les Chansons des trains et des gares/Nous déjeunerons dans le train
NOUS DÉJEUNERONS DANS LE TRAIN
Foin des buffets, et foin des terminus,
Où le restaurateur, l’en accuse ma Muse,
Cynique et déloyal, abuse
De ce que le train n’attend point :
Des buffets, des terminus, foin !
Installons-nous bien tranquillement dans le coin
De ce wagon, — nous allons loin,
Et le train est omnibus.
Qu’on est donc bien, qu’on est donc bien !
Ah ! c’est ce Monsieur Adrien,
Qui a toujours de bonnes idées !
Admirez, la vue est superbe, —
Et c’est comme un dîner sur l’herbe,
Sans rien à craindre des ondées…
Voyons d’abord dans le panier
Si Anna n’a rien oublié :
Allons, voilà toujours le sel
(Pour les œufs durs, essentiel) ; —
Ne manquerons-nous pas de pain
C’est que je me sens une faim !…
Ah ! le chemin de fer ça creuse !…
Voilà qui va des mieux ; oh ! oh !… —
Gourmand, on connaît vos défauts,
C’est la surprise :
J’ai vidé le petit flacon d’eau dentifrice,
Et je l’ai rempli de chartreuse. —
De l’eau !… apprenez, Henriette,
Qu’en voyage, on ne boit pas d’eau…
Je vais vous passer mon couteau :
C’est un couteau, avec une fourchette,
Et un tire-bouchon ; j’en avais fait emplette
Exprès, — c’est très commode, et même, dans le manche
Est pratiqué un trou qui peut servir pour boire…
— Comme c’est bien imaginé !… Faites-moi voir ?… —
Bon, voilà que ça se démanche !… —
— Fifille, ce Monsieur dans l’autre coin, là-bas,
Qui fait semblant de lire les Débats,
Qui sait s’il n’a pas faim, et s’il ne voudrait pas
Prendre avec nous une petite chose ?…
Demande-lui !… — C’est que je n’ose pas… — Va, ose !…
— Monsieur, voulez-vous me permettre ?…
De saucisson si vous plaisaient quelques rondelles ?…
Et le Monsieur, galant : — Certes, Mademoiselle,
Deux rondelles,
Deux, si vous les donnez au bout de la fourchette,
Et trois,
Trois, si vous les offrez avec vos jolis doigts. —