Les Chansons des trains et des gares/Noël

Édition de la Revue blanche (p. 167-171).


NOËL


(Et voici la petite histoire
De Noël,
Obligatoirement annuelle,
Annuellement obligatoire :) —

Je voudrais, comme au temps de mes jeunes années,
Mettre au coin de la cheminée,
Mettre mes souliers pour Noël :
Tant de joie cela me rappelle,
Noël !
Les dragées que suçait mon enfance gourmande,
Très lentement, pour en croquer, après, l’amande ;
Et les bonbons au chocolat

Dont, hélas !
Nous ne sommes pas encore las !…
Et les marrons glacés, les gros marrons glacés,

        [« Jamais nous n’aurons
                » Assez
        » De ces bons marrons
                » Glacés !… »
                        (Camille Doucet.)]

Ah ! douce, la douce surprise.
Quand, au réveil, on courait, en chemise,
Nu-pieds, et battant des mains,
Vers les souliers qu’on trouvait pleins
De friandises !…
Si je les mettais encore, hein !
Mes souliers près de la bûche, pour demain ;
Mais je crains,
Le petit Noël, qu’il se fâche :
— Voyons, Monsieur Franc-Nohain,
Vous n’avez pas honte, à votre âge !

Et puis mes souliers, maintenant,
Naturellement,

Comme je suis devenu grand,
Ils ont grandi, eux aussi, —
(Pas les mêmes, ceux qu’aujourd’hui
(J’achète, —)
Et alors je réfléchis
Que, peut-être,
Cette prétention serait fort indiscrète,
Si grands, vouloir qu’il les remplît…

Eh bien, j’en achèterai
Exprès,
Une paire de tout petits
Dans une boutique ;
Et je les ferai bien cirer,
— Ah ! pas une tache de boue,
Surtout,
Ni poussière, — qu’ils reluisent à s’y mirer !
— Sans quoi, le bon Noël pourrait
Demander d’un ton qui se pique :
— Ça, mais,
Croyez-vous donc qu’ainsi je brave la froidure
Pour venir faire vos chaussures,

Est-ce que vous me prenez pour un domestique ? —

Ces petits souliers tout petits,
Près de l’âtre je les ai mis,
Et tandis
Que mes songes heureux sont de sucre candi
Et de chocolat à la crème,
Quelqu’un s’approche et me réveille,
Et qui me chuchote à l’oreille :
C’est Noël,
Ignorant de mon stratagème ;
— Mon pauvre ami, me vient-il dire,
Avec des souliers si étroits
Tu dois
Souffrir un horrible martyre :

(Moi, du moins, c’est pieds nus que j’ai porté la croix !)

Prends cette petite bouteille,
Et tu m’en diras des nouvelles :
Uses-en, aussitôt disparaîtra ton mal… —

Voilà mon conte de Noël ;

Mais quant au nom de ce remède étrange,
Je ne vous le puis répéter,
Car le petit Noël n’avait pas de traité,
De traité de publicité
Avec les éditions de la revue blanche.