Les Causes de la révolution/Esprit de Vertige


ESPRIT DE VERTIGE REPANDUE DANS LA NATION,
NOTE SUR LA FRANC-MACONNERIE.


Cependant un mécontentement universel, paraissait de toutes parts à un point effrayant : la secte des novateurs, qui était très considérable et s’augmentait encore tous les jours, montrait déja, une partie de cette fureur et de cet enthousiasme qu’elle a eu depuis, si souvent occasion de déployer. Les bâtimens publics, étaient couverts de placards incendiaires, où le roy était dépeint sous les plus noirs couleurs : On reprochait au peuple, son peu d’énèrgie et on l’engageait à se soulever.

Dans la foule des factieux, il y en avait un petit nombre qui dans l’ombre du mystere complotaient la subversion totalle de ce gouvernement, qu’au fait le gros de la nation voulait réformer, mais pas détruire. Ceux là, profitaient des abus d’autorité de la cour, aussi bien que des fausses démarches du parlement, ils échauffaient les têtes par des récits trompeurs, où des faits éxagérés ; les maux passés étaient représentés comme le prélude de futurs ; on accusait la cour d’avoir l’intention, de réduire la nation à un état entier de servitude ; on donnait, il est vrai, des louanges à la résistance du parlement, mais on étallait en même tems, une telle afféctation de philantropie et de philosophie, qu’on aurait pu dès lors voir, que non seulement on cherchait à armer le peuple contre la cour, mais encore à le détacher des principaux ordres de l’état ; ils faisaient à présent disait-on cause commune avec lui, parceque leurs intérèts se trouvaient compromis dans la dispute, mais au premier moment, où ils verraient, qu’ils pourraient se sauver à ses dépens, ils s’en détacheraient certainement.

Dans ce tems, comme on a pu le remarquer, le Duc d’Orléans, avait été envoyé en éxil ; outre ce sujet de mécontentement contre la cour, il en avait d’autres d’un nature beaucoup plus sensible? Le roi et la reine particulierement, lui avaient souvent donné des marques non équivoques du plus profond mépris.

A l’occasion de son nouveau palais royal, qu’il avait rempli de boutiques, dont il tenait même quelques unes par ses agents, le roy s’était permis dit on, quelques plaisanteries, aisi que sur sa fameuse éxpédition marine à Ouessant, et lui avait plusieurs fois demandé des nouvelles des Anglais. La police aussi, n’avait pas pris le moindre soin, pour tâcher d’empêcher les Parisiens de s’égaier à ses dépens, dans les caricatures, où dans les chansons de rue ; j’ai vu un portrait de lui, exposé au public, au bas duquel il y avait, mare vidit et fugit, et Jordanis conversus est in retrorsum, un autre où à moitié caché dans un coffre à fond de cale, une bouteille à la main, les mots courage, amis, sortaient de sa bouche. Comme il chèrchait partout des locataires, pour habiter son palais royal, et que même souvent il faisait des bassesses pour en avoir, on le représenta habillé en chiffonier, chargé d’une hotte, et au bas le Duc d’O*****s, cherchant des Loques à Terre. Ce jeu de mots assez ingénieux, fit rire tout Paris à ses dépens : Ses orgies aussi n’étaient point ménagées dans les satyres du tems ; on le représentait comme la sentine de tous les vices, sans aucune vertu où qualité aimable, qui put les rendre moins dégoutans. Il était donc tres naturel, de supposer qu’un tel prince par motif d’ambition où de vengeance, se prêterait volontiers à ce qui pourrait le conduire, à satisfaire ses vues criminelles.

D’après ce petit préambule, il ne doit plus paraitre si surprenant, de voir le Duc d’Orleans à la tête des représentations et des oppositions les plus violentes contre la cour, en un mot à la tête du parti populaire : ni d’entendre de toutes parts les louanges outrées, d’un homme que la cour aussi bien que toute la nation, regardait quelques mois auparavant, avec le plus profond mépris.

Le principal obstacle, était l’ésprit intéréssé, ou plutôt l’avarice connue du prince, mais que ne peut l’ambition et le désir de la vengeance : on scut si bien, lui faire entendre raison à ce sujet, que la seconde année de la révolution, son immense fortune de plus de quatre vingt millions, ou près de trois millions quatre cent mille livre sterlings fut presque entierement épuisée, par les dépenses sécretes de ses intrigues, qui si elles ont renversé la monarchie, l’ont aussi conduit sur le même échaffaud où il avait fait monter son roy *.

Il ne parait pas que les agens, qui le méttaient en avant, eussent l’intention, de faire rien autre chose de lui qu’un levier pour leur grand ouvrage, par la facilité de puiser à pleines mains dans ses trésors, et s’en défaire après. Il parait aussi, par d’autres circomstances que le Duc d’Orléans, pensait depuis quelque tems, à des projets sérieux et dont l’éxécution, semblait avoir été remise, jusqu’à ce qu’une occasion favorable se présentat.


↑ Le Duc d’Orléans a avoué à son dernier intérrogatoire, que la corruption du seul corps des gardes Françaises, lui avait couté plus d’un million tournois, 50000. sterlings.


Sept ou huit ans avant la révolution, on sait que le Duc, (malgré le mépris dont il était couvert), avait réussi à se faire nommer grand maitre général des francs-maçons, de la loge de l’orient, et comme tel de toutes les loges du royaume.

On ne conçoit guères dans la Grande Bretagne, comment le grade de grand maitre maçonique, peut fournir les moyens de conspirer contre l’état ; mais par tout le continent de l’Europe, la conséquence en est beaucoup plus grande que dans cette isle. Le Duc Ferdinand de Brunswick, qui en était revêtu, éxcita en Allemagne la jalousie de l’Empereur, et de tous les princes de l’empire : dans la plupart des villes principales, les habitans avaient plus de respect pour le grand maitre des maçons que pour leur propre souverain. Le Duc d’Orléans ne pouvait pas prétendre au même réspect en France, par le mépris que l’on avait pour son caractere, mais il réussit quelque tems après sa nomination, à établir des comités sécrets, où il n’admit que ceux qui avaient sa confiance. Il les remplit de soldats aux gardes Françaises et de gens du commun à ses gages, qu’il avait admis dans la loge, ils y étaient souvent régalés et prêchés sur l’égalité, la fraternité, &c. anciens sujets il est vrai de la maçonnerie, mais dont on faisait alors, plus d’usage qu’à l’ordinaire, et qui au fait ont aussi été les premiers, d’abord employés par les révolutionaires, ce qui semble indiquer la source d’où ils sont venus *. Voyez la note sur la franc-maçonnerie.

Sous prétexte de cette égalité et fraternité maçonnique, les officiers aux gardes ne tarderent pas à s’appercevoir, que leurs soldats prenaient quelques fois avec eux, des tons insolens que même quelques uns conservaient hors de la loge. Enfin au commencement de 1789, les insolences de leurs soldats et les désagrémens qu’ils y éprouvaient furent poussées a tel point, qu’ils furent obligés d’abandonner la loge.

Je laisse le lecteur, faire sur ce sujet que je puis certifier avoir entendu tres souvent, à des temoins oculaires, toutes les réfléxions qu’il lui plaira : je me contenterai seulement de remarquer, qu’il semble que la cour avait quelque connaissance des manoeuvres qui pouvaient se pratiquer sous le voile de la maçonnerie, car je me rappelle, qu’elle dissipa à plusieurs reprises, des loges à Versailles et à Paris, et leur défendit de s’assembler jusqu’à nouvel ordre.



note sur la franc-maçonnerie.


(*) Comme ce que je vais présenter, n’est apuyé que sur des oui dire et pourra peutêtre paraitre fabuleux, je trouve mon excuse dans l’obligation que j’ai prise de rapporter tout ce qui peut jetter quelques lumieres, sur l’origine de la catastrophe cruelle qui a detruit l’ordre en France, et menace d’envelopper tous les états de l’Europe dans la même anarchie ; je prie aussi tous les francs maçons du monde, de me pardonner les libertés que je vais prendre, je suis pleinement convaincu que le grand nombre de leurs assemblées, n’a jamais eu d’autres motifs que le plaisir, où le désir d’être utille et d’éxercer quelques actes généreux de bienveillance ; mais comme elles ont toujours été secrétes, que toute éspéce d’homme y est admis, que là, régne dans toute sa force, l’égalité si vantée dans ces derniers tems : il est dumoins permis, de tacher de lever, d’une main prophane, le coin du rideau, qui couvre les mysteres et de supposer que parmi le grand nombre de personnes qui ont vu la lumiere, il y en ait quelques unes qui pensent à autrechose qu’à l’équerre et la truélle du bonhomme Iram.

Quand on fait la réfléxion, que leurs assemblées quoique très secrètes et très nombreuses sont tolérées, dans tous les états de l’Europe, san présque d’inquisition de la part du gouvernement ; tandis qu’un obscur ramassis de misérables dans un galetas, met souvent en mouvemens tout les éspions d’un pays ; on s’étonne avec juste raison, de les voir méprisés au point de ne pas même éxciter l’attention, puis qu’il est connu que toutes les loges corréspondent entre elles, en termes mystiques, que l’ordre entier a un chef que l’obéissance la plus absolue est requise dans tous les différes degrés, depuis les philosophes inconnus, les chevalliers errans, princes souverains de l’univers, jusqu’au novice qui pour la premiere fois fait son entrée dans la loge et se soumet aveuglément à toutes les épreuves bizarres, que la folie, ou la gaité des anciens compagnons peuvent imaginer.

Je commence par déclarer, que si j’ai eu l’honneur de voir la lumiere, je n’ai pas passé le soeuil du temple, et dans une loge où j’en suis bien sur, on ne pensait qu’au plaisir, et où les assemblées étaient des bals charmans ; le secret important qui m’a été confié, je le garderai avec soin et en cela, je n’aurai pas grand peine. Je suis bien aise d’en faire la declaration, afin de ne pas effaroucher les vénérables, et avoir une occasion de leur offrir mon respect profond.

Plusieurs savans se sont donnés beaucoup de peine, pour connaitre l’origine de la franc maçonnerie ; les uns, ont prétendu que les Juifs à la captivité de Babylone étaient convenus entre eux, de quelque signes particuliers, pour pouvoir se reconnaitre parmi leurs vainqueurs ; d’autres que les Chrétiens du tems des persécutions, avaient fait le même accord, puis apres les défaites qu’ils éprouverent durant les croisades, &c. &c. quoique toutes ces opinions ne soient pas invraisemblables, je ne m’arrêterai pas à les discuter, et ne parlerai seulement que de ce qui a rapport à mon objet principal.

J’ai entendu dire, que lorsque l’ordre des templiers eut été détruit et que ses principaux chefs, entre autres le grand maitre, eurent été éxécutés et brulés vifs à Paris, convaincus disait-on, d’un grand nombre de crimes dont le plus grand semble avoir été leur richesses. Les chevaliers, dispersés par toute l’Europe, obligés de se soumettre à la force qui leur enlevait leurs biens et menaçait leurs personnes, animés par le désir de la vengeance et par celui, (encore plus naturel aux malheureux) de se communiquer les uns aux autres, de se voir, de se parler, se plaindre en liberté et enfin se rendre les bons offices que la société leur refusait, réussirent à former des assemblées secrettes dans quelques endroits retirés de la France, et de l’Allemagne.

Ils se donnerent des signes, et un mot qui devait changer tres souvent, afin de se reconnaitre ; ils s’engagerent par les serments les plus solemnels, à ne jamais divulguer ce qui se passerait parmi eux : ils établirent des cérémonies emblématiques, toutes ayant rapport à l’événement qui acheva leur ruine, où marquant leur desir de vengeance et leur éspérance d’une réstoration prochaine.

On m’a même assuré, que le principal objet de la maçonnerie cet Iram qui fut tué dans le temple de jérusalem dont il était l’architecte, représente l’infortuné grand maitre des templiers : que les cyprès, les palmes, &c. ne sont que des emblêmes en son honneur, qu’enfin le phœnix se renouvellant dans ses cendres, en est un frappant de leurs éspérances ; on dit aussi, que trois objets principaux sont consignés à l’éxécration et à la vengeance des maçons.

Ces trois objets représentent dit on, le Pape, pour avoir dissous l’ordre des templiers, le roi de France pour les avoir cruellement tourmentés, et injustement mis à mort, et le grand maitre de Malte, pour avoir excité contre eux, l’animosité des puissances par de faux rapports, afin de s’emparer de leurs biens, dont en effet l’ordre de Malte a toujours joui depuis leur dissolution.

L’éxécution de ces projets sanguinaires est, assure-t-on, le grand objet de la maçonnerie, mais le secret n’en est confié qu’à un petit nombre, qui par de longues épreuves, et par leur fermeté et constance dans les grades infinis qu’il leur a fallu passer, avant d’arriver à la haute éxaltation de philosophe inconnu, ont montrés par leur courage, discrétion, obéissance, sombres et enthousiastes dispositions qu’ils étaient capables d’entreprendre, et de supporter les plus grandes choses, sans crainte ni remords.

Les épreuves sont toujours du genre terrible et sombre, et demandent la plus implicite et la plus prompte obéissance, on présente au récipiendaire, un pistolet qu’il doit tirer dans sa bouche, on le place sous un drap mortuaire, à coté d’un squelette, on le fait monter trois ou quatre échélles de suite, les yeux bandés, puis on lui commande de se jeter à la renverse, &c. &c. Si dans aucunes de ces occasions, il témoigne la moindre terreur, où répugnance, on le mét de coté et on ne lui communique, que les fables et les puérilités, dont on amuse le vulgaire.

On m’a dit que dans une des grandes épreuves, après les plus sanglantes menaces en cas de refus et la vue de cadavres, de gens, qu’on disait avoir été tués sur leur refus d’obéir, on présenta en Flandre à un homme (qu’on m’a nommé), son frere lié et garotté, implorant sa miséricorde, on lui dit qu’il avait enfreint les lois de la maçonnerie, et que c’était à lui, comme récipiendaire à donner preuve de son courage, et de son entier dévouement, en punissant l’outrage qui lui avait été fait : on lui mit un poignard à la main, et ajoutant qu’en condescendant à la foiblesse humaine, on consentait à lui remettre le bandeau sur les yeux, on lui posa la main gauche sur le coeur palpitant de la victime, qui avec les accents connus de son frere, implorait grace de ses bourreaux, on lui ordonna de lui percer le coeur et sans balancer l’ordre fut éxécuté.

Je demande si un tel homme, qui au fait dans ce moment ne tua qu’un agneau, n’eut pas été capable de faire tout ce qu’on aurait pu lui commander de plus atroce ; serait il tres étonnant, qu’un ambitieux scut diriger pour l’accomplissement de ses vues criminelles, un certain nombre de ces gens téméraires et fanatiques, disposés à tout entreprendre sans crainte, réfléxion, où hésitation.

Quoi qu’il puisse être de ces réfléxions, qui peutêtre sont chimériques, toujours est il certain, que la conduite du Duc d’orleans y a donné lieu et qu’après un mur examen, on n’ose pas se permettre de décider.

Après avoir vu la lumiere, avec toutes les formalités extravagantes, en usage dans telles cérémonies, un homme agé et qui avait suivi la maçonnerie pendant longtemps avec beaucoup de chaleur : me demanda, ce que j’en pensais, c’est bien du fracas répondis je, pour des fadaises ..... des fadaises dit l’autre, jeune homme, gardez vous de juger trop vite, il y a vingt cinq ans que je travaille : plus je vais, plus la matiere est intéréssante, quoiq’à dire vrai, je sois arrété depuis quelques années et qu’aucun effort, ne puisse me faire avancer d’un pas.

Dans une conversation plus intime, il pensa que son peu de progrès, pouvait bien venir du refus qu’il fit neuf ans avant la révolution, d’écouter des gens qui lui firent secrettement hors de la loge, des propositions horribles et séditieuses, que depuis ce moment il n’avait pas fait un pas, ni gagné un grade, que même il avait remarqué qu’on le traitait avec plus de réserve, qu’on avait même cherché à embrouiller les idées, qu’il pouvait déja avoir et qu’on y avait en partie réussi.

Voila à peu près, tout ce que je sais sur ce sujet, qui quoique tres imparfait, pourra peutêtre faciliter à l’homme plus instruit, l’intelligence du mythe obscur, qui couvre le berceau de la révolution.



Dans quelques unes des provinces, on avait été obligé d’avoir recours à la force militaire, pour mettre les ordres du roy à éxécution ; le peuple s’était attroupé et avait paru resolu à défendre son parlement. Sa contenance menaçante jointe à la déféction des troupe, qui dans plusieurs endroits avaient forméllement refusé de tirer sur leurs freres, (car ce terme était déja de mode) en avait assez imposé sur quelques commandans, pour ne pas oser les mettre à éxécutions, où même les forcer à la fuite. Ainsi à Toulouse, où l’on n’était point habitué à avoir de troupes, le peuple chassa leur commandant, les soldats eux mêmes se joignirent à lui et ne rentrerent dans leur devoir, qu’après que le parlement de son plein mouvement, eut quitté la ville pour se rendre en éxil.

Les choses furent encore poussées plus loin à grenoble, partie de la garnison se joignit au peuple, l’autre demeurant fidelle il s’ensuivit une espéce de bataille, où il y eut quelques gens de tués.

La populace, après s’être emparé de l’arsenal et s’y être armé, menaça de mettre le feu aux quatre coins de la ville, força et pilla l’hotel du commandant, où elle se saisit de lui et fut sur le point de le mettre à mort. Tel était à peupres l’état des choses dans toutes les villes à parlement. La noblesse, les propriétaires et tous les ordres de l’état, voyaient sans peine et même favorisaient la résistance energique du peuple, elle leur semblait alors légitime : ils ne pensaient pas, que ces actes violens de sédition, l’accoutumaient par dégrès, à se moquer des autorités, à ne connaitre d’autre loix et d’autre frein que sa volonté, et à ne plus voir que dans lui même, le moyen de redrésser les injustices réélles ou imaginaires, qu’on lui avait faite et d’empêcher qu’on ne lui en fit de nouvelles.

La cour elle même, saisie par l’esprit philanthropique du jour, semblait dans quelques circonstances, donner des marques d’approbation à la résistance qui lui était opposé. Elle donna même des récompenses à des officiers, pour n’avoir pas fait leur devoir et n’avoir pas éxécuté ses ordres. Il y en eut un exemple bien singulier à Rennes, où le parlement de Bretagne, s’assembla malgré les ordres du roi, et declara coupables de trahison, tous ceux qui prendraient des emplois dans la nouvelle administration. Un officier qui avait été envoyé sur la place à la tête d’un poste, pour dissiper la foule, se laissa entourer par elle et même accabler de pierre et d’injure sans faire la moindre résistance, quoiqu’il ne semble pas, que les troupes montrassent dans cette occasion, beaucoup de répugnance à faire leur devoir.

Après que son poste eut été insulté, que plusieurs de ses soldats eussent été bléssés par les pierres de la populace, il en reçut une lui même qui le culbuttat. A la vue du sang, et de l’insulte faite à leur officier, les soldats indignés se préparaient à repousser la force par la force, (ce qui au fait semblait fort raisonnable) lorsque l’officier s’appercevant de leur mouvement, se releva et saisissant leurs armes, leur ordonna de respecter leur compatriotes, dont la colere, dit il, était juste.

La garde se désista, et laissa forcer ses rangs par le peuple qui ayant apperçu, ce qui s’était passé, s’empara de l’officier, et le plaçant sur ses épaulles, le promena ainsi en procéssion, tout autour de la ville, en chantant et en dansant.

Peutêtre aussi cet officier, n’avait point reçu ordre de se défendre, car c’est ainsi qu’on a traité le militaire un an avant et après la révolution, l’envoyant sur les places publiques, recevoir les pierres et les outrages de la populace, sans avoir la liberté d’user de la force ; tandis que de l’autre côté, les mutins offraient aux soldats s’ils voulaient les joindre, de l’argent, du vin, des femmes, la sureté de l’impunité, promesse d’avancement, l’égalité, la liberté, le pillage, &c. &c. &c. que pouvaient faire les officiers dans cette position embarrassante, n’étant point soutenus par le gouvernement et responsables de tout ce qui pourrait arriver ..... rien du tout ..... aussi tout a-t-il été à tous les diables, et je mets en fait qu’une armée d’anges ne se serait pas beaucoup mieux conduite.

Qui pourrait imaginer que cet oficier, non seulement ne fut pas reprimandé, pour avoir laissé forcer son poste, mais que même son panégirique fut publié dans les gazettes avec la copie de la lettre flatteuse, que le ministre lui ecrivit à ce sujet, en lui envoyant la croix de St. Louis, le grade de capitaine et une pension.

Tous les papiers éleverent son courage, même au dessus de celui des Romains, car disait on, le leur consistait à repousser les outrages et les coups par la force, et le sien beaucoup plus difficile avait été de les souffrir tranquillement sans crainte ni émotion : il est sûr qu’il y avait quelque chose de grand et de généreux dans son action, car il avait la force en mains, mais les aplaudissements qu’il reçut presque générallement du public, joints aux récompenses de la cour ont été un leurre fatal qui a produit les plus funestes conséquences, comme cela devait nécessairement arriver.

Je crois qu’il n’est pas hors de propos, de rappeler que le sicophante Necker, était alors à la tête du ministere.

Cependant le parlement de Bretagne, obéit aux ordres du roy, et se sépara, de son plein accord : cette séparation était tout ce que désirait la cour, car par la constitution de la province ce n’est point à lui, qu’elle s’adressait pour l’enrégistrement de nouveaux édits, mais aux états assemblées qui avaient le droit de les accepter où de les refuser : Dans le premier cas on les envoyait au parlement pour les enrégistrer.

Quelques fois cependant dans les intervalles des états, la cour s’adressait au parlement, quoique dans aucun cas, son enrégistrement ne put suffire (que provisoirement) sans leur sanction.

________