Les Caquets de l’Accouchée/Appendices


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APPENDICE.

I.

Car, puisque nous sommes à parler des marchandes, ne fut-ce pas voirement grand oultraige à cette femme de marchand de vivre voire comme marchant. Ce n’est mie comme ceulx de Venise ou de Gennes, qui vont oultre-mer et par tous pays ont leurs facteurs, achaptent en gros et font grandz fraiz, et puis semblablement envoyent leurs marchandises en toutes terres, à grandz fardeaulx, et ainsi gaignent grandz richesses, et tels sont appellez nobles marchantz ; mais celle dont nous disons achapte en gros et vend en detail pour quatre souz de denrées, se besoing est, ou pour plus ou pour moins, quoiqu’elle soit riche et portant trop grand estat. Elle fist une gesine d’ung enfant qu’elle eut n’a pas longtemps. Ains qu’on entrast dans sa chambre, on passoit par deux autres chambres moult belles, où il y avoit en chascune un grand lict, bien et richement encourtiné ; et, en la deuxiesme, ung grand dressoir, couvert comme ung autel, tout chargé de vaisselle d’argent ; et puis, de celle-là on entroit en la chambre de la gisante, laquelle estoit grande et belle, toute encourtinée de tapisserie faicte à la devise d’elle, ouvrée très richement de fin or de Chippre ; le lict grand et bel, encourtiné d’ung moult beau parement, et les tappis d’entour le lict mis par terre, sur quoy on marchoit, tous pareilz à or. Et estoient ouvrez les grandz draps de parement, qui passoient plus d’un espan par soubz la couverture, de si fine toille de Reims, qu’ils estoient prisez à trois cens frans ; et tout par dessus le dict couvertouer à or tissu estoit ung autre grand drap de lin aussi délié que soye, tout d’une pièce et sans cousture, qui est une chose nouvellement trouvée à faire et de moult grand coust, qu’on prisoit deux cens frans et plus, qui estoit si grand et si large qu’il couvroit de tous lez le grand lict de parement, et passoit le bort du dict couvertouer qui traisnoit de tous les costez ; et en celle chambre estoit ung grand dressoir tout paré, couvert de vaisselle dorée ; et en ce lict estoit la gisante, vestue de drap de soye tainct en cramoisy, appuyée de grandz oreillez de pareille soye, à gros boutons de perles, atournée comme une damoyselle. Et Dieu scet les autres superfluz despens de festes, baigneries, de diverses assembleez, selon les usaiges de Paris à accouchées, les unes plus que les autres, qui là furent faictes en celle gesine ! Et pour ce que cest oultraige passa les autres (quoy qu’on en face plusieurs grandz), il est digne d’estre mis en livre. Si fust ceste chose rapportée en la chambre de la Royne, dont aucuns dirent que les gens de Paris avoient trop de sang, dont l’abondance aucunes fois engendroit plusieurs maladies. C’estoit à dire que la grand habondance de richesses les pourroit bien faire desvoyer ; et pour ce seroit le mieulx que le roy les chargeast de aucun ayde, emprunt ou taille ; par quoy leurs femmes ne se allassent plus comparer à la royne de France, qui guères plus n’en feroit. (Fº 107 de le Trésor de la cité des dames, selon dame Christine, de la cité de Pise, livre très utile et prouffitable pour l’introduction des roynes, dames, princesses et autres femmes de tous estats, auquel elles pourront veoir la grande et saine richesse de toute prudence, saigesse, sapience, honneur et dignité dedans contenue. — Avec privilége. — 1536, in-8.)

II.

Or approche le temps de l’enfantement ; or convient qu’il ait compères et commères à l’ordonnance de la dame ; or a grand soussy pour querir ce qu’il faut aux commères et nourrisses et matrones qui y seront pour garder la dame tant comme elle couchera, qui beuvront de vin autant comme l’en en bouteroit en une bote. Or double sa peine ; or se voue la dame en sa douleur en plus de vingt pelerinages, et le pauvre homme aussi la voue à tous les saincts. Or viennent commères de toutes pars ; or convient que le pauvre homme face tant que elles soient bien aises. La dame et les commères parlent et raudent et dient de bonnes chouses, et se tiennent bien aises, quiconques ait la peine de le querir, quelque temps qu’il face ; et s’il pleut, ou gelle, ou grelle, et le mary soit dehors, l’une d’elles dira ainsi : Hellas ! mon compère, qui est dehors, a maintenant mal endurer ! Et l’autre repond qu’il n’y a force et qu’il est bien aise. Et s’il avient qu’il faille aucune chose qui leur plaise, l’une des commères dira à la dame : Vraiment, ma commère, je me merveille bien, si font toutes mes commères qui cy sont, dont vostre mary fait si petit compte de vous et de vostre enfant ! Or, regardez qu’il feroit si vous en aviez cinq ou six. Il appert bien qu’il ne vous ayme guères : si lui feistes-vous le plus grand honneur de le prendre qu’il avenist oncques à pièce de son lignage. — Par mon serment, fait l’autre des commères, si mon mary le me faisoit ainsi, je ameroye mieux qu’il n’eust œil en teste. — Ma commère, fait l’autre, ne lui accoustumez pas ainsi à vous lesser mettre sous les piez, car il vous en feroit autant ou pis, l’année à venir, à vos autres accouchemens, etc., etc....

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Or de sa part, le proudomme fait aprester à diner selon son estat, et y travaille bien, et y mettra plus de viande la moitié que au commencement propousé n’avoit, par les ataintes que sa femme lui a dites. Et tantoust viennent les commères, et le proudomme va au devant, qui les festoye et fait bonne chière, et est sans chapperon par la meson, tant est jolis, et semble un foul, combien qu’il ne l’est pas. Il maine les commères devers la dame en sa chambre et vient le premier devers elle, et lui dit : M’amie, voyez cy vos commères qui sont venues. — Ave Maria, fait-elle, je amasse mieulx qu’elles fussent à leur meson, etc. Lors les commères entrent ; elles desjunent, elles disnent, elles menjent à raassie ; maintenant boivent au lit de la commère, maintenant à la cuve, et confondent des biens et du vin plus qu’il n’en entreroit en une bote ; et à l’aventure il vient à barrilz où n’en y a que une pipe. Et le pouvre homme, qui a tout le soussy de la despense, va souvent voir comment le vin se porte quand il voit terriblement boire. L’une lui dit ung brocart, l’autre li gette une pierre dans son jardin. Briefvement, tout se despend ; les commères s’en vont bien coiffées, parlant et janglant, et ne s’esmoient point dont il vient...., etc. (P. 26 des Quinze Joyes de mariage ; nouvelle édition, conforme au manuscrit de la Bibliothèque de Rouen, etc. Paris, Bibliothèque elzevirienne de P. Jannet, 1853.)

Le passage suivant, des Ténèbres de Mariage, complète le tableau :

Quand vient à l’enfant recevoir,
Il fault la sage-femme avoir,
Et des commères un grand tas.
L’une viendra au cas pourvoir ;
L’autre n’y viendra que pour veoir
Comme on entretient telz estatz.
Vous ne vistes oncq tel caquet :
Çà ces drapeaux, çà ce paquet,
Çà ce baing, ce cremeau, ce laict
Et voilà le povre Jaquet
Qui luy servira de naquet,
De chamberière et de varlet.

IIII.

Dieu scet se bien sont espluchées
Paroles et menus fatras
Aux chambres de ces accouchées ;
Les fenestres ne sont bouchées
Que à faulx et à manches d’estrilles ;
Les couches ne sont attachées
Que de grands lardons pour chevilles ;
Les carreaux sur quoy seent les filles
Sont pains d’ung tas de semi-dieux ;
Les tapis, ce sont evangilles
Et vies à povres amoureux.
Au chevet du lict, pour tous jeux,
Pend ung benoistier qui est gourd,
Avec ung aspergès joyeulx,
Tout plain d’eaue benoiste de court ;
La garderobbe, c’est la court
Là où on traicte noz mignons ;
Là on n’espargne sot ne sourt ;
C’est là où on les tient sur fons.
L’une commence les leçons
Au coing de quelque cheminée,
Et l’autre chante les responz
Après la légende dorée.
Sitost que matine est sonnée,
Il n’y a ne quignet ne place
Que on n’y carillonne à journée ;
Il est tousjours la Dedicace.
En la messe il y a Preface,
Mais de Confiteor jamais.
Oncques puis le temps Boniface
Aussi on n’y bailla la paix,
Car il y a entre deux ais
Tousjours quelqu’une qui grumelle
D’entre sa voisine d’emprès,
Qui veult dire qu’elle est plus belle.
Bref, c’est une droicte chappelle,
Et si n’y a prelat d’honneur
Qui ne tâche bien, sans sequelle,
D’avoir place d’enfant de cueur.
L’une comptera de Monsieur,
Et l’autre d’une creature
Qui a cul de bonne grosseur,
Mais il ne vient pas de nature.
L’une dict que c’est enfanture,
L’autre dira qu’il n’en est rien,
Et, pour oster la conjecture,
Chascune faict taster le sien,
S’il est fagotté, s’il est bien,
S’il est troussé, s’il est serré,
S’il est espais, quoy et combien ;
S’il est rond, ou long, ou carré.
Tel y a, s’il estoit paré,
Et qu’on lui vist un peu la cuisse,
On le trouveroit bigarré
Comme un hocqueton de Souysse.
Celuy-si, me semble, est bien nice
Qui fonde dessus une maison,
Car, quelque chose que on bastisse,
Le fondement n’en est point bon.
Après qu’on a dit ce jargon,
Tantost après arrivera
Une grande procession
Qui d’aultre matière lira.
L’une d’elles commencera
À resgaudir ses esperitz ;
Dieu scet s’elle pratiquera
Le tiltre De injuriis !

Quelqu’une, par moyens subtilz,
Ira semer de sa voysine
Qu’elle suborne les amys
Et les chalans de sa cousine ;
D’une autre on dira que c’est signe
D’une parfaicte mesnagière
Prester, pour garder sa cuisine,
Son cul plustost que sa chaudière.
S’on touche de quelque compère,
L’une dit qu’il est trop faschant,
L’autre qu’il a belle manière,
Mais il se panche un peu devant,
D’ung tel, il sent son entregent,
Et si luy siet bien à dancer,
Mais il n’a pas souvent argent ;
Il ne scet que c’est que foncer.
Quelque vieille va commencer
À filler, qui empongnera
Sa quenoille de Haut tancer,
Son fuzeau de Tout se dira,
Les estoupes de On le sçaura,
Le rouet de J’ay bec ouvert,
Le vertillon de On verra
Le pot aux roses descouvert.
Le fil de la quenoille est vert
Et si delié pour s’enfiler,
Que le grand diable de Vauvert
À peine s’en peut desmesler.
Pour mieux à l’aise vaneler,
On met estoupes par dedans
La saincture de Trop parler,
Et là couche l’on des plus grans.
On empesche langues et dents,
Et mettent leurs soings et leurs cures
Par lardons, broquars, motz piquans
À exposer les escriptures.
C’est ainsy que telz créatures,
En parlant de l’autre et de l’ung,
Lisent le tiltre Des injures.

(Guillaume Coquillart, Poëmes des droits nouveaux, t. 1, p. 134, des œuvres complètes (publiées par M.Tarbé). Reims–Paris, 1847, in-8, 2 vol.)

IV.

L’aultre dira, comme trop medisante :
Hélas ! commère, d’une telle gesante
Si vous voyiez la pompe et braguerie,
Vous jugeriez qu’est vraye mocquerie ;
Elle a ses lictz, la popine accouchée,
Et mesmement où la dicte est couchée,
Si bien garniz et si très bien à poinct,
Que mieulx en ordre ne sçauroit estre poinct.
Ung lict d’anticque peint d’or, d’asur et d’acre,
Au bort du quel, pour servir de soubdiacre,
Maint ung muguet, trouvères et causeur.
Prothonotaire, ou bien aultre jaseur,
Qu’entretiendra icelle dicte dame
Sans honte avoir, en cestuy monde deame.
Sur une chaire le gallant est assis
Qui de pareilles aura bien cinq ou six,
De fin velours, de drap d’or ou broché ;
Sur celles chaires par grand gloire couché ;
Lict et couchette, et chambre ou morte soye,
Sont tous garniz de drap d’or ou de soye.
Si la chambre est parfumée et parée,
N’en faut parler ; elle est équiparée,
Ou bien y a encor plus de richesse
Qu’en nulle chambre de grand dame ou duchesse,
Et si n’ay paour que disse chose vaine
Quand je diroys qu’est plus fort d’une Royne.
Du demeurant, s’il est bien, Dieu le sçait !
Dessus son corps elle porte un corset
D’ung fin drap d’or frizé, pour vray le diz,
Fourré de martres ils ont veu plus de dix ;
Et qui pis est, sans que du propos sorte,
Tous les dimanches en a changé de sorte.
De menestriers, puisqu’il faut que le dye,
Et d’instrument y a telle melodie,
Tant de chansons, d’orgues et de plaisir,
Que vous n’auriez certes aultre desir
Que d’escouter leurs accords et cadences,
Et compasser maintes sortes de dances ;
Dancer verrez celles dances lombardes
Que l’on appelle en ce temps cy gaillardes.

(Controverses des sexes masculin et fœmenin. Paris, Denis Janot, etc. 1540, pet. in-8, fº 32, Rº [par Gratien du Pont].)

V.

Le Frère.

Que dict-oVoirement
Que dict-on de nos acouchées ?

La Seur.

Qu’on en dict ? Tout premièrement,
Les unes sont trop longuement
En leur lict mollement couchées.

Le Frère.

Elz sont bouchées.

La Seur.

Elz sont bouchées.Elz sont touchées.

Le Frère.

Ilz leur fault tant mirlificques.

La Seur.

Elz sont visitées et preschées
Et bien souvent plus empeschées
Qu’on est à baiser les reliques.

Le Frère.

Les brasseroles magnifiques…

La Seur.

Riches carcans,

Le Frère.

Riches carcans,Tapisserye…

La Seur.

De peur qu’elz ne soient fleumatiques,
Ou trop mègres ou trop eticques,
On vous les sert d’espicerye.

Le Frère.

Hypocras…

La Seur.

Hypocras.La patisserie.

Le Frère.

Couliz de chapons…

La Seur.

Couliz de chapons.Tant de drogues.

Le Frère.

Arrière la rotisserie !

La Seur.

Fy ! fy ! Ce n’est que mincerie.

Le Frère.

En leur lict, pompeuses et rogues…

La Seur.

Bendées…

Le Frère.

Bendées.Comme les synagogues
Qu’on voit au portail de l’eglise.

La Seur.

Accouchées ont le temps.

Le Frère.

Accouchées ont le temps.Les vogues…

La Seur.

Je ne deuil que de vielles dogues
Qui font les sucrées.

Le Frère.

Qui font les sucrées.C’est la guyse.

La Seur.

Mon frère, il est temps qu’on s’avise
D’aller autre part caqueter.

(Dyalogue composé l’an mil cinq cent douze pour jeunes enfans [Œuvres de maistre Roger de Collerye, etc. Paris, Bibliothèque elzevirienne de P. Jannet, 1855, in-16].)

VI.

« 17. — Deffendons de faire le procès extraordinaire à quelques personnes que ce soit, si ce n’est chez les accouchées ou autres bureaux solennels à ce expressement dediez, ausquels lieux seront traictez et decidez tous affaires d’Estat, et signamment ceux qui concernent les mariages inegaux, soit pour le regard de l’aage, des mœurs ou des biens ; et pareillement les bons ou mauvais traictements des maris à l’endroict de leurs femmes, et au reciproque, des femmes envers leurs maris ; les entreprinses qui se font par unes et autres dames au pardessus de leurs puissances et dignitez, et, à peu dire, toutes telles matières qui regardent tant la police que le criminel. En quoy nous enjoignons et très expressément commandons à toutes dames, damoiselles et bourgeoises, de quelque état et condition qu’elles soient, vuider sommairement et de plein telles matières, sans aucun respect ou acception de personnes. »

(Est. Pasquier, Ordonn. générales d’amour… Paris, 1618, in-8, p. 8.)

VII.

Sur un vieux lit de famille retrouvé à Susy, chez madame Amelot.

Sur l’air : Enfin, grâce au dépit.

Enfin je vous revois, vieux lit de damas verd.
Vos rideaux sont d’été, vos pentes sont d’hiver ;
Je vous revois, vieux lit si chéri de mes pères,
——---Où jadis toutes mes grands-mères,
Lorsque Dieu leur donnoit d’heureux accouchements,
De leur fecondité recevoient compliments.
Helas ! que vous avez une taille écrasée !
On ne voit plus en vous ni grâce ni façon…
——---Autant de modes que d’années.
——---Aujourd’huy, le tapissier Bon
——---A si bien fait par ses journées,
——---Qu’un lit tient toute une maison.

(Recueil de Chansons [par Coulanges]. Paris, 1694, in-8, p. 72.)