Les Callipyges/Tome 2/Chap. 5

(Émile Desjardins)
Au dépens de la Compagnie (p. 75-91).

CONFÉRENCE ANECDOTIQUE.
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FIVE O’CLOCK
chez
Lady PLENTIFUL

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Lady FINEFLEECE.

La conférence de Mrs Switch sur la cruauté, m’a remis en mémoire la terrible vengeance exercée l’an dernier par lady Férox, sur une maîtresse de son mari, qui lui avait ravi le cœur lui appartenant devant la loi, et qui se termina par un châtiment d’une excessive sévérité. Je donne, bien entendu, à lady Férox un nom de guerre, ne voulant pas divulguer son vrai nom, qui appartient à la haute société de Londres.

Lady Ferox, mariée à dix-sept ans à un jeune lord fort riche, avait à peine joui six mois, de ce qu’on est convenu d’appeler, je n’ai jamais su pourquoi, la lune de miel, quand un beau jour son noble époux, passa sans transition de la plus ardente passion à une froideur désespérante. Cependant la jeune épouse, belle entre les belles, et agréablement pourvue de tous les avantages physiques qui attirent les adorations voluptueuses, n’avait rien fait pour perdre les bonnes grâces de son époux.

Après de laborieuses recherches, habilement menées par un policeman, que stimulait l’appât d’une riche récompense, elle découvrit la cause de son délaissement. Cette cause était une superbe pécheresse, que vous connaissez de nom, et qui se faisait appeler Eloa De Wright, dont certain trésor caché faisait le succès auprès de nos empressés gentlemen. C’était une chasse aux faveurs de la belle Eloa, chacun voulant admirer le contraste frappant de ses cheveux d’un blond ardent, avec le trésor correspondant, dont l’ébène tranchait sur l’or de la blonde chevelure. Elle retenait en ce moment dans ses fers lord Férox, qui ne pouvait plus se passer des agréments de la belle pécheresse, et qui lui sacrifiait l’adorable épouse, qui languissait triste et délaissée dans son hôtel. Lady Férox apprit que l’amant et la maîtresse se moquaient publiquement de l’attachement de l’épouse pour le mari ; Eloa la traitant comme la pire des femmes, le mari laissant dire, et riant le premier des grossières calomnies et des injures de sa vile maîtresse.

Lady Férox, quand elle connut le sujet de son infortune, résolut de se venger terriblement, décidée à supprimer la cause de son malheur. Comment elle s’y prit pour attirer dans un piège la superbe pécheresse, nous importe peu. Il vous suffit de savoir, que huit jours après la découverte des amours de lord Férox avec la belle Eloa, celle-ci se trouvait prisonnière dans une maison de campagne isolée, où elle croyait venir à un rendez-vous d’amour avec un prince du sang. Un coupé armorié l’emporta au trot allongé de ses deux steppers russes ; il lui sembla qu’on faisait beaucoup de détours, mais comme la nuit était très obscure, elle ne put pas se rendre compte du lieu où on la conduisait.

Au lieu d’un nid d’amour, elle trouva une prison et des gardiennes, muettes sans doute, car elles ne répondaient à aucune de ses questions. On lui mit des liens aux pieds, on l’attacha dans son lit, et on l’enferma à double tour. Le lendemain, on lui apporta des provisions ; mais ou ne l’écouta pas plus que la veille.

Lasse d’appeler au secours, elle réfléchissait sur son aventure, quand, vers deux heures de l’après-midi, la porte de la chambre s’ouvrit, donnant passage à une dame masquée, vêtue d’un peignoir, qui moulait des formes admirables, suivie de deux femmes de chambre, qui, sur un signe de leur maîtresse, enlèvent la pécheresse dans leurs bras vigoureux, l’emportent dans la pièce voisine, ou l’on voyait au milieu d’instruments bizarres de torture, des paquets de verges de bouleau, un martinet, un nerf de bœuf et une cravache sur une table.

Les deux servantes, qui ont reçu des instructions sans doute, se mettent en devoir de déshabiller la captive, malgré la résistance désespérée qu’elle oppose et les cris de fureur qu’elle pousse. Ses pieds enchaînés l’empêchent de s’arcbouter, et d’ailleurs, elle sent à la vigueur que les deux robustes servantes déploient, qu’elles auront toujours le dessus. Habituée cependant à se faire obéir, à quelque prix que ce soit, elle essaie de les corrompre en leur offrant une fortune. Elles sont sourdes aussi sans doute, car elles paraissent ne rien entendre. Alors la fureur de la prisonnière ne connaît plus de bornes, ses yeux s’injectent de sang, ses beaux traits, contractés par la colère, la rendent méconnaissable. Cependant les filles de chambre l’ont dépouillé de tous ses vêtements, ne lui laissant même pas ses bas, et quand elle est toute nue, elles l’attachent à un cheval de Berkley, par les poignets et par les jambes écartées. Cela fait, les deux aides se retirent.

La dame masquée s’approche de la pécheresse, et se livre à l’inspection de ses charmes, qu’on dit irrésistibles. Eloa est en effet supérieurement organisée pour le métier de voluptueuse. Des reins épais et solides, d’une chair pleine et dure, tendue sous un satin d’une neige éblouissante, descendent vers une croupe admirablement rebondie, des cuisses rondes et charnues, des jambes bien tournées, le tout d’une blancheur éclatante. Le devant est le digne pendant du dos. Une vraie forêt de poils noirs dont on vante justement la magnificence, couvre les trois quarts du ventre, établissant, en effet, un contraste frappant entre l’or fauve des cheveux, et le noir de jais du fourré. À la vue de ce trésor, un sourire de cruelle satisfaction illumine les yeux bleus, si doux au repos de lady Férox. Elle s’était promis de supprimer la cause de son malheur ; et elle souriait d’avance au moyen qu’elle allait employer pour empêcher son époux de s’agenouiller désormais devant cette merveilleuse fourrure. Plus haut, la gorge se dressait fièrement, malgré le nombre incalculable de mains lubriques qui avaient dû la manier, et elle paraissait ferme et dure, quoique très développée.

S’arrachant à sa contemplation, lady Férox va prendre le martinet sur la table, et s’approchant de la pécheresse, elle lui applique une vigoureuse cinglée entre les cuisses. Un cri de rage répond à ce cuisant bonjour. Mais la dame masquée, sans s’arrêter aux cris de la pécheresse, commence à la cingler vertement de son martinet à douze branches. D’abord c’est entre les deux épaules que les lanières retombent sévèrement, descendant lentement le long des reins sur lesquels elles changent en roses la neige éblouissante du beau satin. La dame arrive ainsi au bas des reins, sans laisser une ligne blanche sur le dos flagellé.

Quand elle arrive à la croupe, elle va poser le martinet, prend une poignée de fortes verges, et vient fouetter à tour de bras les globes potelés de la superbe mappemonde, qui ne fut jamais à pareille fête ; les fesses, rudement cinglées, rougissent et se tordent sous la douleur, qui arrache des cris perçants à la fustigée, qui trouve le moyen au milieu de ses cris d’injurier grossièrement son bourreau. Mais lady Férox, que rien ne saurait émouvoir, fouette sans relâche, et la verge fait rage sur les deux hémisphères, jusqu’à ce que toute la surface soit à vif. Alors, dirigeant les pointes piquantes entre les cuisses écartées, elle cingle dix ou douze fois, de bas en haut le centre des plaisirs, froissant les petites lèvres, qui rougissent jusqu’au sang sous les baisers mordants. Eloa, arrivée au paroxysme de la fureur, hurle et se tord furieusement.

Lady Férox pose les verges, reprend le martinet, et descend en cinglant la cuisse gauche ; les lanières s’enroulent, enveloppant toute la cuisse, le genou, la jambe, les chevilles, tout y passe ; puis, c’est le tour de l’autre jambe qu’elle cingle, en remontant vers la croupe. Quand elle a teint en rouge vif tous le dos, de la nuque aux talons, elle passe devant sa victime, qui se tord et hurle toujours.

Elle remonte lentement le long des jambes et des cuisses, et quand elle est en face de la forêt noire, elle la cingle en travers, remontant jusqu’au sommet. Les cinglées sont apparemment très-sensibles à la fustigée, car la toison sursaute à chaque coup. Quand elle en a fini avec la motte, c’est encore entre les cuisses qu’elle dirige les lanières, qui piquent atrocement les lèvres sensibles, déjà froissées par les verges. Enfin elle laisse la grotte, cingle le ventre, montant ainsi jusqu’à la gorge, qu’elle n’épargne pas ; car elle flagelle cruellement les gros tétons, étrangement ballottés. Eloa, qui ne trouve pas la chose de son goût, injurie le bourreau, vomissant tous les termes orduriers de son vocabulaire fourni. La fouetteuse, insensible aux injures, continue impassible sa cruelle besogne ; et quand elle a habillé tout le corps en écrevisse, elle s’agenouille devant la superbe toison.

La pécheresse, qui n’a jamais vu devant sa haute futaie que des agenouillées de Lesbos, se demande, si la fouetteuse n’est pas une de ces dévotes. Elle a vite fait de prendre le change. La dame porte en effet la main sur la fourrure, et la secoue rudement comme un magister la perruque d’un écolier ; puis, prenant un poil dans ses doigts, elle tire et l’arrache, puis un autre, un autre encore, et toujours un autre. Eloa, sentant qu’on l’épile, hurle de colère plus encore que de douleur, invectivant toujours son bourreau. Lady Férox, fatiguée de sa position, va prendre un tabouret rembourré, l’installe devant la patiente, et continue, confortablement assise, son œuvre dévastatrice, épilant tranquillement, poil à poil, avec une patience d’ange ou de vengeresse. Après deux heures de ce piquant travail, la moisson qu’elle a faite, jonche le parquet, mais on ne voit pas la moindre éclaircie dans le fourré.

— À ce train-là, dit lady Férox, j’en ai pour quelques jours, avant d’avoir terminé mon ouvrage. Tant mieux, ça fera durer le plaisir ; car vous ne serez délivrée, belle madame de Wright, que, lorsque cette haute futaie sera abattue et que la place sera nette comme la paume de votre main.

À demain, madame Eloa.

Lady Férox pousse un bouton ; aussitôt apparaissent les deux femmes de chambre, qui ne doivent pas êtres sourdes, décidément, car elles accourent au premier appel. Dès qu’elles sont entrées, la maîtresse s’en va, et les deux filles, toujours muettes viennent délivrer la victime, lui remettent les liens aux pieds, la couvrent d’une chemise et d’un peignoir qu’elles ont apportés, et la retransportent dans son appartement, sans avoir l’air d’entendre les fantastiques promesses qu’elle leur fait. Pour empêcher toute tentative d’évasion, la porte est fermée à double tour, verrouillée en dehors et les fenêtres cadenassées sont munies de barres de fer.

Le lendemain, à la même heure, la prisonnière est réinstallée sur le cheval de Berckley, malgré ses violentes protestations et son énergique résistance ; puis, les deux femmes de chambre, s’étant retirées, lady Férox, s’avance, armée d’un nerf de bœuf. Elle constate que le satin a repris tous ses lis, à l’exception des lèvres sanguinolentes de la fente, un peu tuméfiées.

Le nerf de bœuf, long, souple et mince, s’abat sur la masse de viande avec un bruit de chairs froissées. Les fesses bondissent sous le premier coup, se marbrant d’une large raie rouge, et la patiente pousse un cri d’effroi ; le nerf retombe brutalement, assommant la chair comme une massue, et froissant le satin au milieu des cris épouvantables que la souffrance arrache à la victime affolée. Bientôt toute la surface endolorie est boursouflée de cloques, et présente un aspect pitoyable. Le nerf cingle maintenant la partie vive entre les cuisses, ensanglantant les bords.

Lady Férox reprend le martinet, et recommence la cuisante des lanières, en remontant des pieds à la croupe et des hanches à la nuque ; puis par devant, en commençant par la gorge, qui bondit sous les atteintes, sur le nombril, sur le ventre, sur la toison, entre les cuisses, ce qui augmente l’intensité de la douleur, et fait pousser à la victime d’affreux rugissements. Après une heure de ce supplice, lady Férox reprend devant la toison, au milieu des hurlements de l’épilée, l’opération commencée la veille. Quand le bourreau laisse son ouvrage, on voit quelques éclaircies.

La prisonnière est rapportée dans sa geôle, d’où on la retire le lendemain pour recommencer le supplice, qui ressemble à celui des jours précédents. Ça dure ainsi huit jours. Le neuvième jour, comme il ne restait de la belle fourrure que quelques mèches clairsemées, sentant que le châtiment touchait à sa fin, lady Férox se propose de le terminer ce jour-là, d’une façon digne de sa vengeance, en marquant pour longtemps les appas de la pécheresse.

Quand la victime est solidement attachée, elle prend d’abord le martinet, et applique la correction quotidienne, avec les raffinements habituels, des deux côtés du corps ; puis, elle vient s’agenouiller devant ce qui reste de la splendide forêt, qui faisait naguère l’ornement orgueilleux de ces parages, et elle arrache en moins d’une heure tous les poils qui restaient, laissant la surface comme la paume de la main, toute pointillée, comme par de petits coups d’épingles.

— Et maintenant, s’écrie lady Férox, je vais si bien vous marquer, que vos nombreux amants reconnaîtront tous les charmes de votre corps de putain.

Elle s’empare d’une fine cravache, et s’avance en faisant siffler l’air. Le cruel instrument s’abat entre les deux épaules, fendillant la peau, un second coup trace un sillon sanglant au milieu du dos, un troisième entaille les chairs au bas de l’échine. Deux coups furieux découpent sur la fesse gauche une croix de Saint-André, deux coups sculptent un X sur la fesse droite, tandis la victime bondit et se démène à rompre des liens moins solides, et qu’elle hurle dans un « crescendo » épouvantable, depuis la première entaille, à se faire entendre à plusieurs milles à la ronde, si l’appartement n’avait pas été hermétiquement clos et capitonné.

Lady Férox, impassible, cingle la cuisse gauche, cingle la cuisse droite, cingle la fente, passe devant, recingle une fois chaque cuisse, les déchirant à chaque coup, ensanglante par deux fois les lèvres de la grotte, découpe une croix sur la surface nue, naguère occupée par la haute futaie, sillonne le ventre, et, quand elle est en face de la gorge frémissante, elle cingle deux fois chaque mamelon, au dessus et au-dessous des pointes vermeilles, encadrant les deux roses entre deux sillons sanglants, au milieu des rugissements de bête fauve que pousse la victime martyrisée.

— Je ne sais ce qui me retient de marquer aussi vos joues, orgueilleuse putain ; mais je ne veux pas vous enlever le seul charme qui pourra faire retomber des fous dans vos filets. Vous aurez de la peine, impudique fille, dont le métier est de vous montrer à tout acheteur qui y met le prix, pour leur cacher l’infamie de votre traitement ; et s’ils comptent sur le trésor, qui faisait votre orgueil et votre fortune, ils seront volés. Il vous reste, il est vrai, au dessous de ce trésor absent, votre gagne-pain, un peu nu, par exemple ; mais vous pourrez y coller une barbe postiche, les poils d’une queue de vache, ce sera assorti à votre chignon et aussi à votre métier.

Et maintenant, adieu ou au revoir, si vous découvrez le nom de celle qui vient de vous embiller, superbe Eloa.

En terminant ces mots, lady Férox, en guise d’adieu, appliquait un dernier coup furieux, qui hache la fente dans toute son étendue, et elle disparut.

Eloa de Wright hurlait encore deux heures après quand on vint la délivrer. On la rapporta dans la nuit à son domicile de Londres, plongée au moyen d’un narcotique, dans un sommeil, qu’on mit sur le compte de l’ivresse, chose que les servantes acceptèrent comme toute naturelle, l’ayant déjà vue ramener dans un état semblable d’ébriété.

Elle resta trois mois sans reparaître, attendant sans doute, pour se remontrer, que les stigmates du honteux traitement qu’elle avait subi, eussent disparu ; puis, un beau jour, elle reprit sa brillante existence d’autrefois.

Un gentleman, qui a acheté ses faveurs depuis sa réapparition, raconte à mon mari, qui n’a rien de caché pour moi, qu’Eloa était toujours la plus délicieusement voluptueuse des pécheresses : et comme mon mari, qui est au courant de l’histoire d’Eloa, lui demandait certains détails intimes, il lui a répondu, qu’outre les merveilleuses beautés de la superbe pécheresse, qu’il avait, Dieu merci, eu le loisir de détailler, elle serait le plus bel angora du monde.

Mon noble époux riait dans sa barbe, se doutant bien que l’art est tout dans cette magnifique fourrure, et qui si on tirait dessus, risquerait bien de rester dans les doigts.

Lundi, conférence par Mrs Flog, dans son pensionnat, sur la discipline dans la famille.


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