Poèmes antiques/Les Bucoliastes

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Poèmes antiquesAlphonse Lemerre, éditeur (p. 234-238).
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I


Sources claires ! Et toi, venu des dieux, ô fleuve
Qui, du Tymbris moussu, verses tes belles eaux !
Je ferai soupirer, couché dans vos roseaux,
Ma syrinx à neuf tons enduits de cire neuve :
Apaisez la cigale et les jeunes oiseaux.


II


Vents joyeux qui riez à travers les feuillages,
Abeilles qui rôdez sur la fleur des buissons,
De ma syrinx aussi vous entendrez les sons ;
Mais, de même qu’Éros, les Muses sont volages :
Hâtez-vous ! D’un coup d’aile emportez mes chansons.


I


Tout est beau, tout est bien, si Theugénis que j’aime
Foule de son pied nu l’herbe molle des bois !
Vers midi, l’eau courante est plus fraîche où je bois,
Et mes vases sont pleins d’une meilleure crème.
Absente, tout est mal, tout languit à la fois !


II


Dieux heureux ! Que le lait abonde en mes éclisses !
Et quand le chaud soleil dans l’herbe a rayonné,
Du creux de ce rocher d’un lierre couronné,
Que j’entende mugir mes bœufs et mes génisses :
Tout est beau, tout est bien, il est doux d’être né !


I


Si l’hiver est un mal pour l’arbre qu’il émonde,
Pour les cours d’eau taris la flamme de l’été,
Il souffre aussi, celui qu’une vierge a dompté,
Du mal que fait Éros, le plus amer du monde,
Et d’une soif rebelle à tes flots, ô Léthé !


II


Souvent, au seuil de l’antre où la rouge verveine
Croît auprès d’un lentisque et d’un vieil olivier,
La fille au noir sourcil parut me convier.
Par la rude Artémis ! Son attente était vaine ;
Car les bœufs sont la joie et l’honneur du bouvier.


I


Quand, aux feux du matin, s’envole l’alouette
Du milieu des sillons de rosée emperlés,
Je ne l’écoute plus ; mes esprits sont troublés ;
Mais pour te ranimer, ô nature muette,
Il suffit d’une voix qui chante dans les blés !


II


Rire de femme et chant d’alouette à l’aurore,
Gazouillements des nids sur les rameaux dorés,
Sont bruits doux à l’oreille et souvent désirés ;
Mais rien ne vaut la voix amoureuse et sonore
D’un taureau de trois ans qui beugle par les prés.


I


Bélier, pais l’herbe en fleur ; et toi, chèvre indocile,
Broute l’amer cytise aux pentes du coteau ;
Lampuros, mon bon chien, veille sur le troupeau.
Pour moi, tel que Daphnis, le bouvier de Sicile,
Je meurs ! Et Theugénis a creusé mon tombeau.


II


Ô pasteur des béliers, gardien des noires chèvres,
Jamais chanson pareille ici ne résonna !
Et la plainte est plus gaie, oui ! Par Perséphona !
Que la glauque Amphitrite exhale de ses lèvres
Et que le vent d’Épire apporte au vieil Aitna !


I


Ami, prends ma syrinx, si légère et si douce,
Dont la cire a gardé l’odeur du miel récent :
Brûle-la comme moi qui meurs en gémissant ;
Et sur un humble autel d’asphodèle et de mousse
Du plus noir de mes boucs fais ruisseler le sang.


II

C’est bien. Le soleil monte et l’ombre nous convie ;
On n’entend plus frémir la cime des forêts :
Viens savourer encor ce vase de lait frais ;
Et si le morne Hadès fait toujours ton envie,
Ô pâle chevrier, tu mourras mieux après !