Les Blasons du Plaisir/Blasons d’une amie

BLASONS D’UNE AMIE

En souvenir d’une coupe persane et d’une robe

D’une coupe, vers une robe,
Je tire une pipe allumée
Dont je mêlerai la fumée
Vers vous au rêve que dérobe

En l’enveloppant votre robe
Violette, ronde, coupe aussi
D’un frêle et délicieux lys
Qu’en ceinture où tout le dérobe

Y enguirlandent, argentées
Sur leur ébène, diamantées,
Des roses au cœur éclatant,

Moins merveilleux et doux, pourtant,
Que le vôtre, rubis royal
Sous son écrin épiscopal.


Comme à travers les aigles noirs
Crispés au taillis féodal
Par les forêts où les miroirs
D’un moyen âge occidental

Reflètent dans leur eau profonde
Des rêves jusqu’au bout du monde,
Ainsi vous passez, souveraine,
Mystérieuse châtelaine

Du plus haut donjon d’amitié,
Mélisande de vos cheveux,
Fils d’or de harpe sur vos yeux.

Reine au blason d’un chevalier.
Fée de nacre dont l’hermine
S’émeraude vers Mélusine.


Du vitrail d’une cathédrale,
Du parvis d’un temple païen,
Des piliers des nefs médiévales,
D’un promontoire aux feux anciens,

Fileuse aux roses des rosaces,
Étoile des gemmes mystiques,
Liane d’Orient, roseau de Thrace,
Sirène des deux Atlantiques,

D’où venez-vous vers ma douleur,
Musicienne de mon cœur,
Écho, souvent, de son murmure ?

De l’ogive d’un sceau gothique
Où l’abbesse, mélancolique,
Tient l’oiseau bleu de la Nature,

En secret, sans qu’on la regarde ?


Il ne m’importe si je garde
En vous, à travers vos amours,
La bonne place et qu’elle tarde
Tant à s’effacer, à son tour,

Qu’elle vous rappelle la garde
Que nous montions contre le cœur
Pour qu’un vœu de trop grand bonheur
Ne nous sépare ou ne retarde

Celui qui nous mène si loin
Par delà la loi du Destin,
Et d’autres glanes, nymphe, faune…

Pour le miel de notre festin
Il est salutaire, il est bien
Que vous soyiez une amazone.


Mais vous devenez la Walküre !
Plus d’une fois, sur vos cheveux,
J’ai vu, contre un casque de feu,
Deux ailes à la pointe dure.

Plus d’une fois, dans l’aventure
Où je m’ouvrais, trop langoureux,
J’ai senti fermer la serrure
D’une porte à notre ciel bleu.

Et, quelquefois, je me demande
Lorsque j’épuise votre offrande
Au beau déclin de sa lumière

Si, l’un de ces jours, contre moi,
Trop heureuse de mon émoi,
Vous ne me ferez pas la guerre.