Les Bigarrures/Chapitre 2

Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords (1572)
chez Loys Du Mesnil (p. 8-29).

DES REBUS DE
PICARDIE.

CHAP. II.


S Ur toutes les folastres inventions du temps passé j’entends depuis environ trois ou quatre ans en çà, on avoit trouvé une façon de devise par seules peinctures, qu’en souloit appeller des Rebus : laquelle se pourroit ainsi definir, Que ce sont peinctures de diverses choses ordinairement, lesquelles profereés de suitte sans article, font un certain langage : ou plus briefvement, Que ce sont equivoques de la peincture à la parole. Est-ce pas dommage d’avoir surnommé une si spirituelle invention de mot, Rebus ? qui est general à toutes choses, & lequel signifie des choses ? Encor pensay-je qu’on les a nommeés en Latin, faute de meilleur terme, & a fin que les nommant selon le mot François, Des choses, cela me semblast trop general en nostre langue. Quand au surnom qu’on leur a donné de Picardie, c’est à raison de ce que les Picards, sur tous les François, s’y sont infiniment plus & delectez. Ce que tesmoigne Maros en son Coq à l’asne.

Car en rebus de Picardie
Une faux, une estrille, un veau,
Cela fait estrille Fauveau.

Et peut on dire, à ceste raison, qu’on les a baptisés du nom de ceste nation, par antonomasie, ainsi quel on dit Bayonnettes de Bayonne, Ciseaux de Tholose, Canivets de Molins, Cousteaux de Langres, Peignes de Limoux, Moustarde de Dijon, &c. Or ces subtilitez ont esté long-temps en vogue, & de non moindre réputation que les Hieroglyphiques des Egyptiens envers nous : de sorte qu’il n’estoit pas fils de bonne mere, qui ne s’en m’estoit. Mais depuis que les bonnes lettres ont eu bruit en France, cela s’est je ne sçay comment perdu, qu’à grand’ peine la mémoire en est elle demeurée, pour en faire estime, sinon envers quelques cervelles à double rebras, qui n’ont encor aujourd’huy si opiniastres, qu’on ne leur sçauroit oster de la teste, qu’une Sphere ne signifie, J’espere : un lict sans eiel, un licentié : l’ancholie, melancholie : la Lune bicorne, pour viure en croissant : un banc rompu, pour banqueroute : une S. fermée avec un traict ainsi.


pour dire fermesse, au lieu de fermeté. Et autres, dont les vieux Courtisans faisoient parade, selon que tesmoigne Rabelais, livre. 1. chap. 19. qui s’en mocque plaisamment. Comme aussi fait le grand discoureur de fable Paule louë en son traité des Devises : qui monstre comme les Italiens en ont aussi bien fait leurs sottes subtilitez, que nos François : & en rapporte quelques exemples desquels j’ay recueilly ces quatre suivans.

Un amant, dit-il, la maistresse duquel avoit nom Caterinu, exprimoit ainsi son nom, pour le porter tousjours sur luy : C’estoit qu’au milieu de sa chesne ou Catena, il y avoit un Roy de deniers, tel qu’on les peint aux cartes de Taraut, que on appelle Ry en langue Bolonnoise : voulant dire en outre que sa Caterina, voloit tous les deniers du Monde L’invention grasse de ce Méfier consistoit en ce qu’il n’appelloit l’un des costez de sa chesne que Cate, & l’autre faisoit na, qui est la derniere syllabe de Catena, au milieu de laquelle estoit ce ou Ry ou Roy en François.

Un coüard de Lombardie, la maistresse duquel avoit nom Giovanella portoit un joug, qui s’appelle en son patois Giove pour Giogo, & deux anneaux en Italien Annella. Estoit-ce pas trouver sa mie ingenieusement, & la porter avec luy sans enchantement.

Un Florentin amoureux d’une Babare, portoit sa barbe longue, qui signifioit Barba, & une demie grenoüille, sçavoir la teste & les deux pieds de devant pour dire que ce n’estoit que la premiere syllabe de Rana : Il eut plus gaigné de porter sa barbe raze à demy : car cela eust fait barbara-Za.

Un autre Senatore Venetian, portoit à l’endroit du cœur, une semelle de soulier avec un T. au milieu & une perle, pour dire, Marguareta, te sola di cor amo.

Le Pape Clement interrogeant son maistre d’hostel, pourquoy il portoit la Pentecoste entaille en une medalle, il luy fit responce, Perche il mio amore mi pente est coste, c’est à dire, pource qu’il se repentoit de ses amours, & qu’elles luy coustoient beaucoup. L’effigie de S. Mathurin luy eust esté aussi propre, pour le guerir de sa maladie.

Ce conte suivant m’a esté fait par Messer Paulo Marchio, d’un Nonce du Pape Adrian, qui portoit trois diamans enchassez fort prés l’un de l’autre en un pendant, fait en forme de Cercle. Et quelqu’un luy ayant remonstré qu’ils eussent eu meilleure grace, avec un plus large espace, il respondit avec un sourcil merveilleusement severe, que C’estoit une mystique devise, de grande consideration, sçavoir, Trediamante in uno (circulo subaudi) qui signifioit, Tre diamante in uno, & qu’il aymoit trois Dieux en un. Quelqu’un d’autre nation que la sienne, n’eust eu garde de l’interpreter.

Or laissant là les Italiens : car on se passera bien d’en voir d’avantage, je viendray à nos François : & commenceray à l’interpretation de l’anneau qu’envoya une dame de Paris à Pantagruel, auquel estoient escrits ces mots en Hebrieux, Lama sabacthani, & y avoit un chaton un faux diamant, qui fut ainsi declaré par Panurge, Dy amant faux, pourquoy m’as tu laissé : car les mots Hebrieux signifient, pourquoy m’as, &c.

Avant que passer outre, je t’advertiray que les François se sont tellement pleus à ces Rebus, que qui voudroit prendre la peine de les ramasser, il y auroit assez de papier pour charger dix mulets. J’en rapporteray donc quelques particuliers exemples que j’ay ramassé, plustost plustost pour rire, que pour goust que j’y trouve : ny que je conseille de s’amuser, sinon par forme de passetemps, à quelques gens de loisir, au lieu de brader leurs jambes. Car quand a ceux qui penseroient estre veus ingenieux & sçavans en frivoles rechercheés je les estime dignes de cercher toute leur vie des espingles roüilleés parmy les rües, à l’endroit des goutieres.

Je vay donc commencer à ce que j’ay remarqué, & premierement aux enseignes de Paris : car ce sont Rebus equivoquans sur le langage usité en icelles, lequel comme tesmoigne Glarean de opt. Lot Gracique serm. pronuat. attribué par aucuns à Erasme, abhorre les R R. & ne la prononce sinon à demy, au lieu de Sainct comme Ierus Masia.

La premiere devant le logis d’un invitateur pour les morts, est ainsi.

Un os, un sol tout neuf, des poulets morts, autrement trespassez, qui se prononce selon le dialecte. Os sol neuf poulets trespassez, c’est à dire, Aux sonneurs, pour les trespassez. Son voisin le reprenant, disoit qu’il devoit peindre de ces trainquebaleurs de cloches, qui portent une robbe, courte d’audience, allans par les ruës de Paris.

Selon le mesme dialecte on a fait ceste cy d’un soldat, qui appareille une poulle, & y a au dessous, Au compagnon pour la pareille, quasi dicat, Poulle appareille.

Vos os, un bouc, un duc, un monde sont prins pour dire Au bout du monde.

Aux Babillars, pour un homme qui bat des billars.

À la place Maubert est celle-cy, Au point d’or & moins d’argent : rapportée par un poing doré, & une main argentée.

À Bar sur Seine un chat d’argent denote un friant d’argent.

Un G. d’or & un G d’argent signifie de mesme, J’ay d’or, j’ay d’argent : car on prononce je au lieu de j’ay.

Aux chassieux, par chats qui sient un blot de bois, quasi aux chats sieurs.

Un hostelier de ces gros chardeys de la Franchiconta, à l’imitation des Pharisiens (voyez le gentil Perroquet) ayant ouy parler des Polonnois, fit peindre en son enseigne taverniere de poulets qu’on appelle poulots en son baragouinage, de noire couleur, avec le mot, aux Poulonois.

Sur la porte d’un cloistre de certaine Abbaye estoit ceste paincture, qui me sembla fort estrange. C’estoit un Abbé mort au milieu d’un pré, ayant le cul descouvert, duquel sortoit un lis, fleur assez cogneuë. Apres avoir ramassé que cela vouloit dire, le Secretain du lieu qui en faisoit grand cas, le reputoit un excellent enigme, me vint dire en l’oreille, par une faveur speciale, que c’estoit une belle sentence composee d’un Rebus Latins & François.

Abbé mort en pré au cul lis.
Habe mortem præ oculis.

Je luy dis en riant que ce Rebus estoit assez gentil, mais que la peincture n’estoit gueres honneste & qu’elle eust esté plus convenable, si au lieu de ce lis on y eust mis le nez de ce Secretain, qui estoit à pompetes, Donc il ne fit, que rire : car il estoit bon compagnon poulle appareille, & levraut appreste, avec bon vin, donc il nous donna à disner. La figure estoit telle.

L’on figure un homme agenoüillé, qui tient sur sa main un I de verte couleur : pour dire, Un grand I vert maint d’homme à genoüil porte, c’est à dire :

Un Grand hyver maint dommage nous porte.

Devant la porte d’un vieil marié qui portoït des besicles, l’on planta ce pourtrait, Un homme qui arrachoit des lunettes à un Dieu le pere, auprès duquel estoient sept tonneaux, qu’on appelle en Bourgongne des fillettes. Cela d’ordre sinifioit, Quand on prend lunettes à Dieu sept fillettes, c’est à dire,
Quand on prend lunettes adieu ces fillettes.

La paix, un I de verde couleur, & un escabeau, qu’on dit une selle, font La paix universelle.

Celuy qui vouloit dire qu’il vivoit en soucis & en pensees, faisoit peindre une vis de pressoir dans des fleurs de soucy & des menuës pensees.

Et pour dire : J’ay peine en travail, il peignoit des pennes dans un travail, où l’on a accoutumé de mettre les chevaux devant la boutique des mareschaux.

Cette devise, pensées en vertu sont nettes, se peut exprimer par un U vert, dedans lequel y aura des pensées, & aupres des sonnettes.

Cestuy-cy est folastre & gracieux, on peint un homme qui leve la cotte à une fille, cela signifie, Ainsi qu’on se trouve.

Deux monts, quatre os, & des moines cela leu de suite faict, mons deus, quatre os, des moines y a, Mundus, caro, dæmonia.

Un monde en ceste sorte remply de s, ainsi faictes d’os de morts, & de soucies, signifiera, le monde plein de tristes, s, c’est à dire, tristesses & soucis.

Une Sphere & une anse de pot, au ciel, avec les pennes sur la terre, feront, Esperance au ciel, & pennes en terre, qui est le plus fade & badin, qu’on sçauroit excogiter. Et neantmoins jusques auiourd’huy les Courtisans encor en usent ordinairement : comme aussi du lacs d’amour pour signifier, las d’amour & demy A, pour dire Amy, ou amitié, car on dit my a, & moitié d’à.

Un jeune homme environné de Vautours, qui laissent choir leurs pennes, signifiera, vos tours me donnent peines.

Une peine ou plume que un grand A traverse & la rend torse, pour dire Peine à grand tort.

Le bon vieillard Pierre Grangier Libraire à Dijon, mis ce suivant sur sa boutique :

C’est à dire, Qui en chacun doigt est en main sous cy. Qui a chacun doit, est en maint soucy.

Un monde environné de rats qui le rongent, pour dire : monde mangé de Rats.

Un noble à la rose, un V, ver, & des œufs pourtraicts de suite, signifieront noble & vertu & des œufs : Noble & vertueux.

Un fol à genoux, qui ait une trompe à la bouche, signifie Fol aage nous trompe.

Un Dieu qui frappera sur un nid d’oiseau avec une perche sera, Dieu tappe un nid, Dieu t’a puny.

Encor aujourd’huy se void és licts des grands Seigueurs de ces beaux rébus ; pensez comme l’ignorance est enracinée en France.

Les pauvres villageois sont excusables, qui n’estiment pas un armoirie bien faicte, si elle n’equivoque sur le nom entièrement par deux diverses significations tellement que c’est un des premiers traicts de torture, quand cela s’y apperçoit : comme si un nommé Clergent porte une clef & un gan, Cotier, trois choux, pour dire premier chou, second chou, chou tiers. Chinard, un chien & un arc. Beuferant, un bœuf & un harant. Chaquerant, qui a fait peindre un homme, lequel avec une lanterne à la main cherche derriere une porte un Chat qui se cache à demy, quasi dicat, Chat querant Bichot, une bicho & un cheu, &c.

C’est autre chose, quand il y a un simple equivoque du nom aux armes sans rebuffer : car les premiers Roy aumes & illustres maisons portent les armes de ceste sorte : comme le Royaume de Leon, un Lion : de Castile le, un Chasteau : de Galice, un Calice : de Grenades, neuf grenade entames : le Compte de Retel, trois rateaux : Celuy de Touraine, un Tour, comme aussi la ville de Tours : les Seigneurs de la maison de Chabot, trois Chabots : ceux de Bauffremont, des Bauffroys : de Mailly, des Mailles : & autres infinis des plus anciennes races de France, comme doctement l’a remarqué Pasquier en ses Recherches en la France. Or pour retourner a nos moutons :

Ceux de Chaalons, je ne sçay si c’est en Champagne ou Bourgongne, non contens de leurs armoiries firent peindre sur icelles, chat long & noir, pour signifier Chalonnois.

Ceux de Poitou qui prononcent un P, Poi, mettent ordinairement trois P, pour signifier trois Poy, & appellent le denirre Poitiers.

Un certain Maire de la ville de Dijon fit peindre à l’entree d’un Roy, sur les armes de ladicte ville, dix joncs, & fit encore battre des gectons de ceste façon. Pensez l’habile homme, qui se resouvenoit de l’ordinaire jeu des petits enfans, qui declinent vn jonc sans lettres, & dient vn jonc, deux joncs, 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. joncs. Ainsi qu’ils declinent aussi paradis disant para un para deux, 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. paradis, Et les femmes qui declinent aussi pour se montrer grandes clergesses, une ouille, deux ouilles, 3. 4. cinq ouilles.

ADJONCTION
de l’autheur.

L’Aretin en certaine Commedie introduit une Zanin, qui se moquant des divises Rebuffiers de son temps, disoit qu’il portoit pour la sienne, un hain, un dauphin, & un cœur, pour signifier,

Hamo, del fine cruore :
Amo del fino cuore.