Charpentier (2p. 265-278).

CHAPITRE XXXVII

LE RETOUR À HADLEY.

Il nous faut maintenant retourner à Hadley. À partir du jour où elle avait écrit sa lettre à sir Lionel, mademoiselle Baker n’avait plus parlé de quitter la maison de son oncle. Littlebath avait perdu tout attrait pour elle. Le colonel y était encore, ainsi que les premières amours du colonel, mademoiselle Todd ; qu’ils oublient, qu’ils se pardonnent, et qu’ils s’épousent si cela leur convient ! Chez mademoiselle Baker toute velléité d’ambition avait disparu. Tenir la maison de son oncle à Hadley, et de temps à autre dérober un jour pour voir Caroline à Londres ; c’était là tout ce qu’elle désirait maintenant.

Le vieil oncle se montrait moins bourru qu’elle ne s’y était attendue. Au sujet de ses schellings et de ses six-pence, il était parfois irascible sans doute, et il grondait volontiers quand sa nièce faisait allumer plus d’un feu dans la maison. Mais petit à petit il oublia même ce grief-là, et, somme toute, il n’était pas plus exigeant et plus insupportable que ne le sont, en général, la vieillesse, la richesse et la maladie, quand elles se trouvent toutes trois réunies chez le même individu.

Lorsque Adela quitta Londres, M. Bertram permit même à mademoiselle Baker de l’inviter à venir passer quelques jours à Hadley, et Adela accepta l’invitation. En quittant Eaton-Square, elle se rendit donc tout droit chez M. Bertram, où elle se trouvait encore à l’époque où eurent lieu les événements racontés dans notre précédent chapitre.

Deux jours après l’entrevue de sir Henry avec sa femme, le facteur apporta à mademoiselle Baker, une lettre de lady Harcourt. Lorsque cette lettre arriva, mademoiselle Baker et Adela finissaient de déjeuner, et M. Bertram, entouré d’oreillers et ayant ses béquilles à sa portée, était assis dans un fauteuil, à sa place accoutumée, auprès du feu. Il ne quittait plus guère son fauteuil, si ce n’était pour se faire porter jusqu’à son lit ; cependant son œil était aussi vif, et son ton, quand il le voulait, aussi impératif qu’autrefois. Il restait là assis, tout paralysé et à peu près immobile : mais on sentait qu’il était encore maître dans sa maison, et maître surtout de son argent.

— Grand Dieu ! s’écria mademoiselle Baker d’une voix émue, avant d’avoir à moitié lu sa lettre.

— Qu’y a-t-il donc ? dit aigrement M. Bertram.

— Oh ! mademoiselle, qu’est-il donc arrivé ? s’écria Adela.

— Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! mon Dieu ! fit mademoiselle Baker qui porta son mouchoir à ses yeux et se mit à pleurer à chaudes larmes.

— Mais qu’avez-vous donc ? De qui est cette lettre ? demanda encore M. Bertram.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! Tenez, Adela, lisez-la ! Oh ! monsieur Bertram, quel malheur !

— Qu’y a-t-il donc, mademoiselle Gauntlet ? Cette sotte ne me le dira jamais.

Adela prit la lettre et la lut tout entière.

— En effet, monsieur, dit-elle, c’est un grand malheur.

— Mais quel malheur, que diable ?

— Caroline est brouillée avec sir Henry, dit enfin mademoiselle Baker.

— Est-ce là tout ? dit M. Bertram.

— Je crains, monsieur, que cette querelle ne soit chose grave, dit Adela.

— Grave ! quelle bêtise ! Comment ça peut-il être grave ? Vous ne vous attendiez pas à les voir vivre ensemble comme deux tourtereaux, n’est-ce pas ? Il a fait un mariage d’argent ; elle a fait un mariage d’ambition : il va sans dire qu’ils doivent se quereller. Ainsi parla la sagesse de M. Bertram, et, il faut bien le dire, elle s’appuyait sur l’expérience.

— Mais, mon oncle, elle veut quitter son mari, et elle espère que vous lui permettrez de venir vivre ici.

— Vivre ici ! Joliment ! Que voulez-vous que je fasse de la femme de cet homme-là ?

— Elle déclare positivement que pour rien au monde elle ne consentira à vivre avec lui.

— Bah, bah !

— Mais, mon oncle…

— Mais à quoi s’attendait-elle donc ? Croyait-elle que toute sa vie serait couleur de rose ? Quand elle a épousé cet homme-là, elle savait fort bien qu’elle ne l’aimait pas ; et voilà maintenant qu’elle veut le quitter parce qu’il n’est pas aux petits soins pour elle ! Si elle tenait à tout cela, c’était mon neveu qu’il fallait prendre.

C’était la première fois que M. Bertram parlait avec affection de George, et mademoiselle Baker et Adela en furent très-étonnées. Jamais il ne leur avait donné à entendre que Caroline fût sa petite-fille.

M. Bertram resta inexorable pendant toute cette journée, refusant nettement de recevoir lady Harcourt chez lui, à moins qu’elle ne vînt avec la permission pleine et entière de son mari. Mademoiselle Baker fut donc obligée d’écrire à Caroline par le retour du courrier pour demander un délai d’un jour avant de lui donner une réponse définitive. Mais le lendemain matin M. Bertram reçut une lettre de sir Henry. Celui-ci disait que la saison de Londres étant près de finir, le moment serait opportun pour Caroline, en petite-fille affectueuse, d’aller passer quelque temps auprès de son cher grand-père. Il ne passa pas complètement sous silence la querelle conjugale, mais il se borna à y faire une légère allusion. Il en parla comme d’un nuage passager, fort regrettable assurément, mais qui se dissiperait sans doute bientôt, pour laisser reparaître le soleil plus brillant que jamais.

M. Bertram donna enfin la permission tant désirée. Il ne répondit pas à la lettre de sir Henry, mais il chargea sa nièce de dire à Caroline qu’elle pouvait venir à Hadley si cela lui plaisait. Caroline vint tout de suite, et sir Henry donna à entendre à ses amis que les devoirs et les plaisirs du monde avaient tant fatigué sa femme, qu’à son grand regret elle s’était vue obligée de quitter Londres avant la fin de la saison.

— Sir Omicron l’a impérativement ordonné, dit confidentiellement sir Henry à son ami intime, M. Madden, le membre du Parlement ; et, comme il fallait partir, autant valait profiter de l’occasion pour faire sa cour à grand-papa Crésus. Je n’ai pas le temps de soigner l’héritage moi-même et je suis bien forcé de me faire remplacer.

Il faut savoir que sir Omicron était le médecin en vogue dans ce temps-là.

Caroline revint donc à Hadley, mais cette fois les cloches ne sonnèrent pas pour fêter son arrivée. Six mois à peine s’étaient écoulés depuis qu’au déjeuner de noces on avait promis aux nouveaux époux une si grande félicité ; et déjà cette vision dorée s’était dissipée, — cette prospérité si matérielle, si substantielle s’était évanouie. La robe de mariée était fraîche encore que tout ce bonheur, en apparence si solidement établi, avait déjà disparu.

— Vous voilà donc revenue ? dit M. Bertram.

— Oui, monsieur, répondit à voix basse Caroline ; j’ai fait une grande méprise, mais j’espère que vous me pardonnerez.

— Ces méprises-là sont fort sottes. Je vous conseille de réparer la vôtre le plus tôt possible.

— Je ne pourrai jamais réparer cette méprise-là, monsieur, jamais, — jamais. Mais je sais que je n’ai que moi à blâmer.

— Allons donc ! Quelle idée ! Il faudra bien que vous alliez retrouver votre mari.

— Jamais, monsieur Bertram, jamais. Je lui obéirai et à vous aussi ; je vous obéirai à tous deux si cela est possible, en tout, excepté en cela. Je ne puis obéir à personne pour cette chose-là.

— Bah ! dit M. Bertram. Telle fut la réception de lady Harcourt quand elle revint à Hadley.

Ni mademoiselle Baker ni Adela ne lui parlèrent beaucoup de ses affaires le premier jour. Sa tante, à vrai dire, ne lui en parla jamais ouvertement. Il semblait qu’il y eût entre elles un accord tacite pour garder le silence là-dessus. Il y avait d’ailleurs chez lady Harcourt une sorte de mélancolie et parfois une sévérité presque farouche qui décourageaient les questions. Son grand-père lui-même hésitait à lui parler de son mari, et il la laissa vivre à sa guise de cette vie tranquille, silencieuse et réservée, qu’elle semblait avoir irrévocablement adoptée.

Pendant les premiers quinze jours de son séjour elle ne sortit pas de la maison ; mais un dimanche matin qu’il faisait très-beau, elle descendit de sa chambre tout habillée pour aller à l’église. Mademoiselle Baker remarqua qu’elle ne portait que des vêtements qu’elle avait eus avant son mariage. Sa toilette était aussi simple que peut l’être celle d’une femme qui ne veut pas qu’on la remarque, même pour sa simplicité. Elle ne portait aucun bijou ; les broches, les bagues qu’on avait données à la fiancée ou à l’épouse, tout avait été mis de côté — tout, excepté ce seul anneau que le destin fatal l’obligeait à garder. Que n’eût-elle donné pour pouvoir s’en défaire !

Elle se rendit à l’église. Là, elle put se dire que les gens qui la guettaient pour épier son malheur étaient les mêmes qui l’avaient tant regardée dans ses jours de triomphe. Dans ses jours de triomphe, faut-il dire ? Non, car même dans ce temps-là elle avait été malheureuse ; mais ses chagrins d’alors n’avaient pas été aussi connus du public.

Elle se tira très-bien de l’épreuve, et elle sembla même en souffrir moins que sa tante. Elle n’avait pas cherché à répandre parmi les habitants de Hadley cette ingénieuse fiction au sujet de la consultation de sir Omicron, que sir Henry avait mis tant de soin à propager parmi ses amis de Londres. Elle avait fort peu parlé d’elle-même, mais le peu qu’elle avait dit avait été strictement vrai. Elle n’avait pas agi non plus de façon à tromper les gens, ou à leur donner une fausse idée de sa position. À peu près tout le petit monde dont elle était entourée savait qu’elle avait quitté son riche et brillant mari, et qu’elle avait déclaré son intention de ne jamais retourner chez lui.

Il lui fallait donc un certain courage pour aller prendre sa place dans cette église, mais elle ne laissa voir aucune faiblesse. Elle dit ses prières, ou du moins elle sembla les dire comme si elle ne se doutait pas qu’elle fût un point de mire pour tous les yeux féminins. Et quand le sermon fut achevé elle rentra chez elle à pied, d’un pas ferme et sûr, tandis que mademoiselle Baker se troublait à chaque salut qu’il lui fallait rendre, et tremblait chaque fois qu’elle entendait marcher derrière elle.

Cette après-midi-là, Caroline ouvrit son cœur à Adela. Jusque-là tout s’était borné entre elles à des serrements de mains, et à ces marques muettes de sympathie que l’on donne volontiers quand les douleurs que l’on voudrait consoler sont trop profondes pour que l’on ose les sonder avec des paroles. Ce soir-là cependant, après le dîner, Caroline appela Adela dans sa chambre, et de nouveau la confiance se rétablit entre elles.

— Non, Adela, jamais je ne retournerai vivre avec lui, disait Caroline. Il ne faut pas me demander de faire cela.

— L’homme ne doit point séparer ceux que Dieu a unis, répondit solennellement Adela.

— Sans doute, — ceux que Dieu a unis. Mais Dieu ne nous a point unis, lui et moi.

— Caroline, ; Caroline, ne parlez pas ainsi !

— Ne vous méprenez pas sur mes paroles, Adela. Ne croyez pas que je cherche à excuser ma conduite, ou même que je veuille me soustraire au châtiment. Je sais que je me suis perdue, en ce qui touche cette vie. Le jour où j’ai pu me décider à me présenter à l’autel avec un homme que je n’aimais pas, et que je savais ne pouvoir jamais aimer, — avec un homme que je n’ai jamais essayé, que je n’ai même jamais voulu essayer d’aimer, ce jour-là, dis-je, j’ai mis, je le sais, une barrière infranchissable entre le bonheur et moi. Mais ne croyez pas que j’espère la délivrance. Et pendant qu’elle parlait ainsi, le visage de lady Harcourt prit une expression d’implacable résolution, qui promettait qu’elle serait de force à supporter son sort, quel qu’il pût être.

— Caroline, à brebis tondue Dieu mesurera le vent, maintenant comme toujours, si vous le lui demandez.

— Je le désire ; je le désire de tout mon cœur.

— Dites que vous le croyez.

— Oui, je le crois. Je crois que tout ce qu’il fera sera bien fait. Oh ! Adela, si vous saviez ce qu’a été ce dernier mois, depuis qu’il est venu à la maison !

— Ah ! pourquoi y est-il venu ?

— Pourquoi, en effet ? Jamais homme a-t-il agi plus follement ?

Caroline faisait allusion à sir Henry Harcourt, et non à George Bertram.

— Mais j’en suis bien aise, continua-t-elle, bien aise, je vous assure. Maintenant il sait la vérité tout entière. Je lui ai tout dit.

— À sir Henry, voulez-vous dire ?

— Oui, je lui ai tout dit le jour avant de m’en aller, mais je ne lui ai rien appris, Adela ; il le savait. Il n’a jamais pu s’imaginer que je l’aimais. Il savait, il devait savoir que je le haïssais.

— Oh ! Caroline, Caroline, ne parlez pas ainsi !

— Et vous, ne l’auriez-vous pas haï si vous aviez été enchaînée à lui, comme moi ? Mais maintenant je ne commettrai plus ce péché de haine. Je ne le haïrai plus.

— La haine en pareil cas est un crime, car, malgré tout, il est votre mari.

— Je le nie. Quoi ! quand il m’a appelée de ce nom infâme, il était mon mari ? Était-ce d’un mari, cela ? Il faut que je porte son nom, et jusqu’au tombeau je marcherai péniblement courbée sous ce lourd fardeau : ce sera mon châtiment pour ce jour où j’ai péché en l’épousant. Il faut que j’abandonne tout, espoir de vivre comme vivent les autres femmes. Je ne m’appuierai sur aucun bras, sur aucun cœur ; je n’entendrai aucune parole d’amour quand viendra la maladie ou le chagrin ; je n’aurai point d’enfant pour me consoler. Je serai seule, et pourtant je ne m’appartiendrai pas. C’est là ce que je dois subir parce que j’ai trahi mon propre cœur. Mais pourtant, je vous le dis, cet homme n’est pas mon mari. Écoutez-moi, Adela : plutôt que de retourner avec lui je mettrais fin d’un seul coup à tous les chagrins de ce monde. Ce serait là un crime assurément, mais ce crime me semblerait moins grand que l’autre.

Adela, en l’entendant parler ainsi, n’osait plus lui dire que la vie commune lui semblait encore possible entre sir Henry et elle. Selon Adela, ce parti-là était cependant le seul convenable, le seul bon à prendre. Elle regardait le mariage, qu’il fût heureux ou malheureux, comme un lien indissoluble. Si elle n’avait pu être heureuse, elle aurait tâché, avec l’aide de Dieu, de supporter le mieux possible son malheur. Mais il faut ajouter, pour être juste, qu’Adela Gauntlet ne se serait jamais mise dans la position où se trouvait lady Harcourt.

Quoiqu’elles différassent sous beaucoup de rapports, les confidences étaient possibles entre elles. Caroline parlait à Adela, et à Adela seule, de ses affaires. Vis-à-vis de son grand-père, elle se montrait pleine de soumission, et avec sa tante elle était douce et affectueuse, mais jamais elle ne s’entretenait avec eux de son sort. Ils continuèrent à vivre ainsi jusqu’au mois de juillet, quand Adela les quitta ; après quoi on n’eût certes pas trouvé, dans tout le comté de Middlesex, un intérieur plus paisible et plus monotone que celui de M. Bertram à Hadley.

Lady Harcourt avait reçu deux lettres de son mari, et dans toutes les deux il l’engageait fortement à revenir auprès de lui. À la première de ces lettres elle répondit en lui disant, dans les termes les plus polis qu’elle put trouver, que la chose était impossible. Elle l’assurait qu’elle était prête à lui prouver son obéissance sur tout autre point, et ajoutait que, puisqu’ils devaient vivre séparés, la maison de son grand-père paraîtrait sans doute à sir Henry, comme à elle, l’asile le plus convenable qu’elle pût choisir. En réponse à la seconde lettre, elle annonça simplement qu’elle se voyait dans la nécessité de se refuser à toute correspondance qui aurait pour objet son retour. Sir Henry écrivit alors une lettre à M. Bertram. Il n’entra dans aucun détail au sujet de la brouille ; il demanda seulement la permission d’aller à Hadley, dans le but, disait-il, de voir M. Bertram lui-même.

— Tenez, dit le vieillard à sa petite-fille lorsqu’il se trouva seul avec elle, lisez cela. Que dois-je répondre ? ajouta-t-il quand Caroline eut lu la lettre.

— Mais vous, monsieur, que pensez-vous qu’il faille lui dire ?

— Je pense qu’il faut que je le voie ; sans cela il m’intenterait peut-être un procès pour avoir détenu sa femme loin de lui. Rappelez-vous ce que je vous dis : vous serez obligée de retourner vivre avec lui, vous le verrez.

— Non, monsieur, je ne ferai jamais cela, répondit tranquillement Caroline ; et quelque chose qui ressemblait à un sourire se dessina sur son visage.

Sir Henry vint donc à Hadley. Le jour de sa visite avait été fixé à l’avance, et Caroline s’était demandé avec inquiétude comment elle s’y prendrait pour éviter de se rencontrer avec lui. Elle ne trouva rien de mieux que de décider sa tante à l’accompagner ce jour-là à Londres. Il va sans dire qu’en se rendant le matin à la station et en y revenant le soir, les pauvres femmes tremblaient à l’idée de se rencontrer avec sir Henry. Mais la fortune se montra clémente, et, à leur retour à Hadley, elles apprirent que le visiteur si redouté était venu et était déjà reparti pour Londres.

— On ne peut pas être plus raisonnable que lui, dit M. Bertram à Caroline après qu’il l’eut fait entrer dans la salle à manger pour lui parler en particulier.

— Vraiment ?

— Il est très-désireux de vous voir revenir.

— Mais je vous l’ai, dit, monsieur, je ne peux pas faire cela.

— Il dit que la maison d’Eaton-Square est à votre disposition, et que, si vous voulez y aller, vous y serez seule pendant trois mois.

— Je ne retournerai jamais à Eaton-Square.

— Ou bien encore, il propose de louer pour vous une maison au bord de la mer, où vous voudrez.

— Je n’ai besoin d’aucune maison si vous voulez bien me permettre de rester ici.

— Mais il a tout votre argent, vous savez, — votre fortune est tout entière à lui maintenant.

— Eh bien ?

— Que comptez-vous faire ?

— Je ferai ce que vous ordonnerez, je ferai tout ce que vous voudrez, excepté d’aller vivre avec lui.

Le vieillard resta silencieux un moment, puis il dit : — Au fait, je pense que vous ne savez peut-être pas encore très-bien ce que vous voulez.

— Je vous assure que si.

— Je vous dis que vous n’en savez rien. Ne m’interrompez donc pas. Voici ce que j’ai proposé : vous resterez encore six mois ici, et au bout de ce temps-là il viendra nous voir…

— Vous voir, monsieur.

— Eh bien soit ! me voir, — si je suis encore en vie, Après quoi il faudra bien que vous alliez vivre avec lui. Maintenant, bonsoir.

La chose se trouva ainsi arrangée, et, pendant les six mois qui suivirent, on continua à mener une vie aussi terne et aussi solitaire que par le passé dans la vieille maison de Hadley.