Charpentier (2p. 195-219).

CHAPITRE XXXIII

UN PETIT DÎNER D’AMIS.

Sir Henry Harcourt s’était marié, et il avait conduit sa jeune femme à Paris et à Nice ; sir Lionel Bertram avait essayé de se marier, mais sa femme — celle, du moins, dont il avait espéré faire sa femme — s’était enfuie toute seule à Hadley ; et, pendant tout ce temps, George Bertram avait vécu solitairement dans son triste et sombre logement de Londres.

Il aurait souhaité d’être complètement solitaire ; mais, au moment où sa douleur était le plus amère, son père était venu le trouver. On se rappelle, sans doute, qu’elle avait été son impatience de voir ce père inconnu à l’époque de son voyage à Jérusalem ; combien il s’était vite attaché à lui, et comment il s’était laissé complètement captiver par ses manières. On se souvient qu’il avait bien aisément pardonné, au commencement, tout ce que la conduite de sir Lionel avait eu de peu paternel, et que le jour ne s’était fait que fort graduellement dans son esprit. Mais au moment où nous parlons, George y voyait clair. Il connaissait enfin son père.

George n’avait pas un esprit qui lui permît de repousser ou de modifier à volonté ce qu’il avait appris parce que cela concernait son père. Il est des gens pour lesquels les fautes d’un père, d’un frère ou d’un mari ne sont pas des fautes. De ces gens-là on est tenté de dire que, si leur jugement n’est pas des plus sains, leur cœur fait plus que de suppléer leur jugement. On reconnaît qu’ils ont tort, et pourtant on ne saurait pas les souhaiter plus perspicaces qu’ils ne sont.

Mais George Bertram n’était point ainsi fait. Il ne s’était pas hâté de blâmer son père, mais les fautes de celui-ci une fois connues, il les avait jugées et condamnées sans retour. Il s’aperçut que son oncle avait eu raison et que sir Lionel était un homme qu’il ne pouvait nullement estimer, et qu’il lui était même assez difficile d’aimer. Il comprit que l’argent était ce que recherchait son père. Il se décida, en conséquence, à lui en fournir autant que lui permettaient ses moyens, mais à ne lui donner ni son temps ni sa société.

Quand donc sir Lionel annonça son arrivée à Londres et son intention d’y passer quelque temps avec son fils, Bertram n’y vit pas une consolation. À cette époque, il était profondément malheureux. Il n’avait compris la force de son amour pour cette femme que depuis qu’elle était perdue à tout jamais pour lui ; mais, quoique faible et indécis à bien des égards, il ne l’était pas au point de s’abandonner sans résistance à une inutile douleur. Il savait que le travail seul pouvait le sauver — le travail sévère, constant, inexorable, ce grand remède à toutes nos douleurs, et l’unique moyen de nous résigner aux décrets de Dieu.

Il se mit donc au travail ; — non pas à ce travail qui consiste à lire d’une façon distraite et paresseuse un nombre voulu de pages, à faire de l’histoire à raison de deux volumes par semaine, ou de la science à raison d’un traité par jour, mais au travail le plus sérieux dont il se sentît capable, en y mettant toute sa force et toute son intelligence. Ce qu’il avait déjà publié l’avait fait connaître, mais il avait jusque-là écrit avec négligence et sous l’empire d’influences passagères, sans se préoccuper suffisamment de la forme, et sans avoir assez mûri ses conclusions. Il avait publié des choses dont il s’était senti honteux depuis, et il avait émis d’un ton magistral et dogmatique des idées qui n’étaient déjà plus les siennes. Mais il comptait s’y prendre autrement à l’avenir. Dans le temps, il avait désiré être promptement récompensé de son travail. Il s’était senti irrité à l’idée que les noms de certains de ses contemporains commençaient à être connus, et que le sien ne l’était pas. Harcourt avait déjà marqué, alors que lui n’avait fait encore qu’embrasser une profession pour l’abandonner presque aussitôt. C’étaient les précoces succès de Harcourt qui avaient fait de Bertram un auteur trop hâtif. Aujourd’hui, il comprenait que ses travaux littéraires ne lui serviraient de rien. Harcourt avait obtenu un de ces succès solides et durables dont les hommes tirent tant de jouissances, tandis que ses succès à lui n’avaient eu pour résultat que son abdication à peu près forcée de la seule position honorable qu’il eût encore acquise.

Et voilà que de nouveau le succès d’Harcourt s’imposait à lui ! Harcourt était parvenu à posséder ce trésor dont Bertram avait fait le but de tous ses efforts, ce qu’il avait regardé comme la récompense de tous ses labeurs. Et pourtant, qu’était Harcourt comparé à lui ? George se savait une âme mieux trempée, des talents plus brillants et une plus haute capacité. Il ne daignait même pas se comparer à cet homme qui l’avait distancé dans la course de la vie !

C’était pendant qu’il était en proie à ces pensées et à ces souffrances qu’il s’était mis à l’œuvre avec toute l’ardeur dont il était capable. Il ne rechercherait plus aujourd’hui, se disait-il, une prompte récompense. Son premier et principal désir était d’amortir la douleur qui lui torturait l’âme ; et plus tard seulement, si faire se pouvait, il revendiquerait sa place parmi les dignes fils de l’Angleterre, en laissant au temps le soin d’assurer cette revendication.

On comprend que, dans ces dispositions, George n’éprouvât pas une grande consolation à voir arriver son père. Sir Lionel se montrait assez irritable vis-à-vis de son fils. Il lui reprochait d’avoir mal mené sa barque, s’obstinait à lui parler de Caroline, et, chose peut-être plus pénible encore, du solliciteur général ; il le poussait sans cesse à faire des avances à son oncle en vue d’une réconciliation, et demandait enfin à emprunter, d’abord cent, puis deux cents, puis enfin trois cents francs. En ce temps-là, George n’avait que cinq mille francs de revenu fixe ; en dehors de cela, il ne possédait que ce qu’il lui restait des vingt-cinq mille francs que son oncle lui avait donnés. Cette somme une fois dépensée, il lui faudrait, ou vivre de son revenu, quelque minime qu’il pût être, ou écrire pour les libraires. Vu cet état de choses, il crut devoir refuser à son père les trois cents francs qu’il lui demandait.

— Tu pourras bien me les prêter pour deux mois, n’est-ce pas ? dit sir Lionel.

— Cela me gênerait beaucoup, répondit le fils.

— Je te les renverrai dès que je serai de retour à Littlebath, dit le père ; ainsi, si tu les as sous la main, rends-moi ce service, je l’en prie.

— Je les ai sans nul doute, dit le fils, — et il lui passa les billets. Mais je pense, mon père, que vous devriez vous rappeler l’exiguïté de mon revenu, et combien il est peu probable qu’il augmente jamais.

— Tu ne devras t’en prendre qu’à toi, alors, dit le colonel en empochant l’argent. Jamais jeune homme n’a eu une plus belle partie entre les mains, — jamais ; si tu l’as mal jouée, c’est de ta faute, — complètement de ta faute.

Sir Lionel était très-réellement convaincu que son fils ne s’était pas bien conduit envers lui, et qu’il lui devait quelque réparation. Si George, pensait-il, avait seulement fait son devoir, il aurait été depuis longtemps l’héritier reconnu de son oncle, et aurait eu à sa disposition tout ce qui revient d’ordinaire à un fils respectueux et obéissant. Pour un homme du caractère de sir Lionel, il était irritant de se sentir si près de grandes richesses, et de devoir se dire qu’elles n’étaient pas à sa portée, et que probablement, hélas ! elles ne le seraient jamais.

Sir Lionel comptait attendre à Londres la réponse de mademoiselle Baker, et ce fut en effet là qu’il la reçut. Malgré sa brièveté, cette réponse était suffisamment claire. Évidemment, mademoiselle Baker avait trahi sir Lionel auprès de M. Bertram, et tout espoir d’obtenir de l’argent de ce côté-là devait être abandonné désormais. Le colonel pourrait réussir de vive voix à persuader mademoiselle Baker, mais ce ne serait là qu’un bien stérile triomphe. Si mademoiselle Baker se brouillait avec son oncle pour épouser sir Lionel, celui-ci ne trouvait plus en elle la compagne qu’il avait rêvée. Du reste, il ne tarda pas à apprendre qu’elle n’était pas encore de retour à Littlebath, et que probablement elle n’y reviendrait plus. Là-dessus, se croyant en sûreté, il y retourna lui-même, et se trouva bientôt le centre de mille petites ovations sentimentales que lui préparèrent les indiscrétions de mademoiselle Todd et de mademoiselle Pénélope Gauntlet.

Ce fut deux mois plus tard que George Bertram revit sir Henry Harcourt pour la première fois depuis le mariage. Il avait appris que sir Henry et sa femme étaient à Londres, et il avait entendu vanter les splendeurs de leur nouvelle maison d’Eaton-Square. Les journaux lui avaient dit avec quel éclat lady Harcourt avait paru à la cour, avec quelle grâce elle recevait, et combien tout le monde portait envie au jeune avocat qui, possédant déjà le talent, la renommée et une grande position, venait d’ajouter à tous ces trésors une femme belle, riche et élégante. Plus George Bertram lisait et entendait ces choses, plus il se tenait à l’écart, et plus il évitait avec soin les lieux qu’il supposait devoir être fréquentés par ces favoris de la fortune.

Dans le courant de ces deux mois, sir Henry était venu deux fois chez Bertram ; mais Bertram n’était chez lui pour personne. Il habitait un grand désert où il n’y avait d’être vivant que lui — un désert immense et aride, sans eau, et où rien ne verdissait. Il était seul. Il n’avait confié sa douleur qu’à une seule personne ; il n’avait cherché à y échapper qu’une seule fois. Mais l’effort n’avait rien produit ; le cœur ami était bien loin ; et depuis lors il avait vécu solitaire, enfermé dans son petit logement de Londres.

La rencontre eut lieu, enfin. Sir Henry ne voulait pas renoncer à ses projets de réconciliation, et il écrivit à Bertram pour lui annoncer sa visite et pour en fixer l’heure. « Caroline et vous, vous êtes cousins ; écrivit-il, et il n’y a pas de raison pour que vous soyez ennemis. Faites ce que je vous demande, si ce n’est pour moi, du moins pour elle. »

Bertram passa des heures entières les yeux fixés sur ce billet avant de pouvoir se décider à y répondre. Était-il possible qu’elle désirât le revoir ? Était il possible que dans le premier éclat de sa splendeur et de son heureuse prospérité elle voulût se retrouver en face de lui, si triste, si misérable, si abandonné ? Pourquoi le désirait-elle ? Comment pouvait-elle le désirer ?

Puis il se demanda si, de son côté, il désirait aussi la revoir. Il s’était dit cent fois qu’il l’aimait, qu’il l’aimait comme jamais il ne l’avait aimée quand elle devait lui appartenir. Il s’était dit, plus souvent encore, qu’il ne goûterait de repos que lorsqu’elle aurait cessé d’être l’objet principal de ses pensées. Il savait à merveille qu’il ferait mieux de ne jamais la revoir ; mais, après avoir passé deux heures à débattre la question avec lui-même, il finit par écrire à sir Henry qu’il l’attendrait à l’heure dite. À partir de ce moment, il cessa tout effort salutaire ; le travail fut abandonné, et il ne resta rien de tout le progrès qu’il avait déjà accompli dans le bien.

Sir Henry fut exact au rendez-vous. Quel que fût son but, il le poursuivait toujours avec énergie. Ses devoirs étaient variés et incessants ; les heures n’étaient plus assez nombreuses pour lui, et les jours lui semblaient trop courts ; les exigences de ses clients et celles de la politique, jointes à tout ce que réclame le monde à l’égard de ceux qui occupent de brillantes positions, lui laissaient à peine le temps de dormir ; mais pourtant il lui fallait à tout prix revoir le rival malheureux qui l’eût si volontiers laissé à ses joies et à ses splendeurs ! Ces choses-là, du reste, n’ont-elles pas été expliquées il y a bien longtemps, avant même que le christianisme fût en honneur ? « Quos Deus vult perdere, prius dementat. » Ceux que Dieu veut perdre, il commence par les priver de raison.

Rien ne put égaler l’amitié doucereuse et les façons séduisantes que déploya sir Henry à l’égard de George. Il ne parla pas beaucoup du passé ; mais le peu qu’il en dit semblait indiquer qu’il croyait n’avoir obtenu la main de Caroline Waddington que parce que Bertram avait dédaigné ce bonheur. Tout grand personnage qu’il était, il s’humilia presque devant le génie de Bertram. Il parla de leur vieux parent à Hadley comme s’ils eussent été l’un et l’autre ses héritiers reconnus, ayant des droits égaux, et il termina en souhaitant que George et lui restassent amis.

— Nos routes sont bien différentes, dit Bertram, que le ton de Harcourt avait un peu touché. La vôtre sera en pleine lumière ; la mienne devra être à l’ombre.

— La plupart des hommes, s’ils sont bons à quelque chose, vivent à l’ombre pendant de certaines périodes de leur vie, dit Harcourt. Moi aussi, j’ai eu mes jours sombres, et j’en aurai sans doute encore d’autres ; mais, ni pour vous ni pour moi, l’éclipse ne peut être de longue durée.

Bertram se dit que Harcourt parlait de choses qu’il ignorait, et il sourit intérieurement en entendant cet homme heureux parler des jours sombres de sa vie. Quand donc les ténèbres avaient-elles envahi son âme ? Nous sommes disposés, tous tant que nous sommes, à croire, dans nos jours de tristesse, que jamais la nuit n’a été aussi épaisse pour les autres que pour nous.

— Je comprends vos sentiments à merveille, continua sir Henry, et j’espère que vous me pardonnerez de vous en parler franchement. Vous avez résolu de ne plus revoir Caroline : mon but est de vous faire renoncer à cette résolution. C’est aussi le désir de Caroline. Il est inadmissible que vous continuiez à fuir ainsi le monde. Votre destinée est d’être écrivain ; mais, de nos jours, la destinée des écrivains en fait des législateurs et des hommes d’État. Ils ont une grande position sociale, ils ont la fortune, et ils savent dominer de toute leur hauteur leurs inférieurs en intelligence. Voilà la carrière que nous souhaitons et que nous prévoyons pour vous, et nous espérons tous deux vous y aider de notre amitié.

Harcourt usa de toute son éloquence — éloquence qui, en ce cas, se trouva dangereusement puissante pour détruire son propre bonheur. En vérité, cet homme ne savait pas ce que c’est que l’amour — l’amour tel que le comprenaient si bien ces deux malheureux amants. Il savait que sa femme était pour lui froide — froide comme la glace. Il croyait qu’elle avait, été de même pour Bertram, et que ce dernier avait rompu avec elle à cause de cela. Il admettait que pour lui-même l’amour passionné n’était pas nécessaire. Tout le monde reconnaissait que sa femme était parfaitement belle et gracieuse : donc sir Henry était satisfait. Disons-le cependant, la lune de miel avait été passablement maussade. Plus d’une fois, pendant ce temps d’épreuve, il avait été presque tenté de dire à sa femme qu’il avait payé trop cher le droit de presser sur son cœur une statue de glace. Mais il s’était contenu, et, plus tard, il se persuada qu’il était heureux quand, au milieu du tourbillon de la saison de Londres, il passait ses matinées au Palais et ses soirées au Parlement.

— Venez dîner sans façon avec nous après-demain, dit sir Henry ; comme cela la glace se trouvera rompue. George Bertram accepta ; et, à partir de ce moment, il ne fut plus question de travail pour lui.

On était au lundi, et l’invitation était pour le mercredi suivant. Sir Henry expliqua à Bertram que, par exception, il n’aurait pas besoin d’être à la Chambre avant dix heures du soir, et il ajouta qu’au petit dîner sans façon il n’y aurait d’autres convives que M. et madame Stistick et le baron Brawl, dont la famille n’était pas encore rentrée à la ville.

— Le baron vous plaira, dit Harcourt ; il parle haut et d’un ton tranchant, mais il ne crie et ne tranche pas sans raison, comme tant d’autres. Stistick est simplement assommant. D’ailleurs, vous devez le connaître. Il est le représentant de Peterloo, et il vote avec nous à la condition que quelqu’un l’écoutera une fois par semaine à peu près. Mais le baron sera là pour lui fermer la bouche.

— Et madame Stistick ? demanda George.

— J’en ai entendu parler hier pour la première fois, et Caroline est allée la voir aujourd’hui. Ç’a été une corvée pour elle, car ils demeurent au diable, presque à la-campagne, je crois. Allons, à sept heures et demie, mercredi. Adieu, mon cher. Je devrais être depuis vingt minutes à Westminster, en présence du baron Brawl. Et, en disant ces mots, le solliciteur général s’élança dans la rue, se jeta dans une voiture et se mit aussitôt à parcourir son dossier, en dépit des cahots et du bruit des roues sur le pavé du Strand.

Sir Henry parti, une idée dominante s’empara de Bertram : Pourquoi Caroline avait-elle désiré de le revoir ? Dans quel but s’obstinait-elle à vouloir se rencontrer avec lui ? Ne vaudrait-il pas mieux tous deux qu’ils fussent aux extrémités opposées du monde ?

— Au fait, se dit-il, si elle n’éprouve aucun embarras, pourquoi en éprouverais-je ? Si elle a tant de force, j’en aurai aussi. J’irai, et je la reverrai.

Il laissa là son travail, et se perdit dans ses réflexions. Il en voulait à Caroline de ce qu’elle se sentait la force de le revoir. Mais, hélas ! il était en même temps à moitié heureux qu’elle l’eût souhaité. L’idée ne lui vint pas un seul instant qu’il pût jamais à l’avenir la considérer autrement que comme la femme d’un ami dont il ne se souciait que médiocrement. Et pourtant, il éprouvait au fond du cœur un petit mouvement de vanité satisfaite en apprenant qu’elle tenait à le revoir.

Mais elle, comment avait-elle pu exprimer un pareil désir ? Voici comment la chose s’était passée. — Caroline, lui avait dit un jour son mari pendant leur déjeuner, il est ridicule que George et vous, vous continuiez à être brouillés. Je déteste ces absurdités-là.

— Il n’y a pas de brouille entre nous, répliqua-t-elle.

— Il ne devrait pas y en avoir, et je compte l’amener ici.

Le rouge monta légèrement au visage de Caroline, et elle répondit : — Si vous le désirez, sir Henry, et s’il le désire aussi, je ne m’y opposerai pas.

— Je le désire, sans nul doute. Je trouve cela indispensable, vu ma position à l’égard de votre grand-père.

— Agissez absolument comme vous le jugerez convenable, répondit lady Harcourt.

C’est ainsi que Caroline avait exprimé le désir de voir George Bertram chez elle. Si ce dernier eût su la vérité, que serait devenu son petit sentiment de satisfaction vaniteuse ?

Pendant les premiers temps de son mariage, lady Harcourt jouit de son triomphe avec le plus grand calme. Son changement de vie ne parut pas l’émouvoir beaucoup. Sa tante venait souvent de Hadley pour la voir, et s’étonnait de trouver si peu de changement en elle. Sous de certains rapports pourtant, elle était fort changée, car lady Harcourt avait des manières plus douces, la parole moins vive, et un moins grand amour de domination que n’avait jadis eu Caroline Waddington. Elle allait beaucoup dans le monde, et on y faisait grand cas d’elle ; mais elle y obtenait surtout ces succès calmes que les femmes d’une grande beauté remportent si facilement. Il semblait qu’elle n’eût qu’à rester tranquille et à sourire de temps à autre, pour que le monde fût a ses pieds. Souvent, hélas ! le sourire manquait, et pourtant le monde adorait tout de même.

Chez elle, elle était plus occupée, mais elle ne montrait guère plus d’animation. Son mari lui avait dit qu’il tenait à ce qu’on remarquât leurs dîners, et elle avait étudié la chose comme un enfant bien sage étudie sa leçon. Elle s’était apprise à composer un menu élégant, elle s’était assurée d’un excellent cuisinier, elle tâchait que l’ordonnance du service fût sans défaut ; elle s’efforçait, en un mot, de rendre sa maison brillante. Tout y brillait, en effet, et sir Henry était satisfait, somme toute. Sa femme, il est vrai, ne parlait que peu, mais le peu qu’elle disait avait une grâce et une élégance parfaites. Elle était toujours bien mise, toujours belle, toujours distinguée. Sir Henry n’avait-il donc pas sujet d’être satisfait ? Quant à la conversation, il se chargeait lui-même de ce soin.

Et maintenant qu’on lui disait que George Bertram allait venir chez elle, elle ne s’en montrait pas plus émue que de la visite du baron Brawl. Son indifférence était telle, que sir Henry ne put avoir le moindre prétexte à jalousie. Tout, du reste, semblait lui être indifférent. Rien ne paraissait avoir le pouvoir d’éveiller en elle ni joie ni tristesse. Sir Henry devait être satisfait ; mais, malgré tant de beauté, de grâce et d’élégance, il se demandait parfois avec curiosité si rien au monde ne pourrait donner de la vie et de l’animation à cette statue qu’il nommait sa femme. Il avait pensé — il avait presque espéré — que le nom de celui qu’elle avait autrefois aimé, l’aurait émue ; que l’idée de le revoir l’aurait troublée ; mais non : pour elle, tous les noms se ressemblaient. On lui avait dit d’aller voir madame Stistick, et elle y était allée ; on lui disait de recevoir M. Bertram, et elle était toute prête à le recevoir. En supposant que sir Henry eût pu convier à sa table les anges du ciel et les démons de l’enfer, elle eût accueilli les uns et les autres avec une égale aménité. Elle faisait son devoir, et cela devait naturellement plaire à un mari assez disposé à avoir une volonté ; mais le devoir lui-même, quand il est tout seul, peut finir par lasser un mari, et un homme peut en arriver à désirer que sa femme le contrarie quelquefois.

En cette occasion, sir Henry n’eut pas le plaisir d’être contrarié.

— J’ai vu Bertram ce matin, dit-il, lorsqu’il rentra chez lui pendant cinq minutes avant de se rendre à la séance de nuit de la Chambre. Il vient dîner mercredi.

— C’est bon. Alors nous serons six.

Et ce fut tout. Il était évident que le dîner, et le dîner seul, la préoccupait. Son mari ne pouvait se plaindre, car il lui avait recommandé de donner toute son attention aux dîners ; néanmoins, il se sentit presque vexé. Qu’aucune femme ne compte sur une obéissance aveugle pour satisfaire son mari. Trop de vertu chez les autres ne nous plaît jamais, à nous autres pécheurs.

Mais il y avait des moments, alors qu’aucun œil ne la guettait, alors qu’aucun maître ne s’étonnait de ses perfections, où lady Harcourt pouvait réfléchir sur sa destinée. Des moments, ai-je dit ? il y avait des heures, puis des heures encore, des heures sans fin. Il y avait des heures innombrables, longues, lentes et traînantes, pendant lesquelles elle n’avait pas autre chose à faire que de réfléchir. Une femme peut s’occuper de sa maison et de sa toilette, et pourtant il peut se faire qu’il lui reste encore trop de temps pour la réflexion. Sir Henry eût donné des dîners tous les jours, lady Harcourt s’en serait peut-être félicitée.

Comment se conduire ? que dire ? que faire, lorsque George Bertram serait là en convive chez elle ? Comment pouvait-il être assez cruel, assez inhumain pour faire une chose pareille ? Le chemin de la vie était déjà si rude pour ses pauvres pieds meurtris ! Il devait savoir cela — il aurait dû le savoir, du moins. Aurait-il bien le courage d’ajouter un danger de plus à tous les périls qui l’entouraient déjà ?

Le mercredi arriva, et à sept heures et demie Caroline était au salon, aussi belle et aussi digne que jamais. Il y avait un certain canapé où elle se tenait toujours. C’était son trône de déesse, où ses adorateurs venaient lui rendre hommage. Personne ne s’asseyait auprès d’elle. Elle n’avait pas ce doux attrait qui engage les hommes, et les femmes aussi, à se rapprocher. Son accueil était plein de grâce et disait beaucoup de choses, mais il disait surtout fort clairement ceci : Noli me tangere.

Le baron Brawl fut de cet avis, quand il débuta en lui disant que la renommée de ses charmes était parvenue jusqu’à lui, et qu’il était ravi d’avoir l’occasion de faire sa connaissance.

M. et madame Stistick le suivirent de près. Madame Stistick s’installa sur le canapé d’en face, et sembla croire que par là elle remplissait tous ses devoirs sociaux. C’était une grosse femme massive, au front et au menton carrés, qui avait réussi à élever sept enfants sans le moindre accident. Depuis les succès parlementaires de son mari, elle se laissait promener de dîner en dîner, et elle en jouissait à sa manière. Sa timidité ne l’empêchait pas de manger, et elle ne tenait nullement à causer. Pourvu qu’elle fût mollement assise et qu’elle entendît un bourdonnement de voix, elle se trouvait heureuse et amusée. Elle employait peut-être ces nombreuses heures de loisir à méditer sur les robes de ses enfants et sur le linge de son mari. Toujours est-il qu’elle ne semblait jamais les trouver longues.

M. Stistick, debout, le dos à la cheminée, préparait sa première attaque contre le baron Brawl, lorsqu’on annonça M. Bertram.

— Ah ! Bertram ! je suis charmé de vous voir, dit sir Henry, et d’autant plus charmé, que voilà le dîner. Mon cher juge, vous devez connaître mon ami Bertram, au moins de nom. Et il se fit une sorte de demi-présentation.

— Monsieur Bertram qui a causé, dans le temps, une si grande émotion à Oxford ? dit le baron. Mais Bertram ne le vit ni ne l’entendit. Il n’était maître ni de ses yeux ni de ses oreilles.

En prenant la main que lui tendait son hôte, George jeta un rapide regard autour de lui. Elle était là assise, et il fallait qu’il lui parlât ! La dernière fois qu’ils s’étaient vus, il lui avait parlé, Dieu sait ! assez librement, et le souvenir de tout ce qu’il avait dit alors lui revint soudainement en mémoire. Ce jour-là, avec quel dédain il l’avait traitée ! Combien il avait paru faire peu de cas d’elle ! Aujourd’hui il lui semblait voir une déesse, et c’est à peine s’il osait lui adresser la parole. Il sentait le feu lui monter au visage, et il comprenait que sa manière serait gauche et embarrassée. Il n’était pas maître de lui, et quand un homme en est là, il est bien rare que cela ne se voie pas.

Pourtant il lui parla.

— Comment allez-vous, lady Harcourt ? dit-il, et il sentit que le bout des doigts de Caroline touchaient la main qu’il lui tendait.

Et elle lui parla à son tour — du moins, il semble probable qu’elle lui parla. Mais une jolie femme dit tout ce qu’il faut en pareille occasion sans desserrer les lèvres. Du reste, il était indifférent qu’elle lui adressât la parole ou qu’elle ne lui dît rien. Ce qui est certain, c’est que George ne l’entendit pas. Les doigts de Caroline le touchèrent, les yeux de Caroline s’arrêtèrent un instant sur son visage, et pendant ce court moment il se rappela Jérusalem, le mont des Oliviers, les promenades à cheval de Littlebath, et surtout cette dernière entrevue, lorsque tout, tout s’était écroulé entre eux.

— Il y a cinq cent cinquante-cinq mille enfants mâles âgés de neuf à douze ans, dit M. Stistick, qui poursuivait quelque argumentation surprenante au moment, même où Bertram se dirigea vers la cheminée.

— La belle famille nationale ! dit le baron. Et combien je me sens humilié quand je me dis qu’il n’y en a qu’un parmi le nombre qui m’appartienne !

En ce moment on annonça le dîner.

— Madame Stistick, permettez-moi…, dit sir Henry, en offrant le bras à cette dame. Un instant après, Bertram descendait l’escalier qui menait à la salle à manger, côte à côte avec le membre du parlement. — Et nous avons place, dans nos écoles nationales, pour cent quatorze tout juste. Dites-moi, je vous le demande, que deviennent les quatre cent quarante et un autres ?

Bertram ne se sentait pas en état de lui fournir le moindre éclaircissement à cet égard.

— Je puis vous renseigner sur les quatre cent quarante et unième, dit le baron, au moment où sir Henry prononçait le Benedicite.

— Un millier de plus ou de moins est indifférent, reprit M. Stistick, qui laissa à peine le temps à sir Henry d’achever.

Le baron Brawl et M. Stistick se placèrent, l’un à la droite, l’autre à la gauche de lady Harcourt, de sorte que Bertram ne fut pas obligé de lui parler pendant le dîner. Le juge ainsi que le membre du parlement parlèrent sans s’arrêter, et le solliciteur général fit de même. Un dîner de six est toujours un dîner causant. Les hommes et les femmes ne sont pas distribués par couples, ce qui les rend muets le plus souvent. La voix de l’un excite les autres à parler, et la difficulté, en pareil cas, n’est pas de trouver quelque chose à dire, mais bien de se faire écouter. Dix, douze, quatorze : voilà les nombres silencieux pour un dîner.

De temps à autre, Harcourt cherchait à engager Bertram dans la conversation, et celui-ci fit de son mieux pour s’y prêter. Il tâcha de répondre à quelques-unes des questions difficiles de M. Stistick, et repoussa, mais faiblement, la raillerie du juge. Mais il n’était pas maître de lui, nous l’avons dit, et Caroline, qui l’observait du haut de sa silencieuse beauté, dut s’en apercevoir. Elle l’accusa intérieurement de manquer de courage ; mais s’il eût été bruyant, s’il eût semblé heureux et léger, il va tout à parier qu’elle l’aurait accusé de quelque chose de plus grave encore. Il lui aurait paru manquer de cœur.

— Tant qu’on laissera la chose entre les mains des parents, il n’y aura absolument rien de fait, reprit M. Stistick.

— C’est ce que je dis toujours à lady Brawl, répondit le baron.

— Et c’est ce que j’ai dit à lord John, et ce que je lui redirai toujours. Lord John va bien, jusqu’à un certain point…

— Merci, Stistick. Je prends acte de la concession, dit le solliciteur général.

— Lord John va bien jusqu’à un certain point, reprit le député contrarié de l’interruption ; mais il n’y a qu’un seul homme dans le pays qui comprenne complètement le sujet, et qui soit capable de…

— Et il me semble difficile qu’il s’en rencontre un second, interrompit le juge.

— Et qui soit capable de se faire écouter.

— Que dites-vous, lady Harcourt, de la surveillance d’une école composée de… Combien de millions sont-ils, monsieur Stistick ?

— Cinq cent cinquante-cinq mille enfants mâles…

— Si nous les appelions des garçons ? dit le juge.

— Des garçons… ? reprit M. Stistick, qui ne comprit pas tout d’abord, mais que cette familiarité d’expression déconcertait.

— Mais je suppose bien que ce sont des garçons, pour la plupart.

— Ils sont tous âgés de neuf à douze ans, vous dis-je, continua M. Stistick qui, pour le coup, était tout à fait embrouillé.

— Oh ! cela change la question, dit le juge.

— Pas du tout, dit M. Stistick. Nous avons place dans nos écoles…

— C’est bien ! je m’en rapporte à lady Harcourt. Voyons, lady Harcourt, qu’en dites-vous ?

Caroline ne se sentait pas disposée à prendre part aux persiflages du baron, de sorte qu’elle répondit avec son plus grave sourire :

— Je suis sûre que M. Stistick comprend à merveille la question.

— Et vous, madame, qu’en dites-vous ? dit le baron en se tournant vers madame Stistick, placée à la gauche.

— M. Stistick a toujours raison en pareilles matières, dit la dame.

— Voyez ce que c’est qu’une grande réputation. Cela vous autorise même à renverser les lois de la nature. Pourtant, je maintiens, monsieur le solliciteur général, que ces enfants mâles doivent être, pour la plupart, des garçons.

— Des garçons ! s’écria le membre du parlement, des garçons ! Je crois vraiment que vous n’avez pas compris un mot à ce que nous disions.

— Je le crois en effet, dit le baron

— Il y a cinq cent cinquante-cinq mille enfants mâles âgés de…

— Oh ! oh ! enfants mâles, dites-vous ? Ah !… ah… ah… Maintenant, je saisis la différence. Je vous demande mille pardons, monsieur Stistick ; j’ai été vraiment d’une bêtise… Et vous comptez expliquer tout ceci à lord John pendant la session actuelle ?

— Dites donc, Stistick, quel est cet homme unique dont vous parliez tout à l’heure ?

— Cet homme est lord Boanerges. C’est, je croîs, le seul homme vivant qui comprenne réellement les besoins sociaux du pays…

— Et le reste, dit ironiquement le baron. Ah ! c’est Boanerges qui doit entreprendre l’éducation de tous ces enfants mâles. Cela me semble très-bien trouvé ; il est né maître d’école.

— C’est le premier homme du siècle. Ne le pensez-vous pas, sir Henry ?

— Il l’était sans contredit quand il était assis sur le sac de laine, répondit Harcourt. C’est là la position normale, on le sait, du plus grand homme du siècle dans ce pays-ci.

— Ce qui n’empêche pas que plus d’un chancelier cache sa lumière sous le boisseau pendant qu’il siège sur le sac de laine.

— C’est le premier des réformateurs-légistes, s’écria M. Stistick avec enthousiasme.

— J’espère qu’il sera le dernier de mon temps, dit son adversaire.

— Je souhaite qu’il vive assez pour accomplir son œuvre, dit Harcourt.

— Alors Mathusalem ne serait qu’un enfant auprès de lui, dit le juge.

— Le fait est qu’il aurait du travail devant lui, s’il lui fallait mener à bonne fin son œuvre, dit M. le solliciteur-général.

La discussion continua sur ce ton. George Bertram et lady Harcourt restèrent silencieux et écoutèrent ; peut-être serait-il plus vrai de dire, qu’ils restèrent silencieux et n’écoutèrent point.

Puis à un moment donné milady Harcourt et madame Stistick se retirèrent, selon la mode barbare de leur pays. Ce ne fut qu’alors que Bertram commença à reprendre ses esprits, et qu’il se dit qu’après tout, le monde entier n’était peut-être pas mort autour de lui.

Après la discussion, vint le calme, et pendant le calme on prit le café. Le café pris, le solliciteur-général regarda sa montre et se leva précipitamment pour se rendre à la Chambre.

— Mon cher juge, dit-il, je sais que vous m’excuserez, car, vous aussi, vous avez été dans le temps un esclave parlementaire ; mais j’espère que vous irez retrouver ces dames là-haut. Quant à vous, Bertram, on ne vous pardonnerait pas de ne pas remonter au salon.

Bertram monta, en effet, au salon, afin de ne pas paraître s’esquiver lâchement de la maison. Ce fut du moins la raison qu’il se donna à lui-même. Il reparut au salon pendant un quart-d’heure tout au plus.

Mais le baron Brawl ne remonta pas. Son club avait pour lui de trop fortes séductions. M. Stistick reparut au salon pendant quelques instants pour enlever madame Stistick aux plaisirs du monde.

Ce couple parti, George Bertram se trouva seul, encore une fois, pendant cinq minutes, avec Caroline Waddington.

— Adieu, lady Harcourt, dit-il en essayant de nouveau de lui prendre la main. Ces mots et le simple bonjour de l’arrivée étaient les seules paroles qu’il lui eut adressées.

— Bonsoir, monsieur Bertram. Enfin sa voix s’altéra, enfin son regard s’abaissa, enfin sa main trembla ! Si elle eût pu supporter avec fermeté cette dernière épreuve, tout était sauvé ; mais elle, qui savait si bien se dominer devant des indifférents, ne sut pas soutenir le regard de George étant seule avec lui. Un seul indice d’attendrissement, un seul signe de tendresse, suffisaient pour tout perdre ! Elle ne sut pas cacher cet indice, elle ne put pas s’empêcher de donner ce signe.

— Nous sommes toujours cousins, du moins, dit-il.

— Oui, nous sommes cousins, — cela va sans dire.

— Et, en cette qualité, il n’est pas besoin de nous haïr ?

— Nous haïr ! Et elle frémit en disant ces mots. Non, non, il n’y a pas de haine entre nous, j’espère.

Il demeura silencieux pendant quelques secondes, sans la regarder. Il semblait ne voir que les riches et précieux ornements qui garnissaient la cheminée. Pourquoi ne s’en allait-il pas ? Pourquoi restait-il là pensif et muet ? Pourquoi, pourquoi était-il si cruel envers elle ?

— J’espère que vous êtes heureuse, dit-il enfin. Une résolution presque farouche se peignit sur le visage de Caroline quand elle lui répondit, en faisant un violent effort pour dompter son émotion : — Merci… oui, dit-elle ; et puis, elle ajouta : Je n’ai jamais beaucoup cru au bonheur.

Cependant il ne s’en allait pas. — Nous nous sommes revus, enfin, dit-il après un nouveau silence.

— Oui, nous nous sommes revus, répéta-t-elle ; et elle essaya de sourire en lui répondant.

— Et il n’est pas nécessaire que nous soyons comme des étrangers ? Il y eut un nouveau silence, car elle ne trouvait pas de réponse. — Faut-il que nous soyons comme des étrangers l’un pour l’autre ? reprit-il.

— Je ne le pense pas ; du moins si sir Henry désire qu’il en soit autrement.

Alors il lui tendit la main, et, lui souhaitant de nouveau le bonsoir, il s’en alla.

Pendant plus d’une heure, lady Harcourt resta devant la cheminée à regarder le feu qui s’éteignait lentement. Quos Deus vult perdere, prius dementat. Elle ne se dit pas ces mots, sans doute, mais une pensée toute semblable dut lui traverser l’esprit pendant qu’elle restait là, immobile, à réfléchir au misérable aveuglement de son mari.