Charpentier (2p. 70-95).


CHAPITRE XXVII


LA SECRÈTE BLESSURE.


C’était pour le moment un triste intérieur que celui de Hurst-Staple, et l’on pouvait s’étonner de voir Bertram y rester ; pointant il ne s’en allait pas. Il y était depuis quinze jours à peu près lorsqu’il apprit qu’Adela devait aller le surlendemain à Littlebath. Elle partait avec mademoiselle Baker, et, dans le cas où celle-ci aurait à retourner à Hadley, il était décidé qu’Adela, en attendant l’arrivée de sa tante, demeurerait chez mademoiselle Todd.

— Je ne vois pas pourquoi vous êtes si pressée d’aller à Littlebath, dit madame Wilkinson. Nous sommes très-heureux de vous avoir ici, Adela, et j’espère que nous vous l’avons prouvé. Arthur n’ayant laissé voir aucune intention de faire la cour à mademoiselle Gauntlet, la bonne madame Wilkinson s’était sentie toute rassurée, et maintenant elle se montrait un peu piquée de ce qu’on semblait faire si peu de cas de son hospitalité.

Mais Adela lui expliqua de sa voix la plus douce qu’il serait meilleur pour elle de quitter ce voisinage ; qu’elle y souffrait trop, et que le souvenir de la perte de son père serait peut-être moins cuisant si elle pouvait s’éloigner pendant un peu de temps. Ah ! que les femmes sont hypocrites ! Ophélie elle-même, au milieu de son égarement, ne cherche-t-elle pas à faire croire qu’elle pleure son père assassiné, alors que nous savons tous qu’elle est folle d’amour pour Hamlet ? Et voici maintenant Adela qui est obligée de quitter Hurst-Staple parce que son pauvre vieux père est enterré près de là à West-Putford ! Je sais dix mots qui auraient à jamais recouché dans sa tombe ce fantôme-là. Mais à quoi sert la parole aux femmes, si ce n’est pour cacher leurs pensées ?

À l’exception d’Arthur, Bertram n’avait parlé à personne du mariage de Caroline. Madame Wilkinson avait bien essayé une ou deux fois d’aborder ce sujet, mais en vain. Il n’était pas possible à George d’ouvrir son cœur à madame Wilkinson.

— Comme, cela, Adela, vous allez nous quitter ? lui dit-il le jour où il apprit que la jeune fille partait. Tout le monde dans la famille disait Adela tout court, et George avait appris à faire comme les autres. Quelquefois des intimités s’établissent ainsi après cinq jours passées ensemble, tandis que, par contre, vingt années de connaissance ne les font pas toujours naître.

— Oui, monsieur Bertram. Je ne les ai que trop dérangées ici, il est temps que je parte.

— « Donne la bienvenue à l’hôte qui arrive, aide au départ de l’hôte qui s’en va, » dit le proverbe. Ce serait là ma maxime si j’étais maître de maison. Je n’essayerais jamais de retenir qui voudrait s’en aller. Mais tout le monde vous regrettera ici, Adela, et puis, Littlebath ne vous conviendra pas. Vous ne pourrez jamais vous y plaire.

— Pourquoi donc ?

— C’est un vilain endroit. On n’y voit que des maquignons et de vieilles mégères, des tables à jeu et de faux cheveux.

— Les tables à jeu ne me regardent pas, ni les faux cheveux non plus, j’espère ; — ni même, à la rigueur, les maquignons, je pense.

— Mais tout de même vous resterez en présence du plus terrible des quatre fléaux.

— Comment pouvez-vous être si méchant pour Littlebath ? J’y ai passé, quant à moi, des jours bienheureux. Puis Adela s’arrêta, car elle se rappelait que ces jours heureux auxquels elle pensait avaient été passés avec Caroline Waddington.

— Oui, et moi aussi j’y ai eu des jours heureux — très-heureux. Ils n’auraient pas pris fin si brusquement peut-être, si ce n’eût été l’influence de cette affreuse petite ville.

Adela, ne sachant que répondre, se remit à broder ; puis, après quelques instants de silence, elle dit :

— J’espère que la pernicieuse influence de Littlebath n’agira pas sur moi.

— Je l’espère bien, — je l’espère de tout mon cœur. Ces influences-là ne doivent pas vous atteindre. Il me semble, si j’ose le dire, que vous êtes à l’abri de toutes les influences.

— Vraiment ! comme les imbéciles alors ? dit-elle en riant.

— Non, mais comme pourrait l’être un rocher. Je ne dis pas comme un rocher de glace, — la glace finit toujours par fondre et céder.

— Et moi, monsieur Bertram, suis-je donc toujours froide et dure ? Ce qui vous a rendu si malheureux, n’en ai-je pas été affligée, moi aussi ? Pensez-vous, qu’aimant Caroline comme je l’aime, je puisse ne pas être triste et malheureuse ? J’ai eu du chagrin aussi et j’ai bien pleuré. Je ne suis pas de pierre, comme vous semblez le croire.

En parlant ainsi, Adela déployait un certain artifice ; afin de mettre ses propres sentiments à l’abri de toute investigation, elle dirigeait le courant de la conversation de façon à le faire passer tout au travers du cœur de son interlocuteur.

— Sur qui versez-vous des larmes ? Pour lequel de nous deux pleurez-vous ? demanda-t-il.

— Pour tous les deux. Je pleure de ce que, pouvant être si heureux ensemble, vous ayez consenti, l’un et l’autre, à repousser le bonheur.

— Elle sera heureuse. Vous ne me croirez pas peut-être, mais c’est cette pensée qui me console.

— J’espère qu’elle sera heureuse, je l’espère tant ! Mais, grand Dieu ! quel risque ! Si elle allait ne pas être heureuse. Si elle découvrait, — lorsqu’il sera trop tard, — qu’elle ne peut pas l’aimer !

— L’aimer ! répéta George d’un ton dédaigneux. Vous ne la connaissez pas. À quoi bon aimer ?

— Ah ! ne soyez pas si sévère. Vous surtout, vous ne devez pas l’être pour elle.

— Non, je ne serai pas sévère ; au contraire, je serai indulgent. Et étant indulgent, je vous répète : à quoi bon aimer ? De quelque façon que vous envisagiez la chose, il est évident qu’elle ne peut pas l’aimer.

— Elle ne peut pas l’aimer ? Et pourquoi donc ?

— Comment cela serait-il possible ? Si elle m’avait aimé, m’aurait-elle quitté et pris un autre, le tout dans l’espace de deux mois ? Et si elle ne m’a jamais aimé, moi, si pendant deux ans elle a pu agir comme elle l’a fait sans m’aimer, quelle raison avez-vous de croire qu’elle éprouve maintenant le besoin d’aimer ?

— Mais vous, vous l’aimiez et vous avez pu cependant rompre avec elle.

— Oui, j’ai pu le faire ; je l’ai fait, et si c’était à recommencer, je le ferais encore. Oui, je l’ai aimée. Oui, si je comprends l’amour, si je sais ce que c’est qu’aimer, je puis dire que je l’ai aimée de toute mon âme. Et cependant, — je ne dirai pas que je l’ai repoussée, ce ne serait ni bienséant ni vrai — je l’ai laissée me quitter.

— Vous avez fait plus que cela, monsieur Bertram.

— J’ai offert de lui rendre sa parole. Elle l’a reprise et elle a eu raison, puisque ses sentiments avaient changé. Je n’ai fait que cela.

— Les femmes, monsieur Bertram, savent fort bien que, lorsqu’elles seront mariées, il leur faudra savoir supporter avec douceur un mot blessant ; mais les mots blessants dits avant le mariage sont bien difficiles à supporter, savez-vous ?

— Je sais mesurer mes paroles. Mais pourquoi essayerais-je de me justifier ? Il est tout naturel que vous preniez fait et cause pour votre amie. Si vous ne le faisiez pas, je vous en voudrais. Mais, Adela, si j’ai péché, j’en suis puni, — j’en suis grièvement puni. Ah ! oui, j’en suis puni ! Et George se laissa tomber sur une chaise, la tête cachée dans les mains et appuyée sur la table.

Cette conversation avait lieu au salon, et, avant qu’Adela eût pu lui répondre, une des petites Wilkinson entra.

— Adela, nous vous attendons pour sortir, dit-elle ; nous allons visiter l’école.

— Je viens tout de suite, répondit Adela en se levant précipitamment. Elle espérait que Mary s’en irait et la laisserait seule un instant avec Bertram. Mais, au lieu de cela, la jeune fille, qui n’était pas disposée à quitter le salon sans Adela, s’approcha de son cousin et lui demanda s’il avait la migraine.

— Non du tout, répondit George en relevant la tête, mais je suis à moitié endormi. Décidément le séjour de Hurst-Staple porte au sommeil. Où est donc Arthur ?

— Il est dans la bibliothèque.

— Eh bien ! j’y vais aussi. Dans la bibliothèque du moins on peut dormir sans crainte d’être dérangé.

— Merci ! vous êtes bien poli, maître George, dit Mary qui sortit du salon en emmenant Adela.

Mais Adela ne pouvait permettre que les choses en restassent là. Elle se reprochait d’avoir été dure et injuste à l’égard de Bertram. Elle n’ignorait pas que c’était Caroline qui avait eu les plus grands torts, et pourtant elle s’était laissée aller à parler à George comme s’il eût été le seul coupable. Elle s’était sentie profondément émue à la vue de sa douleur. Quand il lui avait dit combien il était cruellement puni, elle aurait voulu lui prouver sa sympathie par ses larmes. Leurs peines n’étaient-elles pas jusqu’à un certain point semblables ?

Elle résolut donc de le revoir avant de partir pour lui dire qu’elle ne le blâmait pas et qu’elle savait que les plus grands torts n’étaient pas de son côté. Cette assurance, par elle-même, ne suffirait pas pour le consoler, mais elle se promettait de la lui donner de telle façon qu’il en pourrait tirer quelque consolation.

— Avant de partir, il faut que je vous voie seul un moment, lui dit-elle le même soir dans le salon. Je partirai de très-grand matin jeudi ; quand pourrai-je vous voir ? Vous n’êtes pas très-matinal, je le sais.

— Je le serai demain. Voyez-vous quelque inconvénient à faire une promenade avec moi avant déjeuner ?

— Pas le moindre, répondit-elle.

Et le rendez-vous se trouva ainsi fixé.

— Je suis sûre que vous allez me trouver bien sotte de vous déranger ainsi et de faire tant d’embarras pour rien, commença-t-elle d’un air un peu confus, quand ils se trouvèrent ensemble le lendemain matin.

— On ne trouve jamais que l’embarras est pour rien quand l’embarras est fait pour soi, répondit Bertram en riant.

— Je suis peut-être bien absurde, mais, voyez-vous, je sens que j’ai été injuste envers vous l’autre jour, et je ne veux pas vous quitter sans vous le confesser.

— Injuste, Adela ! et comment donc ?

— J’ai dit que vous aviez repoussé Caroline.

— Il est certain que je n’ai pas fait cela.

— Elle m’a écrit, et elle m’a tout raconté. Je suis sûre que sa lettre était sincère et elle ne contenait pas un mot, pas un seul mot de reproche pour vous.

— Ah ! pas un mot… oui, je le pensais ; je savais qu’elle ne se plaindrait pas de moi. Et rappelez-vous bien ceci, Adela : je ne lui reproche rien, moi non plus. Dites-lui cela, — pas comme venant de moi, mais comme venant de vous ; dites-lui que je ne lui reproche rien. Je ne dis qu’une seule chose, c’est qu’elle me m’aimait pas.

— Oh ! monsieur Bertram…

— C’est là tout, et cela est vrai. Adela, je ne possède pas grand’chose, mais je donnerais tout, tout ce que j’ai au monde pour retrouver Caroline telle que je la croyais autrefois. Mais si aujourd’hui, rien qu’en levant la main, je pouvais la ravoir, telle que je la connais maintenant, je ne le ferais pas. Mais ce n’est pas sa faute ; elle a essayé de m’aimer, et elle ne l’a pas pu.

— Je suis certaine qu’elle vous aimait.

— Jamais ! s’écria-t-il d’une voix retentissante, en se plaçant devant Adela de façon presque à lui barrer le passage. Jamais ! elle ne m’a jamais aimé, vous dis-je. Je le sais maintenant. Misérables créatures que nous sommes ! c’est cette pensée-là, je crois, qui me tourmente le plus.

Ils se remirent à marcher. Adela était venue exprès pour lui parler, et maintenant elle avait presque peur. Elle sentait son cœur tout plein, et pourtant elle ne pouvait proférer une parole. Elle était venue pour le consoler et elle n’osait entreprendre sa tâche. Il y avait dans la douleur de Bertram une profondeur — on pourrait presque dire une sublimité — qui réduisait Adela au silence.

— Oh ! Adela, si vous saviez ce que c’est que d’avoir un cœur vide, — ou plutôt un cœur qui n’est pas vide, mais qui souhaite de l’être, afin que vous puissiez le remplir de nouveau. Chère Adela ! et en disant cela, George chercha à lui prendre la main, et, sans savoir pourquoi, elle la laissa prendre. — Chère Adela, n’avez-vous jamais désiré, vous aussi, d’avoir le cœur vide et libre ? Vous avez voulu sonder ma blessure, ne puis-je pas, à mon tour, interroger ?

Elle ne répondit pas. Comment répondre à une pareille question ? Ses yeux baissés vers la terre se remplirent de larmes. Elle ne se sentait pas la force dans ce moment de lui retirer sa main. Elle était venue pour lui parler, pour lui donner du courage, pour le consoler, et voici qu’elle ne trouvait plus un mot à dire. Bertram connaissait-il le secret de son cœur ? Ce secret qui une fois, une seule fois, lui était involontairement échappé, Caroline le lui avait-elle dit ? Avait-elle été à ce point perfide ? — fausse en amitié comme en amour ?

— Adela, Adela, pourquoi ne nous sommes-nous pas rencontrés plus tôt dans cette vie ? Oui, — vous et moi. Ces derniers mots il les ajouta après qu’elle eut vivement retiré sa main. Car elle l’avait bien vite retirée, et moins vite relevé son visage tout inondé de larmes pour soutenir bravement tout le poids du regard de Bertram. Était-il possible qu’il sût son amour et qu’il crût que cet amour s’adressait à lui ?

— Oui ; vous et moi, je le répète, poursuivit-il, quoique vous me regardiez avec tant d’indignation. Vous voulez me dire, n’est-ce pas, que quand même je vous aurais rencontré plus tôt, il m’aurait été impossible de vous obtenir ? Parlez donc, Adela, est-ce là ce que vous voulez dire ?

— Oui, c’eût été impossible, impossible à tous égards, — impossible des deux côtés, veux-je dire.

— Alors, Adela, vous aussi vous n’avez pas un cœur vide et libre ? Sans cela, pourquoi serait-ce impossible ?

— Monsieur Bertram, quand je suis venue ici, je n’avais aucun désir, aucune intention de parler de moi.

— Pourquoi ne parlerions-nous pas aussi bien de vous que de moi ? Je le redis encore, Adela, pourquoi ne nous sommes-nous pas rencontrés plus tôt ? Alors, je n’aurais peut-être pas fait ce grand naufrage. Je vais vous parler franchement, Adela. Pourquoi pas ? ajouta-t-il en voyant qu’elle cherchait à se dérober à lui, en marchant plus vite, comme si elle eût voulu fuir les paroles qu’elle pressentait.

— Monsieur Bertram, ne me dites pas ce qu’il est inutile que vous me disiez.

— Cela ne sera pas inutile. Vous êtes mon amie, et il est bon que les amis se comprennent. Vous savez combien j’ai aimé Caroline. Vous croyez que je l’ai bien aimée, n’est-ce-pas ?

— Oh ! oui, je crois cela.

— Vous pouvez le croire. Oui, je l’ai aimée. Maintenant elle va appartenir à cet homme et je ne dois plus l’aimer…

— Vous ne devez plus l’aimer de la même manière.

— De la même manière ! Y a-t-il deux manières d’aimer, pour qu’un homme puisse en changer comme il passe d’une chambre à une autre ? Il faut que je l’efface de mon esprit, de mon cœur, que je l’efface entièrement, fallût-il un fer rouge. Je ne veux pas aimer quoi que ce soit qui appartienne à cet homme.

— Vous ne devez pas aimer sa femme, dit Adela.

— Sa femme ! Elle ne sera jamais sa femme ! Elle ne sera jamais pour lui la chair de sa chair et les os de ses os, comme elle l’aurait été pour moi. Entre eux il n’y aura qu’une association qui se dissoudra lorsque les deux trafiquants auront tiré le meilleur parti possible de leur commerce avec le monde.

— Puisque vous l’aimez, monsieur Bertram, ne parlez pas d’elle avec tant d’amertume.

— Avec amertume ! Mais puisque je vous dis qu’elle a bien raison de faire ce qu’elle fait ! Si une femme ne peut pas aimer, que peut-elle faire de mieux que de spéculer sur sa beauté ? Mais laissons cela, je ne veux pas parler d’elle.

— J’ai eu bien tort de vous prier de venir avec moi ce matin.

— Non, Adela, vous n’avez pas eu tort ; vous avez eu bien raison, au contraire. Je n’ose pas vous demander de me donner encore la main, même en bonne amitié.

— De bonne amitié je vous la donne, dit-elle en lui tendant la main. La main était dégantée et elle était blanche et jolie, — plus jolie même que celle de Caroline.

— Je ne puis pas la prendre. Je ne veux pas vous mentir, Adela. J’ai le cœur brisé. J’ai aimé ; j’ai aimé cette femme de tout mon cœur, de toute mon âme, de toute la force de mon être, et voyez la fin ! Je sais aujourd’hui ce que veut dire un cœur brisé, je les sens là. Mais pourtant… pourtant… pourtant, Adela, je voudrais essayer une fois encore. Je ne puis rien faire pour moi seul… rien. Si le monde entier était à mes pieds et que je n’eusse qu’à me baisser pour prendre la fortune, le pouvoir, la gloire, je ne me baisserais pas pour la ramasser si je ne pouvais les partager avec un cœur aimant. Adela, il est si triste d’être seul !

— Oui, cela est triste ; mais la tristesse n’est-elle pas le partage de la plupart d’entre nous ?

— Oui, mais la nature nous dit de chercher le remède quand le remède est possible.

— Je ne sais pas ce que vous voulez que j’entende.

— Si fait, Adela ! vous me comprenez, — je le crois du moins. Il me semble que je parle franchement et clairement ; je tâche de le faire et je crois que vous me comprenez.

— Si je vous comprends, je dois vous dire que le remède est impossible.

— Ah !

— Oui… impossible.

— Vous n’êtes pas fâchée contre moi, Adela ?

— Fâchée ! Oh ! non pas.

— J’espère alors que vous ne vous fâcherez pas si je vous parle encore une fois franchement. Je croyais… je croyais… mais j’ai peur de vous faire de la peine.

— Ne craignez pas de me faire de la peine s’il en doit résulter quelque bien.

— Je croyais que vous aussi vous portiez votre blessure. Au fond des bois, les daims atteints par le chasseur se couchent côte à côte et lèchent leurs blessures, tandis que le troupeau vague au loin sans se soucier d’eux.

— Est-ce bien ainsi que cela se passe, croyez-vous ? Pourquoi donc le poëte nous parle-t-il du « pauvre cerf isolé qu’abandonnent et oublient ses amis au doux pelage ? » Non, non, le chagrin, je le crains, doit toujours être solitaire.

— Et par là même insupportable.

— Aujourd’hui, comme jadis, à brebis tondue Dieu mesure le vent. Mais il n’est pas de cure soudaine pour ces sortes de maux. Un temps viendra où nous nous rappellerons toutes ces choses, — je ne dis pas sans chagrin, — mais avec un calme et tranquille sentiment de tristesse qui sera endurable ; où votre cœur, qui n’est point brisé comme vous le dites, mais qui a été torturé, pourra recevoir d’autres images. Mais cela ne peut venir tout à coup. Il ne serait pas bien à nous de le désirer, je crois. Il faut que ceux qui ont le courage d’aimer aient le courage de souffrir.

— Oui, oui, mais si ce courage manque ? si on ne l’a pas ? Ne l’a pas qui veut.

— Le poids du premier coup étourdit le malheureux, je sais cela, monsieur Bertram. Mais cette première sensation de lourdeur, d’inertie, de mortelle tristesse passe à la longue. Pour cela, il faut travailler. Il vous faut lire, écrire, étudier. Sous ce rapport vous êtes plus heureux, vous autres, que nous. Vous avez de quoi occuper vos pensées.

— Et vous, Adela…

— Ne parlez pas de moi. Si vous êtes généreux, vous m’en parlerez pas. Croyez bien que, si j’ai paru en quelque façon faire allusion à mes propres peines, c’est parce que vous m’y avez contrainte. Le fardeau que Dieu m’a imposé, je saurai le porter. Si seulement il m’avait laissé mon pauvre père ! En disant ces mots, Adela fondit en larmes. Puisqu’elle parlait de son père il lui était permis de pleurer.

Bertram ne lui dit plus rien qui pût l’émouvoir jusqu’au moment où ils arrivèrent à la maison. Il lui tendit alors la main et lui dit : — Donnez-la-moi comme à un véritable ami, — comme à un ami aimé, je l’espère.

— Oui, lui répondit-elle très-bas, comme à un ami aimé ; mais n’oubliez pas que j’attends de vous la discrétion et la générosité d’un ami. Puis elle monta dans sa chambre, et lorsqu’elle parut au déjeuner, ce fut avec son air habituel de douce sérénité et avec des yeux qui ne trahissaient aucun secret douloureux.

Elle partit le lendemain. La station où elle devait prendre le train pour Littlebath était à quatre lieues de Hurst-Staple. Il fut décidé qu’on la mènerait jusque-là dans le phaéton de madame Wilkinson. Ce phaéton était le seul véhicule, à l’exception d’une charrette de ferme, qui existât au presbytère. C’était une voiture à quatre roues fort basse, assez mal combinée pour recevoir deux personnes de dimensions ordinaires sur le siège de devant, et deux personnes de dimensions extraordinaires, comme petitesse, sur celui de derrière. Madame Wilkinson la conduisait en général elle-même, ayant une de ses filles assise à côté d’elle, tandis que deux autres, — celles qui s’étaient trouvées, vérification faite, avoir les jambes les plus courtes, — étaient emprisonnées par derrière. Quand elles se trouvaient ainsi emballées toutes les quatre, il devenait évident pour tout le monde qu’il ne fallait rien demander de plus au phaéton. Or, il avait été décidé qu’Arthur conduirait Adela à la station et que Sophie l’accompagnerait aussi. Mais Sophie, en faisant cet arrangement, avait oublié que son amie possédait une malle, un sac de nuit et une caisse à chapeaux, trois objets dont la présence à Littlebath était indispensable ; il se trouva donc, au dernier moment, lorsque le phaéton arriva devant la porte avec tout le bagage arrangé sur le siège de derrière, qu’on découvrit pour la première fois qu’il fallait laisser Sophie à la maison.

Arthur Wilkinson aurait alors volontiers cédé sa place, et George Bertram n’aurait pas demandé mieux que de l’accepter. Adela, de son côté, aurait préféré ce nouvel arrangement. Mais ce qui convenait si bien à tout le monde était impossible à faire. Arthur ne pouvait guère refuser de conduire Adela parce que sa sœur n’était plus là pour le protéger, et la jeune fille, de son côté, ne pouvait refuser de se laisser conduire par son hôte. Donc, après bien des adieux et des embrassements, Adela et son compagnon se mirent en route emportant un gros paquet de sandwichs. Je me demande, par parenthèse, qui consomme ces énormes quantités de sandwichs dont on accable toujours les partants ? Je pense que les chiens des chefs de gare en sont nourris presque exclusivement.

Le premier quart de lieue se passa en efforts de la part de Wilkinson pour installer confortablement sa compagne de voyage. Il se serra dans son coin pour lui laisser plus de place ; il retira son paletot sur lequel elle était à moitié assise, et le lui mit sur les genoux pour la garantir de la poussière, et lui recommanda au moins trois fois d’ouvrir son ombrelle. Puis il trouva moyen de dire, en passant, un mot par-ci par-là à ses paroissiens pour occuper le temps, mais cela dut naturellement cesser lorsqu’il se trouva hors de sa paroisse. Ils arrivèrent ensuite à une montée, et Arthur descendit pour la faire à pied ; puis, lorsqu’il regrimpa dans la voiture, il employa près d’une minute à tirer sa montre, et à expliquer à Adela comme quoi elle arriverait bien sûrement à temps pour le train. Mais quand il eut fait tout cela, la nécessité de causer se représenta toujours aussi impérieuse. Adela et lui ne s’étaient pas trouvés ainsi seuls, et, par conséquent, obligés de causer ensemble depuis le jour où il avait été pour la dernière fois la voir à West-Putford. Lecteur, vous en souvient-il ? J’ose à peine y compter, car depuis ce temps-là les aventures et les mésaventures de notre principal héros sont venues effacer le souvenir de cette visite.

— J’espère que vous vous plairez à Littlebath, dit enfin Wilkinson.

— Je le pense… c’est-à-dire quand ma tante sera arrivée ; je me sentirai alors chez moi, vous savez.

— Elle ne doit pas arriver de quelque temps, n’est-ce pas ? reprit Wilkinson.

— J’en ai peur. Je redoute de me trouver avec cette mademoiselle Todd que je n’ai jamais vue. Mais la bonne mademoiselle Baker est obligée de retourner presque tout de suite à Hadley, et c’est bien aimable de la part de mademoiselle Todd de se charger ainsi de moi.

Puis un nouveau silence s’établit qui dura cette fois pendant l’espace d’un quart de lieue.

— Ma mère aurait été bien heureuse de vous garder au presbytère jusqu’à l’arrivée de votre tante à Littlebath, mes sœurs aussi, — et moi aussi.

— Vous êtes tous bien bons, trop bons, répondit Adela.

Autre silence ; cette fois il dura pendant un demi-kilomètre, et comme le chemin était roide, ce demi-kilomètre fut long à parcourir.

— Cela semble si singulier que vous nous quittiez, nous que vous connaissez depuis si longtemps, pour aller vivre avec mademoiselle Todd, que vous n’avez jamais vue !

— Je crois qu’un petit changement me fera du bien, monsieur Wilkinson.

— Peut-être bien…

L’autre moitié du kilomètre s’acheva à son tour.

— Allons, Dumpling, marche un peu, dit Wilkinson. Ceci s’adressait au gros cheval, car on était arrivé au haut de la montée.

— Notre maison, je le sais, a dû vous paraître bien triste. Elle est si changée aujourd’hui, n’est-ce pas ?

— Non … je ne sais pas.

— Oui, oui, elle est bien changée. Il n’y a plus cet entrain, ce bon vouloir d’autrefois. Mon père nous manque beaucoup.

— Ah ! oui, cela doit être. Je sais comprendre cela, C’est une grande perte, une bien grande perte.

— J’ai quelquefois pensé qu’il est malheureux que ma mère soit restée au presbytère après la mort de mon père.

— Vous avez été bien bon pour elle, je le sais.

— J’ai fait ce que j’ai pu pour la rendre heureuse, Adela (c’était la première fois, depuis qu’elle était venue rester au presbytère, qu’elle s’entendait appeler par lui de son nom de baptême). — Mais je n’ai pas réussi. Elle n’est pas heureuse au presbytère, ni moi non plus, du reste.

— On doit être heureux, cependant, de sentir qu’on a fait son devoir.

— Nous ne faisons jamais assez complètement notre devoir pour que cela puisse suffire à notre bonheur. Allons, marche, Dumpling ! et fais ton devoir, toi !

— Je crois que vous faites bien le vôtre, monsieur Wilkinson.

— Vous ne me croirez pas, Adela, mais je voudrais maintenant que lord Stapledean ne m’eût jamais nommé à cette cure.

— J’ai bien de la peine à croire cela. Pensez donc de quel avantage cela a été pour vos sœurs !

— Je sais que nous aurions été bien pauvres, mais nous ne serions pas morts de faim, après tout. J’étais agrégé et j’aurais pris des élèves. Je suis sûr que nous aurions été plus heureux. Et alors…

— Et alors… quoi ? demanda Adela, et, tout en faisant cette question, elle sentit son cœur battre plus fort et plus vite.

— Alors, j’aurais été libre. Depuis que j’ai accepté cette cure, je suis esclave. Il s’arrêta de nouveau et se mit à fouetter le cheval ; mais cette fois son silence ne dura pas longtemps. Oui… esclave. Vous ne voyez donc pas quelle vie je mène ? Je ne demanderais pas mieux que de me sacrifier pour ma mère, si mon sacrifice était apprécié. Mais vous voyez comment elle est. Rien de ce que je fais ne la satisfait et, cependant, pour elle j’ai tout sacrifié, — tout.

— Un sacrifice qui serait agréable ne serait pas un sacrifice. Le sacrifice consiste précisément à faire ce qui est pénible.

— Je suppose que vous avez raison. Je me dis cela bien souvent. C’est ma seule consolation.

— Mais, pourtant, je ne vois pas pourquoi on vous rendrait le séjour du presbytère désagréable ; il n’y a pas de raison pour cela. Du moins, je n’en vois pas.

Elle parlait par saccades et avec de petits efforts spasmodiques que son compagnon ne remarqua pas. À vrai dire, celui-ci lui semblait plus occupé de Dumpling que de la conversation. C’était, certes, bien malgré elle qu’elle se trouvait ainsi parler des ennuis domestiques d’Arthur Wilkinson ; mais, puisque la conversation avais pris cette direction, elle se voyait obligée à quelque peu d’hypocrisie. C’était là un sujet sur lequel elle ne pouvait pas parler ouvertement.

On arriva bientôt à une nouvelle montée et Arthur descendit encore de voiture. Adela se dit que la conversation en resterait là. C’était par hasard, pensa-t-elle, qu’ils avaient parlé de ces choses, et probablement il n’en serait plus question. Mais soit à dessein, soit par hasard et faute d’autre sujet de conversation, Arthur revint à la charge et d’une façon qui surprit infiniment mademoiselle Gauntlet.

— Vous rappelez-vous la visite que je vous fis à West-Putford peu de temps après ma nomination à la cure ? Il y a longtemps de cela et sans doute vous ne vous en souvenez plus.

— Si fait, je me la rappelle très-bien.

— Vous souvenez-vous de ce que je vous disais alors ?

— Qu’était-ce donc ? dit Adela.

Il est évident qu’il est du devoir d’une jeune personne, en de certaines occasions, d’user d’un peu d’hypocrisie.

— Un ministre de campagne est de tous les hommes celui au bonheur duquel le mariage est le plus nécessaire.

— Je le crois… c’est-à-dire dans le cas où il n’a pas de femmes dans sa famille qui puissent vivre avec lui.

— Je ne vois pas que cela fasse la moindre différence.

— Oh ! si, cela fait évidemment une différence. Il me semble qu’un homme qui n’a personne pour surveiller sa maison doit être bien malheureux.

— Est-ce là votre idée du mérite d’une femme ? Je vous croyais un idéal plus élevé, Adela. D’après cela, si un homme a un bon dîner et qu’on lui raccommode bien son linge, vous pensez qu’il doit se tenir pour content ?

Pauvre Adela ! il faut avouer qu’elle ne méritait pas cela.

— Non, je ne trouve pas que cela doive lui suffire.

— On le croirait vraiment, d’après ce que vous venez de dire.

— Alors ce que j’ai dit n’a pas rendu ma pensée. Je trouve, puisque vous me forcez à vous parler ouvertement, qu’en somme, tout dépend de vous. Vous êtes, après tout, votre maître. Vous savez quel est votre devoir envers votre mère et vos sœurs. Le sort fait qu’elles n’ont que vous pour soutien, et vous n’êtes pas homme à vous dérober à cette charge.

— Non certes.

— Non certes, c’est ce que je dis. Mais, à votre place, tout en faisant mon devoir, je ne voudrais pas être esclave.

— Mais que puis-je faire ?

— Vous avez voulu, je crois, me dire tout à l’heure, que vous seriez bien pauvre si… si vous étiez obligé de renoncer à votre traitement d’agrégé et si en même temps vous acceptiez de nouvelles charges ? Eh bien ! vous feriez alors ce que font les autres qui sont pauvres aussi.

— Je ne vois personne tout à fait dans ma position.

— Non, mais vous connaissez bien des gens qui sont dans une position pire, du moins pour ce qui est de leur fortune. Si vous donniez à votre mère la moitié de votre revenu, vous seriez encore, je pense, plus riche que M. Young.

Ce M. Young, dont parlait Adela, n’était que vicaire dans une paroisse voisine, et il venait de se marier.

On me dira — mes lectrices surtout — qu’Adela en parlant ainsi, montrait trop clairement le chemin du mariage à M. Wilkinson. Elle se le reprocha elle-même plus tard et assez vivement ; mais, comme elle l’avait dit, c’était l’amour de la vérité qui la poussait à parler ainsi. Au fond du cœur elle ne se disait pas qu’Arthur Wilkinson pensât du tout à elle. Depuis longtemps elle croyait savoir à quoi s’en tenir là-dessus. Elle se sentait semblable au « pauvre cerf isolé et abandonné de son ami. »

Dans ses sentiments on n’eût pu rien trouver qui ressemblât à l’espérance. Arthur lui avait demandé conseil, et elle l’avait conseillé selon sa conscience.

Soyez-lui donc miséricordieux, ô mes lecteurs. Soyez miséricordieuses, vous surtout, mes chères lectrices ! J’abandonne volontiers à tout votre courroux, à tout votre dédain les autres amoureux dont mon histoire est peuplée.

— C’est vrai ; même alors je serais plus riche que Young, dit Wilkinson à demi-voix, comme s’il se parlait à lui-même. Mais ce n’est pas là le principal. Je n’ai même jamais pensé à la chose sous ce point de vue. Il y a la maison, — le presbytère, veux-je dire. Il est déjà tout plein de cotillons (c’est avec cette irrévérence que Wilkinson parlait de sa mère et de ses sœurs). Quelle autre femme voudrait y venir ?

— C’est là le trésor qu’il vous faut chercher, dit Adela en riant.

Elle pouvait rire : pour elle toute l’amertume de la chose était passée, — du moins elle le croyait. En parlant ainsi, elle ne pensait plus à elle-même.

— Vous, Adela, viendriez-vous dans une pareille maison ?

— Vous voulez savoir si, — en supposant que sous d’autres rapports je voulusse me marier, — l’idée de vivre avec une belle-mère et des belles-sœurs m’en empêcherait ?

— Oui, justement, dit Wilkinson timidement.

— Eh bien ! je vous dirai que cela dépendrait beaucoup de mes sentiments à l’égard de ce monsieur et aussi un peu de combien j’aimerais ces dames.

— Une femme doit toujours être maîtresse dans la maison de son mari, dit Wilkinson.

— Bien entendu.

— Et ma mère prétend être maîtresse chez moi…

— Je ne veux pas vous conseiller la rébellion contre votre mère. Est-ce là la station, monsieur Wilkinson ?

— Oui, nous voici à la station. Mon Dieu ! nous avons encore quarante minutes à attendre.

— Ne restez pas pour moi, je vous en prie. J’attendrai très-bien toute seule.

— Non, non, je veux vous embarquer, cela va sans dire. Dumpling ne se sauvera pas, je vous en réponds. Bêtes et gens, nous sommes assez paisibles à Hurst-Staple, et nous ne courons guère ; il n’y a que vous, Adela.

— Est-ce que je ne suis pas paisible, par hasard ?

— Vous vous sauvez juste au moment où nous commencions à sentir tout le bonheur de vous avoir. Là ! il ne s’enrhumera pas maintenant. Et, après avoir jeté une couverture sur le dos de Dumpling, Wilkinson entra avec Adela dans la station.

Je ne sais rien de plus ennuyeux que d’attendre un train de chemin de fer dans une station de second ordre. Il y a la salle d’attente pour les dames où les hommes n’entrent pas ; puis celle des hommes où l’on fume ; puis le buffet avec ses comptoirs sales garnis de gâteaux plus sales encore. Puis, il y a la chaussée sur laquelle on se promène en long et en large jusqu’à ce que l’on soit éreinté. Vous allez cinq ou six fois au petit guichet grillé pour prendre votre billet, — les affiches de la compagnie ayant annoncé que les voyageurs doivent être prêts au moins dix minutes avant l’heure où le train peut arriver — mais le monsieur qui est derrière le guichet sait mieux que vous à quoi s’en tenir, et il a bien soin de n’ouvrir son petit trou, vers lequel il faudra que vous vous baissiez, que tout juste deux minutes avant le départ. Alors, vous trouvez devant l’étroite ouverture cinq gros fermiers, trois vieilles femmes et un boucher. Comme vous ne vous sentez pas la force de vous faire place parmi eux à coups de coudes, vous vous résignez à manquer le train. Cependant, tout juste au moment où le train arrive, vous parvenez enfin à obtenir un billet, et, au milieu du tapage et de la confusion, vous fourrez nerveusement dans votre poche, et sans la compter, la monnaie qu’on vous a rendue — pour arriver ensuite à la ferme conviction, une fois assis dans le wagon, que vous avez perdu un schelling à l’affaire.

C’est à peu près ainsi que se passèrent les quarante minutes d’attente pour Wilkinson et Adela. Ils ne se dirent rien d’important jusqu’au moment où Arthur prit la main d’Adela pour la dernière fois ; alors il lui dit à voix basse : — Adela, je songerai à tout ce que vous m’avez dit. Je regrette bien que vous nous quittiez. Seriez-vous bien étonnée, dites, si je vous écrivais ? Mais le train partit sans qu’Adela eût trouvé le temps de lui répondre.

Deux jours après, Bertram aussi quitta Hurst-Staple. — Arthur, dit-il en prenant congé de son ami, s’il m’était permis, à moi qui ai si mal mené ma barque, de te donner un conseil, je te dirais qu’à ta place je ne laisserais pas Adela Gauntlet longtemps à Littlebath.