Les Belles-de-nuit ou Les Anges de la famille/Tome IV/12

Méline, Cans et Compagnie (Tome IVp. 233-250).


XV

le prisonnier.


Madame la marquise d’Urgel habitait le deuxième étage d’une maison de décente apparence, située rue Sainte-Marguerite, juste en face de la prison militaire.

C’était, suivant l’opinion des gens du quartier, une veuve dans une position de fortune aisée, mais qui ne répondait pas tout à fait au fracas de son grand nom. Elle avait cependant un appartement fort digne, une toilette toujours recherchée et une voiture.

Elle ne sortait guère, sinon pour accomplir ses dévotions, comme une Castillane de bon sang, et aussi, le soir, parfois, à l’heure où s’ouvrent les salons du grand monde. Mais, comme elle ne recevait jamais personne, on ne supposait point qu’elle pût être fort répandue.

Tout le monde s’accordait à convenir que c’était une des plus belles femmes de Paris.

Sa nièce, jolie personne de seize à dix-sept ans, à la figure douce et souffrante, vivait encore bien plus retirée. C’est à peine si on l’avait vue sortir deux ou trois fois, jamais à pied.

Dans les rares occasions où la marquise l’emmenait ainsi avec elle, les stores de la voiture étaient soigneusement baissés.

Mais il n’y avait point là de mystère, c’était tout bonnement la santé faible de la jeune fille qui nécessitait ces précautions.

On disait, en effet, que la pauvre enfant se mourait d’une maladie de langueur.

C’était Blanche de Penhoël qui passait ainsi pour la nièce de la marquise.

Blanche était dans cette maison depuis un mois. Avec les quelques semaines passées à l’hôtel des Quatre Parties du monde, cela faisait deux grands mois depuis son départ du manoir, et pourtant elle gardait toujours la pensée qu’on allait la rendre à sa mère. Ces caractères faibles et crédules sont lents à désespérer.

Lola, cœur froid dans un corps de feu, n’était, à proprement parler, ni méchante ni bonne. L’indifférence qu’elle apportait à tout lui avait fait commettre en sa vie bien des actions coupables, mais l’initiative du mal n’était point en elle.

Elle traitait Blanche avec assez de douceur.

Ce n’était peut-être point pitié. Nous l’avons vue poursuivre tranquillement la ruine d’un homme qui l’adorait, cela sans y mettre la moindre passion, et comme elle eût accompli la tâche la plus simple. Le sens moral lui manquait ; nulle voix ne parlait au fond de sa conscience.

Ces natures, en quelque sorte négatives, pullulent autour de nous. Seulement, comme un rien peut rompre l’inerte équilibre qui les retient entre le bien et le mal, le moindre enseignement suffit à les parquer dans le troupeau des gens ordinaires, qui n’enfreignent aucune loi essentielle et vivent suivant l’ornière de tout le monde.

Ce sont alors d’honnêtes gens négatifs, passifs pour mieux dire, inutiles par eux-mêmes, sans individualité, sans valeur propre, faisant uniquement nombre et constituant partout l’immense majorité.

Mais le moindre enseignement pervers ou même l’absence de tout enseignement, car la faiblesse humaine a sa pente vers le mal, peut les jeter pour toujours dans une autre voie.

Ce sont alors des instruments de vice ou de crime, passifs encore, mais terribles, à cause de cela même souvent.

Du reste, Blanche voyait Lola tout au plus une fois par jour. La prétendue marquise lui disait alors quelques mots de sa mère, qui était toujours sur le point d’arriver pour l’emmener avec elle en Bretagne.

Blanche n’avait pas l’idée du mensonge. On avait beau la tromper, elle ne se fatiguait point de croire.

Il y avait chez la marquise une femme de chambre de vertu douteuse, mais bonne fille au fond, et d’un caractère serviable, qui avait pris l’Ange en affection.

La pauvre enfant était si douce et si éloignée de la plainte. Thérèse, la femme de chambre, lui tenait compagnie, la soignait et la consolait.

Mais Thérèse avait deux ou trois soupirants parmi la jeunesse studieuse du carrefour Bussy : Blanche restait bien souvent seule, et alors de vagues tristesses venaient l’accabler.

Elle se souvenait de Penhoël, où son enfance s’était écoulée parmi les caresses. Mon Dieu ! que de bonheur, et comme on l’adorait ! Elle croyait voir la vénérable et belle figure de l’oncle Jean qui lui souriait comme autrefois.

À son réveil, quand ses yeux s’ouvraient, elle cherchait le doux regard de sa mère.

Et Diane, et Cyprienne, ses cousines chéries, si complaisantes, si bonnes, si promptes à deviner ses moindres caprices !

En retournant au manoir, quand on allait venir la chercher, elle retrouverait l’oncle Jean et sa mère ; mais Diane et Cyprienne étaient mortes…

Elles, si jolies, si pleines de santé, de force, de jeunesse ! Elles, dont la pauvre Blanche avait envié si souvent la gaieté insouciante et heureuse !

Elles ne seraient plus là. Dieu les avait reprises. Et Blanche pleurait en songeant qu’elle irait s’agenouiller, entre leurs pauvres tombes, derrière l’église de Glénac…

Et Vincent, le retrouverait-elle au manoir ? Elle ne se rendait point compte de cela, mais, parmi les souvenirs qui visitaient sa solitude, celui de Vincent était le plus assidu.

Elle songeait à lui presque autant qu’à sa mère.

Le malheur enseigne. Là-bas, au milieu du repos tranquille de Penhoël, l’enfant eût tardé longtemps encore peut-être à devenir femme ; mais dans cette chambre solitaire, où ses jours s’écoulaient si tristes, son cœur travaillait à son insu.

Elle aimait, non plus de cette amitié douce du premier âge ; elle aimait d’amour…

Chaque fois que sa pensée se tournait vers l’avenir, Vincent était là toujours, partageant la joie comme la peine.

Il ne lui semblait pas possible que Vincent pût lui manquer jamais. À cet égard, elle ne se faisait nulle question. Il était là, le compagnon naturel de sa destinée.

Pauvre Vincent ! Il y avait maintenant huit grands mois que son départ de Penhoël avait arraché à la jeune fille quelques larmes distraites. Qu’était-il devenu ? Pendant ce long espace de temps, point de nouvelles ! S’il lui était arrivé malheur !…

À cette pensée, Blanche avait froid au cœur. Tout ce qui lui restait de courage l’abandonnait. L’avenir se voilait pour elle.

Car les choses avaient bien changé pendant ces huit mois, et l’amour était venu durant l’absence.

Mais ce n’était pas seulement la pensée des amis dont elle était séparée qui chargeait de tristesse le pâle front de l’Ange de Penhoël.

Il y avait en elle une inquiétude confuse qui prenait sa source dans la souffrance physique. Le mal qui pesait sur elle n’avait point de nom pour son ignorance. Elle ne savait pas ; mais elle était femme, et parfois il se faisait en son esprit une vague lumière.

Quand son flanc tressaillait, quand elle sentait au dedans d’elle un mystérieux frémissement, l’instinct que Dieu met au cœur de toute mère faisait effort pour se révéler.

Parfois Blanche à genoux, brisée de douleur, priait Dieu de la débarrasser d’une pensée qui était un blasphème.

C’est qu’elle se comparait alors, la pauvre fille, malgré l’effort de son cœur pieux, à la sainte Vierge Marie…

Il va sans dire que Lola, Thérèse et même nos trois gentilshommes avaient découvert depuis longtemps son état. Madame en avait donné, du reste, la première idée à Robert, dans la conversation qu’ils avaient eue ensemble, pendant le bal de la Saint-Louis, sous la Tour du Cadet.

Robert avait été plus loin. Il savait à peu près à quoi s’en tenir sur les étranges circonstances de cette grossesse.

Et comme il était homme à profiter de tout, il avait fait entrer l’ignorance de la jeune mère dans les calculs de sa partie.

Ce n’était point chez lui une foi bien arrêtée, parce que cette croyance romanesque sortait tout à fait de son caractère.

Mais l’innocence de Blanche était si manifeste, si radieuse, en quelque sorte, que Robert doutait.

Cela suffisait.

Il s’était dit :

« Si véritablement la petite est vierge de cœur et victime de quelque diablerie, je joue le rôle du diable et me pose en chevalier généreux qui répare noblement sa faute… Corbleu ! je reconnais mon enfant, et je deviens le modèle des pères !… Si, au contraire, la petite a caché son jeu, au sortir de la coque elles sont toutes des comédiennes consommées ! — si elle s’est passé là-bas, à Penhoël, la fantaisie d’avoir un amant… eh bien ! je suis de plus en plus généreux… j’endosse la faute du coupable… Je donne à la candide créature qui va naître, n’importe lequel de mes illustres noms… j’épouse… et je reçois sur mon habit de noce les larmes de joie de toute une famille attendrie… Toujours en supposant que l’oncle d’Amérique nous fasse l’amitié de revenir… car, s’il reste en chemin, il est bien entendu que ce fade roman ne me regarde pas ! »

Robert avait agi en conséquence de ce raisonnement, et nous savons que Lola suivait ses ordres à la lettre.

De sorte que l’Ange gardait son ignorance. Personne ne lui avait jamais donné de leçons.

Mais, si discret que l’on puisse être, les faits parlent, et près de l’évidence les moindres indices ont leur signification éloquente.

Lola ne pouvait toujours retenir ses regards, et les yeux de Thérèse disaient bien des choses en se fixant toujours sur la taille épaissie de la jeune fille.

Pour que Blanche continuât de repousser les soupçons vagues qui l’obsédaient, il fallait l’appui de sa conscience virginale et la pureté limpide de ses souvenirs.

La chambre qu’elle habitait dans la maison de la marquise donnait sur le devant, car on ne la traitait point en prisonnière, et son angélique douceur rendait toute précaution superflue.

Eût-on voulu prendre des précautions, sa chambre n’aurait point été encore mal choisie. De l’autre côté de la rue, il n’y avait, en effet, aucune fenêtre d’où les regards indiscrets pussent épier la solitude de la jeune fille.

Du moins, telle était l’apparence, puisque la croisée de Blanche regardait cet espace vide qui se trouve derrière la porte latérale de la prison militaire.

De l’intérieur de sa chambre, elle voyait seulement les derrières de la rue de l’Abbaye et le profil de la façade intérieure de la prison, c’est-à-dire quelques barreaux de fer, faisant saillie hors de l’épaisse muraille.

Mais, à cause de cette position même, si elle ne pouvait rien voir, elle pouvait être vue.

Et, de fait, derrière une de ces croisées, que défendait un solide grillage, il y avait un prisonnier dont les yeux restaient fixés sur elle durant une grande partie du jour.

Une ou deux fois, Blanche l’avait entrevu aux rares instants où le soleil, pénétrant dans la ruelle intérieure de la prison, éclairait d’aplomb son visage. Mais elle n’avait pu distinguer ses traits, parce qu’il y avait les barreaux de fer entre le prisonnier et son regard.

D’ailleurs, elle n’avait point l’esprit assez libre pour se donner à une curiosité vaine.

Comme son âme était bonne, elle priait parfois pour le pauvre prisonnier. C’était tout.

Le prisonnier, au contraire, s’occupait d’elle sans cesse.

Il avait en sa possession la lame d’un couteau qui, ébréchée, lui servait à limer ses barreaux. Toutes les heures de sa nuit se passaient à ce patient travail ; mais dès que s’ouvrait la croisée de Blanche, il ne travaillait plus, sa tête s’avançait, avide, et il semblait que son âme s’élançait vers la jeune fille.

Durant des heures entières, il restait en contemplation devant elle, et parfois, lorsque le front de Blanche s’appuyait, plus triste, sur sa main, des larmes venaient aux yeux du pauvre prisonnier.

Bien souvent, il avait essayé d’attirer l’attention de la jeune fille, soit en l’appelant par son nom, car il savait son nom, soit en agitant ses mains à travers les barreaux.

Mais sa voix s’était perdue parmi les chants rauques des autres captifs, et quant à ses signaux, Blanche ne les remarquait point, ignorant qu’ils lui fussent adressés.

Le prisonnier avait nom Vincent de Penhoël.

Dans cette maison, la pauvre Blanche se trouvait, à son insu, entourée de tous ceux qu’elle aimait.

Vincent, qu’appelaient ses larmes muettes, pouvait la voir pleurer ; quelques pas, et deux ou trois murs la séparaient de sa mère qu’elle demandait à Dieu chaque jour dans son ardente prière.

. . . . . . . . . . . . . . .

Vincent était arrivé jusqu’à Paris, tantôt à pied, tantôt sur la charrette de quelque paysan voyageur, comme il avait pu, enfin.

De Redon jusqu’à Rennes, les traces des ravisseurs avaient été faciles à suivre. À Rennes, au bureau des diligences, il avait acquis la preuve que Blanche était maintenant sur la route de Paris.

Ceux qui l’emmenaient avaient, dès lors, changé de noms, et Vincent ne pouvait deviner en eux les anciens hôtes de Penhoël. Mais que lui importait ?

Une fois acquise la certitude que Blanche était à Paris, Vincent ne calcula plus ni ses moyens ni ses forces. Il s’élança sur la route, comme s’il eût espéré joindre la voiture, qui avait sur lui vingt-cinq lieues d’avance.

Il ne lui restait plus que bien peu de chose sur l’argent du nabab. Loin de pouvoir payer sa place à la diligence, il n’avait pas même de quoi vivre durant le trajet.

Il ne songea point à cela.

Courir ! courir ! atteindre les infâmes qui lui enlevaient Blanche, voilà seulement ce qui l’occupait. Mais l’enthousiasme se lasse, et il y a près de cent lieues de Rennes jusqu’à Paris.

Plus d’une fois, pendant la route, Vincent fut obligé de mendier un gîte et un morceau de pain.

Plus d’une fois, il s’arrêta, vaincu par le besoin ou par la fatigue.

La route s’allongeait devant lui à perte de vue, et des larmes lui venaient aux yeux.

Enfin il arriva ! Oh ! ce grand Paris ne l’effraya point. Dès les premiers pas il pensait rencontrer des indices. Il se disait : « Je parcourrai toutes les rues, j’entrerai dans toutes les maisons, je visiterai les moindres recoins ! Je trouverai… je trouverai !… »

Il trouva le soir même, comme il dormait, épuisé de lassitude, sur un banc des boulevards, un fonctionnaire public, curieux par état, lequel interrompit son somme pour lui demander son nom et son adresse.

Le pauvre Vincent avait mis six jours pour venir de Rennes, six jours sous la pluie et la poussière. Il était fait à peu près comme notre Bibandier, à l’époque où ce noble baron n’était encore que général de uhlans dans les taillis de l’Ille-et-Vilaine. Il sentait son vagabond d’une lieue.

À la demande du fonctionnaire, il resta fort embarrassé : d’adresse, il n’en avait point, et sa désertion, après le malheureux duel de Madère, ne lui donnait pas grand courage à décliner ses nom et prénoms.

Comme il hésitait, le fonctionnaire public et curieux l’engagea poliment à le suivre. Vincent voulut fuir ; ce fut sa perte. Le fonctionnaire se mit en communication avec quelques sergents de ville qui prenaient le frais là, par hasard, et le pauvre Vincent eut un gîte.

Il se trouvait que le rapport du commandant de la station de Madère était arrivé depuis peu au ministère de la marine. Les bureaux venaient d’achever leur travail, et la police avait des notes toutes fraîches.

Vincent essaya bien de mentir, mais c’était un métier nouveau pour lui ; on le pressa ; il se coupa. La prison de l’Abbaye lui ouvrit ses portes à deux battants, jusqu’au moment où un conseil de guerre, assemblé, déciderait de son sort.

Il était là sous les verrous depuis environ sept semaines.

Pendant la première moitié de ce laps de temps, un découragement lourd et accablant s’était emparé de lui. La pensée de Blanche perdue, de Blanche qu’il ne pouvait plus même essayer de secourir, le navrait. Il voulut se laisser mourir. Mais, un jour qu’il tentait d’entrevoir, à travers les barreaux de sa cellule, un petit coin de cette ville immense où Blanche souffrait peut-être abandonnée, la seule fenêtre qu’il pût apercevoir, de l’autre côté de la rue, s’ouvrit tout à coup, et deux femmes s’y montrèrent.

Il faillit tomber à la renverse, tant sa surprise fut profonde.

L’une de ces deux femmes était Lola, l’autre était Blanche.

Il poussa un grand cri de joie, et des larmes vinrent à ses yeux. Puis ses mains, crispées convulsivement, secouèrent les barreaux solides. Il voulait s’élancer. Il appelait : « Blanche ! Blanche !… »

La jeune fille n’entendait pas. Mais elle resta. Vincent la revit le lendemain à la même place ; le surlendemain il la revit encore.

C’était là qu’elle demeurait.

Comme elle était changée, mais toujours belle !

Vincent l’aimait mille fois plus qu’au temps du bonheur.

Et toutes ses pensées se tournèrent désormais vers un seul but : fuir pour se rapprocher d’elle, fuir pour la protéger et la sauver !

Son courage revint ; sa force doubla.

Oh ! s’il avait pu échanger avec Blanche une parole, un signe seulement, son travail eût marché bien plus vite. Mais il avait beau faire, entre lui et la jeune fille le même obstacle se dressait toujours. La pauvre lame ébréchée, que le hasard avait mise entre ses mains, s’usait contre le fer à l’épreuve. La tâche allait bien lentement. Mais Vincent ne se lassait point, et l’œuvre avançait un peu tous les jours.

Une fois le barreau scié, que devait-il faire ? Il ne savait : à la grâce de Dieu !…

Cette nuit, tandis que le prisonnier travaillait, sans bruit, et constatait que sa lame entrait maintenant tout entière dans le fer du barreau, Blanche veillait, elle aussi, en proie à des douleurs plus vives.

Elle était seule. Madame la marquise d’Urgel avait quitté la maison dès la brune pour se rendre à la fête du nabab, et Thérèse, profitant de l’occasion, avait donné sa soirée à quelqu’un de ses studieux amants.

Blanche était tout habillée sur son lit. Elle se sentait à la fois plus souffrante d’esprit et de corps. De sourdes douleurs déchiraient son flanc, et sa bouche rendait des plaintes faibles, auxquelles nulle voix ne répondait.

Les bruits de la rue diminuaient peu à peu. Les boutiques se fermaient ; on n’entendait plus qu’à de rares intervalles le roulement des voitures attardées.

Et personne ne rentrait au logis de la marquise.

La pauvre Blanche avait peur.

Elle sentait que la force allait lui manquer pour souffrir, et offrait son âme à Dieu, pensant que la dernière heure allait sonner pour elle.

La fièvre venait, amenant des visions navrantes ou terribles. L’Ange voyait, autour de sa couche, tous ceux qu’elle aimait ; mais ils étaient pâles ; ils avaient les yeux pleins de larmes…

Et Blanche se disait :

— Ils sont morts… morts comme je vais mourir…

Elle essayait de prier. Les paroles de l’oraison se mêlaient dans sa bouche. Elle ne pouvait.

Dans sa frayeur, elle appelait, et sa voix, changée, tombant au milieu du silence, l’épouvantait davantage…

Vers une heure du matin, la fatigue, plus forte que la souffrance, ferma enfin ses yeux. Elle s’endormit du sommeil de l’épuisement.

Thérèse rentra, puis madame la marquise elle-même. Blanche ne les entendit point.

Son sommeil, que rien n’avait pu troubler, fut pourtant interrompu brusquement aux environs de cinq heures du matin par un tintamarre diabolique qui se faisait à la porte de la rue.

Blanche s’éveilla en sursaut.

On frappait à la porte ; on sonnait à triple carillon, et l’on appelait le concierge à grands cris…