Les Belles-de-nuit ou Les Anges de la famille/Tome IV/03

Méline, Cans et Compagnie (Tome IVp. 41-58).


VI

l’hôtel montalt.


Nehemiah Jones, le majordome de Montalt, était un gentleman et un homme de goût parfait. Il avait acheté pour son maître un des plus confortables hôtels du faubourg Saint-Honoré ; un hôtel largement séparé de la voie où fourmille la foule bruyante et gênante, isolé au beau milieu de la grande ville, ombragé par des arbres centenaires et ouvrant la haute porte de ses salons sur des jardins de prince.

Nehemiah Jones avait trouvé cela entre les Champs-Élysées et la place Beauveau. C’était une retraite choisie d’où la vue rencontrait partout des arbres, du gazon, des fleurs, et nulle part l’autre côté de la rue, cette odieuse barrière qui borne l’horizon parisien ! nulle part la fenêtre curieuse du voisin ; nulle part le dos de ces civilisés qui passent des heures en contemplation devant les vitres des cordonniers ou des marchands de parapluies.

Et c’était charmant ! Une sorte de riant palais, bâti sous le règne de Louis XV, alors que les bosquets de Beaujon étaient bien loin de Paris encore et cachaient seulement les façades mignonnes des folies nobles ou financières.

L’hôtel Montalt, comme on l’appelait déjà dans le faubourg, affectait la forme régulière d’un château du XVIIIe siècle dessiné par Péronnet ou Gabriel.

C’était un corps de bâtiment carré, flanqué de deux pavillons symétriques. Au-dessus du deuxième étage, dont chaque fenêtre avait à son sommet des têtes rieuses de nymphes ou de satyres, régnait une galerie ajourée, tournant autour du toit et le masquant presque entièrement. Sur le fronton triangulaire, Coustou le jeune avait taillé deux dryades, couchées à demi et soutenant un écusson de marbre.

Sous le fronton, quatre colonnes doriques supportaient un large balcon, dont la saillie abritait la dernière marche d’un perron circulaire, où s’étageaient douze paires de vases à fleurs.

En quittant la cour plantée d’arbres pour monter les degrés du perron, vous trouviez un spacieux vestibule, soutenu par un péristyle d’ordre corinthien en marbre violet, avec chapiteaux de bronze ; l’œil enfilait le corps de logis, percé à jour, et allait se reposer sur la belle verdure du jardin situé derrière l’hôtel.

Aux deux côtés du vestibule, pavé en mosaïque romaine, s’ouvraient, à droite, le salon, la galerie, la bibliothèque, le tout en enfilade ; à gauche, sous une tête de cerf monstrueuse, la salle à manger, où pouvaient s’asseoir cinquante convives.

En face du perron, l’escalier d’honneur montrait sa haute rampe d’acier ciselé, rehaussé de volutes d’or, de pampres et de fleurs. Du côté opposé à la rampe, au-dessus d’un lambris en marbre violet comme celui des colonnes, Desportes avait mis quelques-unes de ses larges peintures, sur lesquelles le dôme transparent qui terminait l’escalier jetait la lumière à grands flots.

La terrasse, tournant deux fois sur elle-même avec ses balustrades de marbre blanc, s’ouvrait au delà du vestibule et descendait au jardin. C’était un vrai petit parc, qui s’étendait à gauche de l’avenue Marigny jusqu’aux maisons du faubourg d’une part, de l’autre, jusqu’aux abords des Champs-Élysées.

On était là surtout en plein XVIIIe siècle. Après le beau parterre, venait le boulingrin Pompadour et les tilleuls énormes, taillés en arcades. Puis c’étaient des statues, habillées de mousse et cachées dans des niches de verdure, des jets d’eau qui voulaient être rustiques, des naïades, des tritons, Neptune, Amphitrite, etc., le tout entouré d’un cercle de buis centenaires à qui le ciseau avait donné mille formes architecturales ou fantastiques.

Par delà les grands buis, il y avait des labyrinthes ombreux où Cupidon et sa sœur se jouaient, aimaient, souriaient, se groupaient sous la feuillée, suivant le lascif caprice de l’art au siècle de Louis XV.

Lors de son arrivée, Montalt avait trouvé ce mythologique paradis en pleine verdure et en pleines fleurs. Il n’avait eu garde de regretter son froid palais de Portland-Place, à Londres. Mais quand vinrent les jours pluvieux de septembre, adieu la riche feuillée des grands arbres, adieu les corbeilles de fleurs.

Le nabab était inconstant par système. Il se serait fatigué bien vite des fleurs et des arbres, mais il n’aimait pas à voir son caprice contrarié avant l’heure de la satiété.

Il fit appeler Nehemiah Jones, son majordome, et il lui dit :

M. Jones, ne pourrait-on mettre mon jardin en serre ?

— Si c’est la volonté de milord, répliqua Nehemiah Jones le plus simplement du monde, pourquoi non ?

Il eût semblé, en vérité, à entendre ce brave Anglais, que la volonté de milord était la règle de l’univers.

Milord répondit :

— C’est ma volonté, M. Jones.

Nous ferons remarquer en passant que ce titre de lord, appliqué à Montalt, était de pure convention. L’Angleterre ne prodigue pas ainsi la seigneurie : seulement, tout million est noble pour les pauvres gens. Montalt, d’ailleurs, n’y tenait point, et se vantait volontiers d’être sorti du peuple.

Nehemiah Jones salua et se retira. Quelques heures après, une armée d’ouvriers envahissait le jardin, au-dessus duquel s’éleva comme par enchantement une toiture transparente.

Cela coûta un prix insensé. Mais Nehemiah Jones revint dire à Montalt un beau matin :

— Milord, on a mis en serre le jardin de Votre Seigneurie.

C’était bien la perle des majordomes, que ce Nehemiah Jones.

Paris s’est ému, un jour, ému pour tout de bon vraiment, parce qu’on lui a ouvert, moyennant un franc d’entrée, un Éden qui se nommait le Jardin d’Hiver, et qui était grand comme la salle des Pas-Perdus, au Palais de Justice. Le parc de Montalt aurait contenu à l’aise une demi-douzaine de Jardins d’Hiver.

Jugez si Paris se mit en fièvre ! Les premiers qui entendirent parler de cette merveille n’y voulurent point croire ; puis, comme on racontait des détails précis, vraisemblables, circonstanciés, les moins curieux désirèrent voir.

Mais il ne s’agissait pas ici de donner un franc et de confier au contrôle sa canne ou son parapluie : personne n’entrait, sinon les amis de Montalt, ou encore les protégés de Nehemiah Jones.

C’est à peine si, des fenêtres hautes du faubourg, on voyait briller à travers les arbres, dans ce pays de jardins et de bosquets, l’immense voûte de verre ; mais on n’en grimpait pas moins aux mansardes et c’étaient souvent de belles dames qui laissaient en bas leurs équipages pour entreprendre cette ascension.

Il y eut des grisettes aussi pauvres qu’honnêtes qui gagnèrent trois cents livres de rente à prêter ainsi leur modeste asile, d’où l’on apercevait le dôme des Invalides, le Val-de-Grâce, l’Institut, la Salpêtrière, mais non du tout le mystérieux paradis du nabab.

Le champ était ouvert aux suppositions, aux descriptions apocryphes, à la poésie des nouvellistes rêveurs, et Dieu sait que nul ne se faisait faute d’avoir en poche son petit plan du jardin miraculeux ! On en comptait les berceaux, les grottes et les statues. Plus il était difficile d’y pénétrer, plus il y avait de véritable gloire à dire : « Je l’ai vu. »

Personne ne s’en privait. Et comme le thème descriptif était varié par l’imagination de chacun, l’idée que s’en faisaient les simples dépassait toutes les limites du merveilleux.

Les uns, frottés de saine littérature, refaisaient tout doucement les bosquets d’Armide, ou l’Éden de Milton ; les autres prouvaient certaines connaissances d’histoire naturelle en décrivant les mille plantes des plates-bandes et des corbeilles ; d’autres enfin, prenant soin d’animer la scène, montraient le beau nabab errant sous ses féeriques ombrages, au milieu d’un essaim d’almées.

Car l’idée du sérail de Montalt avait franchi le détroit, et ceux qui avaient aperçu, par hasard, Séid et son noir compagnon, leur confiaient tout naturellement la garde d’un harem nombreux et choisi.

Quant à l’idée qu’on se faisait de la richesse du nabab, c’était quelque chose de prodigieux et de fou. Ceux qui ne voulaient pas exagérer disaient seulement qu’il était plus riche que le roi ; mais le commun des croyants ne cherchait pas même une comparaison.

Les hâbleurs parlaient de fourgons chargés d’or…

Et de tout cela se dégageait une sorte de crainte superstitieuse. Un homme qui disposait de tels trésors devait être au-dessus des lois du monde et se rire des barrières imposées à la foule.

Parmi tous ces on dit, le vrai avait sa part, le faux la sienne. Ce qu’il faut affirmer, c’est que ce fameux jardin n’avait point peut-être son pareil en Europe.

Quant à l’hôtel, œuvre d’une ère sensuelle s’il en fut, Montalt l’avait orné suivant son goût bizarre. Là, se mêlaient aux voluptueux souvenirs de notre XVIIIe siècle, les molles délices des mœurs asiatiques. Le confort anglais brochait sur le tout et doublait l’originalité de cet hybride accord.

Boucher se trouvait avoir jeté en grappes ailées ses Amours dodus sur les panneaux d’une salle que Montalt avait fait daller de marbre et où des tuyaux lançaient l’eau tiède et parfumée des bains, suivant la mode de Tebriz ou de Dir. Sous les tentures se montraient encore les guirlandes de fleurs et de fruits. Les vives couleurs des pans de cachemire faisaient tort aux nuances un peu passées qui chatoient encore aux robes des marquises-bergères de Watteau.

Et tout près, à dix pas de ces coussins paresseusement amoncelés, l’attirail austère du sport britannique.

Le palais de Montalt réunissait la mollesse du XVIIIe siècle aux mollesses de l’Orient, sans craindre le voisinage des modes roides du gentlemanry pur sang.

Car Montalt, malgré toute sa puissance, ne pouvait façonner que le dedans à sa guise. Entre les murs de l’hôtel ses souvenirs pouvaient prendre une forme et lui rendre aisément l’aspect aimé de sa vie indienne ; il pouvait se croire encore à Mascate, ou parcourant en vainqueur, avec ses cipayes, un coin de la Perse, une province du Kaboul…

Mais au dehors, c’était l’Europe. Impossible de refaire les mœurs de tout le monde. Au lieu du palanquin asiatique aux balancements indolents, il fallait le fougueux attelage.

Et point n’est besoin de dire que les écuries du nabab n’avaient pas de rivales dans Paris.

La richesse, le luxe prodigue et somptueux étendaient comme un vernis sur les contrastes trop heurtés qui eussent pu déparer la demeure de Montalt. Le désordre est plus beau parfois que toute symétrie. Cela était beau comme le désordre.

Montalt était là, d’ailleurs, servant lui-même de lien vivant à toutes ces choses disparates, et adoucissant les contrastes, à force de présenter en sa propre personne tous les contrastes réunis.

C’était son œuvre ; l’œuvre achevée, il n’y songeait plus guère, et vivait là comme il eût vécu ailleurs, indifférent à ces merveilles créées avec tant de passion.

Suivant la morale commune, qui est assurément la meilleure, il menait là, dans sa délicieuse retraite, une existence assez peu exemplaire.

Les trois dieux idiots du vaudeville : le jeu, le vin, les belles, étaient sa religion.

Il buvait comme un vrai lord ; il jouait comme un possédé du diable ; il aimait comme don Juan. Où son inconstant amour n’avait-il pas été, depuis les pécheresses divinisées par la mode et se faisant une gloire de leur galanterie, jusqu’à ces Madeleines modestes qui glissent et tombent derrière le voile ? Depuis Lola, notre belle Lola, madame la marquise d’Urgel, jusqu’à telle jolie dame, que Lovelace lui-même eût craint d’attaquer.

Il est vrai de dire, pourtant, que Montalt n’opérait jamais de séductions et n’abusait de personne. Il n’avait ni le temps, ni le vouloir. Pour séduire, il faut au moins un semblant d’amour, et la comédie jouée eût fatigué Montalt presque autant que la réalité même…

Elles l’eussent aimé, car il était généreux, noble, brave et beau comme un demi-dieu ; elles l’aimaient peut-être. C’était malgré lui et à son insu. Lui n’aimait rien et donnait tout à ses sens qui s’éveillaient, ardents et jeunes, à côté du sommeil lourd de son cœur.

On est ainsi parfois, à la suite d’un de ces amours mortels où l’on avait mis tout son être et que la déception a brisés. Mais le nabab disait bien souvent que jamais il n’avait aimé…

C’était sa nature, sans doute.

Il fallait croire cela, bien que difficilement on pût concilier ce vide glacé du cœur, ce matérialisme sans contre-poids avec la belle générosité qui perçait, non point dans ses paroles, mais dans ses actions.

Il y avait tant de contrastes dans cet homme !

Ceux qui l’approchaient le plus intimement n’auraient point osé le juger, encore moins le définir. En principe, son âme semblait perdue ; il n’y avait plus rien en lui que doute, négation, blasphème. Tout ce qui est bon, tout ce qui est saint, excitait son mépris ou sa raillerie. Il ne voulait croire qu’au mal. Et pourtant, à part les fautes de sa vie systématiquement dissolue, il ne faisait que le bien.

C’était comme une lutte entre sa nature bonne, sensible, miséricordieuse, et quelque système impie, qu’il s’était imposé de force à lui-même. C’était, si l’on peut s’exprimer ainsi, un homme arrivé à la religion du vice, et tâchant d’expier ses vertus. C’était surtout, du moins aurait-on pu le croire s’il n’avait pris à tâche de le nier constamment, un homme blessé par le sort injuste et qui avait cette folie bizarre de tourner sa vengeance contre Dieu même.

Ses bonnes actions, il les cachait avec un soin minutieux et jaloux, avec un soin presque égal à celui qu’il mettait à se parer de ses fautes. Vis-à-vis même du serviteur chargé de répandre ses bienfaits, il s’en excusait comme d’une faiblesse honteuse. Par un raffinement d’ironie, ce même serviteur remplissait auprès de lui un emploi sans nom.

C’était un Anglais appelé Smith. Des sommes énormes passaient par les mains de ce Smith. La plus grande part était affectée à des aumônes, bien que Montalt fît semblant de croire parfois que le tout passait au budget de ses plaisirs.

Le soir, en revenant du jeu, Montalt entrait dans une chambre ornée de tout ce que le luxe peut offrir de plus merveilleux. Une fois sortie de cette chambre, la femme qui y était entrée n’y devait plus rentrer jamais. Ce n’était pas néanmoins un exil, car elle avait droit dorénavant de franchir la porte close de l’hôtel et d’assister aux magnifiques fêtes du nabab.

Ce qui n’était pas un mince privilége.

M. Smith n’avait pas encore été au dépourvu, et pas une fois, la chambre consacrée ne s’était trouvée vide à l’heure où le nabab rentrait d’ordinaire.

Mais celui-ci, en cela comme en toute autre chose, avait ses caprices soudains et impérieux. Il lui arrivait bien souvent de passer franc devant la chambre, au devant de laquelle veillaient les deux noirs, sans même jeter un regard à l’intérieur.

Ces soirs-là, il entrait seul dans son appartement, dont il fermait la porte à double tour. On l’entendait se promener longtemps et à grands pas sur le parquet de sa chambre à coucher. Parfois, ses serviteurs curieux prétendaient avoir ouï, à travers la porte, comme un sourd gémissement…

Le lendemain, on le trouvait sur son lit, pâle et brisé de lassitude. On n’osait point lui adresser la parole ; à peine prenait-on le courage de regarder à la dérobée son visage défait et bouleversé.

Ces jours-là, il ne mangeait point. Il restait jusqu’au soir assis sur son divan, tandis que ses deux nègres, immobiles et muets, attendaient ses ordres.

Ceux qui eussent pu pénétrer le secret de sa vie auraient remarqué que ces tristesses mornes et profondes le prenaient chaque fois que les hasards du jeu le forçaient à enlever un diamant au couvercle de sa boîte de sandal.

Et assurément, ce n’était pas la perte elle-même qui le navrait ainsi, car on n’avait jamais vu au Cercle des Étrangers un joueur plus calme et plus impassible.

Les jours dont nous parlons, personne ne pénétrait près de lui, pas même Étienne et Roger qu’il aimait tant à voir d’habitude.

Car, en ceci du moins, le nabab avait fait exception à son inconstance. Cette amitié de hasard, nouée dans le coupé d’une diligence, eût gardé pour bien des gens, dans son origine même, un germe de rupture. Mais, pour Montalt, c’était tout le contraire ; il se disait avec un souverain plaisir que cette liaison n’avait aucune cause logique : on n’était ni parent ni voisin ; on n’avait point été élevé ensemble ; on ne s’était point dévoué mutuellement l’un pour l’autre : donc, il y avait chance que l’on pût s’aimer…

Pour sa part, il aimait les deux jeunes gens beaucoup plus que le premier jour. Il était fou du talent d’Étienne ; il applaudissait de tout son cœur aux moindres saillies de Roger. Vous eussiez dit parfois, lorsqu’ils étaient ensemble, un père entre ses deux fils chéris tendrement.

Mais c’était plus souvent encore un joyeux camarade, et alors il n’était plus possible de ramener la moindre idée paternelle. Montalt, jeune comme eux par la beauté, par l’esprit, par l’élégance exquise, pouvait passer facilement pour le frère aîné, à qui deux ou trois années de plus donnent du poids et de l’aplomb.

Il poursuivait avec une héroïque patience l’œuvre entamée sur la route de Rennes à Paris. Chaque fois que les deux jeunes gens et lui se trouvaient ensemble, il prêchait ; c’était sa manie. Il voulait faire d’Étienne et de Roger des philosophes à son image ; il voulait leur donner surtout ce profond mépris de l’espèce féminine qu’il affectait en toute occasion.

Pour en arriver là, il faisait mieux que raisonner, il tentait. À plusieurs reprises, Étienne et Roger s’étaient trouvés en face d’occasions charmantes et imprévues ; mais le nabab avait beau les entourer de séductions, Étienne et Roger résistaient vaillamment ; Étienne surtout dont le cœur était plus fort.

Du reste, ils se laissaient aller tous deux sans trop réfléchir, et avec l’insouciance de leur âge, à la pente de cette bonne et molle vie que le hasard leur faisait. Étienne travaillait et recevait de son labeur une récompense royale ; Roger ne travaillait point, mais il portait le titre de secrétaire de milord et touchait, sous ce prétexte, des appointements magnifiques.

Tout, dans la maison du nabab, voitures, chevaux, valets, était à leurs ordres.

Charmants cavaliers comme ils l’étaient, distingués, spirituels, élégants, et riches par la grâce du hasard, ils faisaient, en vérité, figure dans le monde.

Au commencement, et d’un commun accord, ils s’étaient promis de mettre à exécution ce cher dessein qu’ils avaient fait un soir dans le jardin de Penhoël, thésauriser, thésauriser comme des avares, pour revenir bien vite en Bretagne où les attendait le bonheur.

Étienne restait fidèle à son projet. Chaque somme que lui donnait le nabab était religieusement placée, et le jeune artiste tressaillait d’aise en voyant s’augmenter rapidement son trésor, car c’était la dot de Diane, de Diane qui était son rêve de toutes les heures, son amour unique et passionné.

Car, à travers l’éloignement, Étienne la voyait encore plus noble et plus belle.

Roger pensait bien, lui aussi, à Cyprienne, mais sait-on comment l’argent se dépense à Paris ? La dot de Cyprienne était lente à venir.

Il aimait pourtant, le bon garçon ; mais plus d’une enchanteresse, placée sur son passage par ce perfide Montalt, lui avait semblé bien adorable.

Tandis qu’Étienne peignait des panneaux ou esquissait des cartons, Roger allait se promener. Quand il revenait et qu’Étienne le questionnait en frère, Roger ne faisait pas toujours confession générale.

Une chose cependant rapprochait les deux jeunes gens et les réunissait en une commune inquiétude, c’était l’absence de nouvelles de Bretagne, le silence complet et inexplicable des amis qu’ils avaient laissés derrière eux.

Étienne avait écrit à Diane plusieurs fois ; Roger avait écrit à Cyprienne et à Madame. Point de réponse.

Des lettres avaient été adressées au vieux Géraud qui, de tout temps, avait témoigné à Étienne et à Roger une affection sincère. Point de réponse encore.

Les semaines s’étaient écoulées ; on attendait toujours. Étienne et Roger faisaient mille suppositions et s’ingéniaient à chercher le mot de l’énigme. Jamais, dans leurs hypothèses, ils n’arrivaient à côtoyer même la triste réalité !…

En désespoir de cause, Étienne avait écrit à un de ses confrères dont la famille habitait les environs de Redon ; et il comptait les heures en attendant la réponse, qui, cette fois, ne pouvait pas lui manquer.