Les Bastonnais/03/12

Traduction par Aristide Piché.
C-O Beauchemin & fils (p. 180-182).

XIII
était-ce volontaire ou accidentel ?

Batoche remit à Zulma la lettre de Pauline plus tôt qu’il ne s’y attendait. Il avait eu l’intention de se rendre au manoir Sarpy, tout exprès pour cela ; mais il fut agréablement surpris de rencontrer la jeune fille dans les environs de Québec, ce même jour. Elle était à cheval, accompagnée d’un domestique. Aussitôt qu’elle aperçut le vieux soldat, elle poussa son cheval vers lui et lui fit le plus chaleureux accueil. Quelques mots de conversation suffirent pour révéler à Batoche le motif du voyage de Zulma. Elle avait profité du temps magnifique qu’il faisait pour faire une course à travers le pays et elle avait choisi la direction de Québec afin d’apprendre ce qui se passait entre les deux armées ennemies. Batoche se borna à lui dire quelques mots des amis qu’elle avait en ville et s’excusa de ne pas en dire davantage, en lui remettant la lettre de Pauline. Zulma la saisit avec empressement, brisa le sceau et parcourut d’un coup d’œil les nombreuses pages de la missive.

Elle ne dit mot ; mais l’expression de sa physionomie indiquait que ce qu’elle lisait l’amusait beaucoup. Vers la fin de la lettre, toutefois, cette expression se changea en une singulière gravité.

«  Je la lirai plus à l’aise, à mon retour, dit-elle à Batoche, en pliant la lettre qu’elle serra dans son corsage, et Pauline peut être assurée de recevoir une longue réponse. Pour le moment, veuillez lui transmettre mes remercîments et lui dire que ce qu’elle m’écrit m’intéresse beaucoup. Elle est bien bonne de penser ainsi à moi. Dites-lui bien qu’elle est toujours présente à ma mémoire. Je ne cours aucun danger, mais il n’en est pas de même d’elle. Je puis parcourir le pays à mon bon plaisir, tandis qu’elle est renfermée dans ces murs. Dites-lui que je suis prête à faire tout en mon pouvoir pour elle. Elle aura de moi tout ce dont elle aura besoin et vous serez notre messager, n’est-ce pas, Batoche ?

Le vieillard se déclara tout prêt à servir les deux amies.

«  Si cela est nécessaire, reprit Zulma, j’irai à Pauline, même à travers les barricades et les murailles. Partout où vous me conduirez, Batoche, je vous suivrai. Dites-lui bien cela ; et maintenant, adieu.

— Adieu ? dit Batoche.

— Oui ; je vais m’en retourner à la maison. J’ai fait une agréable promenade. Je serais peut-être allée un peu plus loin, mais à présent que je vous ai rencontré et que j’ai reçu cette précieuse lettre, je suis satisfaite.

— L’après midi n’est pas encore bien avancé, répliqua Batoche, Mademoiselle pourrait tarder un peu. Je crois qu’elle pourrait rendre sa promenade plus agréable encore.

Ces simples mots suffirent pour faire comprendre à Zulma toute la pensée de son vieil ami. Ses joues prirent une teinte plus rose et ses yeux s’animèrent, en dépit de ses efforts pour dissimuler son émotion.

— Encore quelqu’un de vos vieux tours de devin, sans doute, dit-elle en riant.

Et pourquoi, s’il vous plaît, tarderais-je plus longtemps ?

Batoche répondit à son ardent regard par un coup d’œil d’intelligence, et en indiquant des yeux un petit bouquet d’arbres à environ un quart de mille à droite :

— Je lui ai remis votre lettre. Mademoiselle, dit-il. Il en a été profondément ému. Il a déclaré qu’il la garderait toute sa vie, comme un trésor. Peut-être vous a-t-il déjà répondu.

Zulma secoua lentement la tête, mais sans l’interrompre :

— Il est là, Mademoiselle, avec sa compagnie. Peut-être, dans quelques jours, recevra-t-il l’ordre de se porter en avant. S’il apprenait que vous êtes venue si près et qu’il ne vous a pas vue, il en serait profondément peiné. S’il vous savait ici, il monterait aussitôt à cheval pour venir vous rencontrer.

Zulma gardait encore le silence, mais elle ne pouvait cacher l’émotion que produisaient en elle ces paroles.

— Mademoiselle, continua Batoche, voulez-vous avancer un peu avec moi, ou bien vais-je aller lui dire que vous êtes ici ?

— Je me remets entre vos mains, dit Zulma à voix basse, en se penchant vers le vieux soldat.

Batoche lui lança un dernier regard, qui parut le décider. Il partit aussitôt dans la direction du camp et dix minutes ne s’étaient pas écoulées, que Cary Singleton accourait en toute hâte à la rencontre de la jeune fille. Il lui persuada de demeurer quelques heures en compagnie des officiers ses camarades et c’est en son honneur qu’il exécuta les exercices équestres que nous avons décrits dans le chapitre précédent. C’est ainsi que tous deux, sans s’y attendre, avaient été aperçus par Pauline et Harding.