Les Aventures du roi Pausole/Livre IV/Epilogue

Bibliothèque Charpentier, Eugène Fasquelle, éditeur (p. 395-399).





ÉPILOGUE


Sat prata biberunt, comme dit le vieil Horace.
Le Temps, 20 novembre 1900.


Revenu au palais le soir même par une marche très fatigante qui dura près d’une heure et quart, le Roi Pausole passa trois jours en silencieuses méditations.

Tryphême après son départ reprit sa vie accoutumée. La jeune fille primée par M. Lebirbe continua de donner chaque soir le recommandable exemple qui lui avait valu les palmes. Mirabelle, déchirée par le désespoir en apprenant que Pausole avait repris sa fille, se rendit pourtant à la nuit sous le monument de Félicien Rops où elle savait pouvoir rencontrer Galatée. Toutes deux s’unirent ce soir-là jusqu’aux derniers vertiges de la sensation et elles ne savaient pas encore de quel amour fidèle et tendre cette longue étreinte en larmes nouait le premier souvenir.

Giguelillot avait parcouru le chemin du retour en quatre bonds de son petit zèbre, car il se devinait également incapable de cacher à la blanche Aline les sentiments nouveaux qu’elle lui inspirait, et d’exprimer à la belle Diane ceux qu’elle ne lui inspirait plus.

Pendant les trois jours où le Roi, seul avec sa bonne conscience, agita en lui des questions de morale, Line et son ami le page se retrouvèrent toutes les nuits devant le Miroir des Nymphes, toujours plein d’eau lunaire et de feuillages obscurs.

— C’est très mal, disait Line, songeant à Mirabelle.

— Non, disait Giguelillot, puisqu’elle n’en sait rien.

Et il savait se faire pardonner tout ce que cette parole avait d’abominable par tout ce qu’elle avait d’absolutoire et de consolant.


Enfin Pausole, un matin de soleil où la Reine Alberte venait de recevoir ses faveurs courtoises mais, un peu distraites, sortit du palais en couronne et demanda sa mule Macarie.

En même temps, il fit annoncer que tous les habitants de la demeure royale, Reines, écuyers et dames d’honneur, ministres, pages et palefreniers, eussent à se réunir en grande assemblée devant le cerisier de sa justice afin d’y entendre les discours qu’il jugerait bon d’y prononcer.


Lorsqu’il fut assis là dans sa robe rouge flottante avec le sceptre et le globe d’or :

— Mesdames, dit-il, et vous, Messieurs, il est dur d’appliquer à sa propre personne les principes que le sage répand comme des bienfaits. J’ai cru longtemps qu’il me serait permis de maintenir la liberté sur mon peuple bien-aimé sans éprouver moi-même dans certains cas ardus, ce que cette liberté a parfois de pénible ; du moins pour celui qui la donne. Il me semblait que sur un territoire où l’on compte cinq cent mille foyers, je pourrais sans grand dommage, en excepter un, un seul, où une certaine autorité serait encore vivante. Il était tout naturel que ce foyer fût le mien et que le dispensateur des indépendances ne souffrît pas le premier de leurs excès possibles.

Ici le Roi prit un temps, cueillit une cerise délicieuse ou plutôt en cassa le fil qui l’attachait à portée de ses doigts, et tout en aspirant doucement le suc du fruit juteux et tiède, il suivit d’un œil un peu mélancolique l’agitation passionnée de la multitude qui l’écoutait.

— Mais, reprit-il, le Roi lui-même s’instruit. Je viens de faire un voyage secret pendant lequel j’ai beaucoup appris, tant sur le genre humain que sur mes devoirs envers lui. J’ai vu des foules heureuses et libres dont le bonheur tenait à la liberté par des racines si profondes que je ne puis plus douter d’avoir semé cette graine dans son terrain d’élection. Il m’a paru qu’autour de moi, on était moins heureux parce qu’on était moins libre et cela suffit pour me dicter une sorte d’abdication…

De grands cris l’empêchèrent d’achever :

— Non ! Vive le Roi, disaient les voix. Abdiquer ? Nous ne le voulons pas !

Pausole étendit la main.

— Je resterai votre chef, ou du moins, l’arbitre choisi par votre consentement général pour assurer le maintien des droits qui sont l’apanage de tous et je ne changerai rien, pour ma part, à mes habitudes d’existence que j’ai reconnues nécessaires à ma tranquillité d’esprit. Mais je lève désormais la contrainte relative qui pesait sur mes familiers. Taxis, mon ami, retournez en France d’où vous êtes venu à nous comme le corbeau dans le vent d’hiver. À l’avenir, mes femmes et ma fille se régleront selon leurs inclinations. J’émancipe leurs têtes charmantes que là vôtre rendait plus charmantes encore par le contraste de sa hideur.

À ces mots il y eut dans la foule moins de joie peut-être que d’attendrissement et, comme des enfants qui reçoivent des cadeaux prestigieux sans oser y toucher encore, les femmes se pressèrent autour de celui qui était si bon pour elles, et vinrent avec la blanche Aline, fidèlement, lui baiser les mains.



Ci finit l’aventure extraordinaire du Roi Pausole, qui, pour retrouver sa fille, alla jusqu’à parcourir sept kilomètres à dos de mule, de son palais à sa grand’ville.

On aura lu cette histoire ainsi qu’il convenait de la lire, si l’on a su, de page en page, ne jamais prendre exactement la Fantaisie pour le Rêve, ni Tryphême pour Utopie, ni le Roi Pausole pour l’Être parfait.



FIN