Les Aventures du roi Pausole/Livre III/Chapitre 2

Bibliothèque Charpentier, Eugène Fasquelle, éditeur (p. 204-208).





CHAPITRE II



OÙ M. LEBIRBE ENTRE EN SCÈNE ET OÙ PHILIS POUSSE
UN PETIT CRI



L’une avecques ses beaux yeux vers, Sourit, se hausse et me regarde.

Saint-Amant.


Giguelillot suivait d’un œil fin la charge des quarante gardes vers le petit bois d’oliviers, lorsqu’un vieillard svelte et poli se découvrit à l’ancienne mode devant la toque et le pourpoint bleu.

— Seigneur, demanda-t-il, vous êtes page du Roi ?

— Monsieur, j’ai cet insigne honneur.

— Fort bien. Je suis M. Lebirbe, président de la Ligue contre la licence des intérieurs, reconnue d’utilité publique par une ordonnance royale en date du 1er juillet 1899. J’habite une maison voisine qu’on appelle volontiers le château du village, moins à cause de son importance que par comparaison avec l’humilité des édicules environnants. Cette demeure n’est certes pas digne de donner asile à mon souverain ; mais j’ai appris que Sa Majesté en route pour la capitale faisait halte non loin d’ici ; je vois qu’il se fait tard, je doute que le Roi veuille se remettre en marche à cette heure avancée du soir, et, sans avoir la témérité de lui adresser une invitation, je voudrais néanmoins porter à sa connaissance que tout est prêt sous mon toit pour recevoir lui et sa suite, au cas où il daignerait passer la nuit chez moi. Les appartements que j’oserais lui offrir attendent depuis l’origine, sous le nom de « Chambre du Roi », la visite éventuelle que je me complaisais à prévoir, sachant que le Roi Pausole redoute les longues étapes et que ma demeure est à mi-chemin entre son palais et Tryphême…

— Avez-vous des filles, monsieur ? interrompit Giguelillot.

— Oui, seigneur… Puis-je vous demander comment cette question…

— C’est la marque, c’est la garantie d’une maison hautement respectable et décente, monsieur Lebirbe. Je ne l’entends pas autrement.

Puis, avec une familiarité qu’on tint pour de la bienveillance, il prit le bras gauche du vieillard et l’entraîna en avant.

— Conduisez-moi, dit-il. Vous arrivez à l’heure exacte où je suis chargé par le Roi de lui préparer un lieu de repos. Assuré que vous avez tout disposé pour le mieux du monde, je vais cependant vous accompagner afin de présenter personnellement au retour le rapport qu’on attend de ma vigilance.


Ils passèrent la grille de la cour au moment où Giguelillot achevait d’articuler sa phrase qui fit excellente impression sur l’esprit de M. Lebirbe.

Sur l’escalier du perron, Mme Lebirbe et ses deux filles attendaient, anxieuses, les nouvelles.

— Eh bien ?

— J’ai bon espoir ! Ce jeune seigneur est page du Roi et vient reconnaître nos efforts.

Ayant ainsi présenté son jeune compagnon, le vieillard nomma tour à tour sa femme, puis sa fille aînée Galatée et sa fille cadette Philis, qui détournaient la tête avec modestie, mais regardaient du coin de l’œil avec curiosité.

Galatée était grande et de corps allongé. Elle paraissait avoir un peu plus de vingt ans. Ses cheveux d’un blond Isabelle, étaient coiffés serrés mais non sans goût, et elle se tenait toute droite dans une robe de toile grise qui s’ouvrait en large col blanc.

Timidement pressée à son bras, Philis offrait avec sa sœur le contraste d’être nue — à moins qu’on ne voulût regarder comme des éléments de costume son grand chapeau de jardin, sa chevelure flottante sur le dos, et sa ceinture de moire écarlate qui se fermait sur le côté par un énorme nœud à coques. Ses grands yeux ne pouvaient pas avoir plus de quinze ans. Sa poitrine récemment fleurie portait deux jeunes seins divergents, tout roses de trouble et de plaisir. Elle ne quittait pas Giglio du regard.

— Voulez-vous me permettre de vous précéder ? dit M. Lebirbe en s’inclinant de nouveau.

— Oui, monsieur ! dit Giguelillot.

Au tournant d’un étroit couloir, le page, qui marchait le dernier, passa les deux mains sous les bras de Mlle Philis et l’attirant par la poitrine lui mit un baiser silencieux, mais exquis, derrière l’oreille.

— Ah ! cria-t-elle.

— Tu t’es fait mal ? demanda son père.

— Je me suis piquée. Ce n’est rien. Ne t’arrête pas.

Giguelillot, en cet instant, conçut l’opinion la plus favorable de tout ce qui avait été préparé pour recevoir le Roi Pausole. Il décida que la chambre était somptueuse, le lit vraiment royal, le cartel du meilleur style et les tableaux dignes du musée.

Pour témoigner sans doute encore une sympathie plus directe à la famille de ses hôtes, il étendit sa petite enquête jusqu’aux appartements privés et parvint à constater que les chambres des deux jeunes filles étaient éloignées l’une de l’autre et pourvues de doubles portes, ce qu’il n’osait pas espérer.

Dès lors son jugement fut inébranlable.

— Je vais dire au Roi, exprima-t-il, qu’il ne saurait trouver nulle part de réception plus digne qu’à votre foyer, monsieur Lebirbe.

Et ce disant, il se retira, poursuivi par un rayonnement de sourires.