Anonyme
Traduction par Pierre Jannet.
À l’enseigne du pot cassécoll. Scripta Manent, n°44 (p. 213-215).

CHAPITRE XC.


Comment Ulespiègle fut malade à Mollen et fit ses
ordures dans les boîtes de l’apothicaire ; comment
il fut transporté à l’hôpital du Saint-Esprit et
dit de douces paroles à sa mère.



En arrivant de Marienthal à Mollen, Ulespiègle était misérable et bien malade. Il alla se loger chez l’apothicaire pour se faire soigner. L’apothicaire, qui était malin et railleur, lui donna une forte purgation. Vers le matin, la médecine fit son effet, et Ulespiègle se leva pour faire ses évacuations. Mais la maison était fermée de partout. Ulespiègle, qui était pressé, entra dans la boutique, et fit son affaire dans une boîte à remèdes, en disant : « La médecine vient de là, il faut qu’elle y rentre. De cette façon, bien que je n’aie pas d’argent à lui donner, l’apothicaire ne perdra rien. » Quand l’apothicaire s’aperçut de cela, il se mit à jurer contre Ulespiègle, et, ne voulant plus le garder chez lui, le fit transporter à l’hôpital du Saint-Esprit. En chemin, Ulespiègle dit à ceux qui le portaient : « J’ai toujours désiré, et je l’ai constamment demandé à Dieu dans mes prières, que le Saint-Esprit descendît en moi ; mais Dieu m’envoie tout le contraire, car c’est moi qui descends au Saint-Esprit. » Ceux qui l’avaient porté se mirent à rire et s’en allèrent. Telle est la vie d’un homme, telle est sa fin.

Sa mère apprit bientôt qu’il était malade. Elle s’empressa de se rendre auprès de lui, pensant qu’il lui laisserait de l’argent, car elle était une pauvre vieille femme. Quand elle fut arrivée, elle se mit à pleurer, et lui dit : « Mon cher fils, où as-tu mal ? — Chère mère, répondit-il, ici entre le coussin et la muraille. – Ah ! mon cher fils, dis-moi au moins une douce parole ! – Du miel, chère mère ; voilà une douce parole. – Ah ! mon cher fils, dit la mère, donne-moi tes instructions, que je puisse faire quelque chose en souvenir de toi. – Oui, chère mère : Quand tu feras tes nécessités, tourne la tête du côté d’où vient le vent, afin que la mauvaise odeur ne te vienne pas dans le nez. – Cher fils, lui dit la mère, donne-moi au moins quelque chose de ton bien. – Chère mère, dit-il, il faut donner à celui qui n’a rien, et prendre à celui qui a quelque chose. Mon bien est caché que personne ne sait où il est. Si tu trouves quelque chose qui m’appartienne, tu peux le prendre ; je te donne tout ce que j’ai, droit ou tort. » Et comme son état empirait de plus en plus, on l’engagea à se confesser et à se réconcilier avec Dieu, ce qu’il fit, voyant bien qu’il n’en relèverait pas.