Les Aventures de Til Ulespiègle/LXXXI

Anonyme
Traduction par Pierre Jannet.
À l’enseigne du pot cassécoll. Scripta Manent, n°44 (p. 194-195).

CHAPITRE LXXXI.


Comment Ulespiègle quitta Rostock, et fit ses ordures
auprès du feu de son hôte.



Quand il eut fait la malice, Ulespiègle partit promptement de Rostock et s’en alla dans un village, où il se logea dans une misérable auberge où il n’y avait guère de quoi manger. L’aubergiste avait plusieurs enfants, ce qu’Ulespiègle n’aimait guère. Ulespiègle attacha son cheval à l’écurie, puis il entra dans la maison et s’approcha du feu ; mais il trouva le foyer froid et la maison vide. Il comprit bien qu’il n’y avait là rien que misère. Il dit à l’aubergiste : « Monsieur l’hôte, vous avez de mauvais voisins. – Oui, Monsieur, répondit l’hôte ; ils me volent tout ce que j’ai dans la maison. » Ulespiègle se mit à rire, pensant que l’aubergiste était un homme de même humeur que lui, et il aurait eu bien envie de rester, n’eût été les enfants, qu’il ne pouvait souffrir. Bientôt il s’aperçut qu’ils allaient derrière la porte, l’un après l’autre, faire leurs nécessités. Alors il dit à l’aubergiste : « Comment vos enfants sont-ils si malpropres ? N’ont-ils pas un endroit où ils puissent faire leurs nécessités, ailleurs que derrière la porte ? – Monsieur, dit l’aubergiste, qu’est-ce que cela vous fait ? Pour moi, cela m’est indifférent, je m’en vais demain. » Ulespiègle ne dit rien, et quand il en eut envie, il fit un gros tas d’ordure auprès du feu. L’aubergiste entra comme il était en train, et dit : « Que le diable t’emporte ! tu fais dans le foyer ! Est-ce que la cour n’est pas assez grande ? – Monsieur l’hôte, qu’est-ce que cela vous fait ? Pour moi, cela m’est indifférent, je m’en vais à l’instant. » Là-dessus il monta à cheval et partit. L’aubergiste lui criait : « Arrête, et enlève-moi cela du foyer ! » Ulespiègle répondit : « Que celui qui reste le dernier nettoie la maison, il enlèvera mes ordures avec les vôtres. »