Les Aventures de Til Ulespiègle/LXXIV
CHAPITRE LXXIV.
barbier, et entra par la fenêtre.
lespiègle alla une fois à Hambourg ; il
s’arrêta sur le marché au houblon et regardait de côté et d’autre. Vint un barbier qui lui demanda d’où il venait. Ulespiègle répondit :
« Je viens de là. – Quel est ton métier ? dit le barbier.
— Je suis barbier, » répondit Ulespiègle. Le
barbier l’engagea comme garçon, et lui dit : « Tu
vois cette maison en face, où il y a de grandes fenêtres ?
c’est la mienne. Va-t’en par là, je te suivrai
tout de suite. » Ulespiègle dit oui, et s’en alla vers la
maison, où il entra par la fenêtre, en disant : « Bonjour,
la compagnie ! » La femme du barbier, qui
était assise dans la boutique et en train de filer, fut
effrayée, et dit : « Comment ! est-ce que le diable
te pousse ? Tu passes par la fenêtre ! Est-ce que la
porte n’est pas assez grande ? – Chère dame, dit Ulespiègle, ne vous fâchez pas ; votre mari me l’a
commandé. Il m’a pris comme garçon. – Un joli
garçon, dit la dame, qui fait du tort à son maître !
— Chère dame, dit Ulespiègle, un serviteur ne doit-il
pas faire ce que son maître lui commande ? » En
ce moment le barbier rentra, et ayant appris ce
qu’avait fait Ulespiègle, il lui dit : « Comment, garçon !
ne pouvais-tu entrer par la porte, sans casser
les vitres ? Quelle raison avais-tu d’entrer par la
fenêtre ? – Cher maître, vous m’avez dit, là où
étaient les grandes fenêtres, d’entrer par là et que
vous me suivriez. J’ai fait ce que vous m’aviez dit,
mais vous ne m’avez pas suivi comme vous l’aviez
promis. » Le maître se tut, pensant qu’il se rattraperait
et qu’il lui retiendrait cela sur ses gages. Il
fit travailler Ulespiègle deux ou trois jours. Au
bout de ce temps il lui dit de repasser les rasoirs.
« Volontiers, dit Ulespiègle. » Le maître ajouta : « Tu
les feras briller sur le dos comme sur le tranchant. »
Au bout de quelque temps, il alla voir comment
Ulespiègle s’y prenait ; il vit que les rasoirs qu’il
avait repassés coupaient du dos comme du tranchant,
et qu’il continuait de la même façon. Il lui dit :
« Que fais-tu là ? C’est de la mauvaise besogne ! –
Comment cela serait-il de la mauvaise besogne ?
dit Ulespiègle ; il n’y a pas de mal, car je fais ce
que vous m’avez dit. » Le maître dit en colère : « Je
t’ai dit que tu es un fieffé mauvais sujet. Laisse-moi
cela et va-t’en comme tu es venu. » Ulespiègle dit
oui, et sauta par la fenêtre. Le barbier fut encore plus furieux et courut après lui avec un bâton ; il
voulait l’attraper et lui faire payer les carreaux qu’il
avait cassés. Mais Ulespiègle allait vite ; il entra
dans un bateau et quitta le pays.