Les Aventures de Til Ulespiègle/LXV
CHAPITRE LXV.
chevaux, et arracha la queue au cheval
d’un Français.
lespiègle fit une malice humiliante à un
maquignon, près du lac, à Wismar. En ce
temps-là, il y avait en cet endroit un maquignon
qui marchandait tous les chevaux et les
tirait par la queue, aussi bien ceux qu’il achetait
que ceux qu’il n’achetait pas. Il reconnaissait par
ce moyen si le cheval devait vivre longtemps. Et
voici sa remarque : si les chevaux avaient une longue
queue, il les tirait par les crins. Si le crin se détachait
facilement, il ne les achetait point, parce qu’il
croyait qu’ils ne vivraient pas longtemps. Si, au
contraire, le crin résistait, il les achetait, car il était
convaincu qu’ils vivraient longtemps et qu’ils étaient
de forte nature. Et c’était une opinion générale
dans toute la ville de Wismar, et chacun se dirigeait
en conséquence. Ulespiègle apprit cela et se dit : « Il
faut que tu fasses quelque malice, n’importe laquelle,
pour désabuser le peuple de cette erreur. » Comme
il savait un peu de magie, il se procura un cheval,
l’arrangea par art magique comme il voulait l’avoir, s’en
alla au marché et offrit son cheval à vendre, mais
à un prix élevé, afin qu’on ne l’achetât pas, jusqu’à
ce que le maquignon qui tirait les chevaux par la queue fût venu, auquel il n’en demanda qu’un prix
peu élevé. Le maquignon vit bien que le cheval
valait l’argent. Il s’approcha et se mit en devoir de
lui tirer fortement la queue. Or, Ulespiègle avait
arrangé les choses de façon que, lorsque le maquignon
tira la queue, elle lui resta dans la main ; et
le cheval était arrangé de façon à paraître comme
si on lui avait arraché la queue. Le maquignon resta
tout confus, et Ulespiègle se mit à crier : « Haro sur
ce scélérat ! Voyez, chers bourgeois, comme il m’a
déshonoré et gâté mon cheval ! » Les bourgeois
s’approchèrent, et virent que le cheval n’avait plus
sa queue, et que le maquignon la tenait à la main,
et qu’il était très effrayé. Les bourgeois s’interposèrent,
et firent donner dix florins à Ulespiègle par
le marchand. Ulespiègle s’en alla avec son cheval
et lui remit la queue. À partir de ce moment, le
maquignon ne tira plus la queue aux chevaux.