Anonyme
Traduction par Pierre Jannet.
À l’enseigne du pot cassécoll. Scripta Manent, n°44 (p. 157-158).

CHAPITRE LXV.


Comment, à Paris, Ulespiègle se fit marchand de
chevaux, et arracha la queue au cheval
d’un Français.



Ulespiègle fit une malice humiliante à un maquignon, près du lac, à Wismar. En ce temps-là, il y avait en cet endroit un maquignon qui marchandait tous les chevaux et les tirait par la queue, aussi bien ceux qu’il achetait que ceux qu’il n’achetait pas. Il reconnaissait par ce moyen si le cheval devait vivre longtemps. Et voici sa remarque : si les chevaux avaient une longue queue, il les tirait par les crins. Si le crin se détachait facilement, il ne les achetait point, parce qu’il croyait qu’ils ne vivraient pas longtemps. Si, au contraire, le crin résistait, il les achetait, car il était convaincu qu’ils vivraient longtemps et qu’ils étaient de forte nature. Et c’était une opinion générale dans toute la ville de Wismar, et chacun se dirigeait en conséquence. Ulespiègle apprit cela et se dit : « Il faut que tu fasses quelque malice, n’importe laquelle, pour désabuser le peuple de cette erreur. » Comme il savait un peu de magie, il se procura un cheval, l’arrangea par art magique comme il voulait l’avoir, s’en alla au marché et offrit son cheval à vendre, mais à un prix élevé, afin qu’on ne l’achetât pas, jusqu’à ce que le maquignon qui tirait les chevaux par la queue fût venu, auquel il n’en demanda qu’un prix peu élevé. Le maquignon vit bien que le cheval valait l’argent. Il s’approcha et se mit en devoir de lui tirer fortement la queue. Or, Ulespiègle avait arrangé les choses de façon que, lorsque le maquignon tira la queue, elle lui resta dans la main ; et le cheval était arrangé de façon à paraître comme si on lui avait arraché la queue. Le maquignon resta tout confus, et Ulespiègle se mit à crier : « Haro sur ce scélérat ! Voyez, chers bourgeois, comme il m’a déshonoré et gâté mon cheval ! » Les bourgeois s’approchèrent, et virent que le cheval n’avait plus sa queue, et que le maquignon la tenait à la main, et qu’il était très effrayé. Les bourgeois s’interposèrent, et firent donner dix florins à Ulespiègle par le marchand. Ulespiègle s’en alla avec son cheval et lui remit la queue. À partir de ce moment, le maquignon ne tira plus la queue aux chevaux.