Les Aventures de Nono/XX. Le départ des conjurés

LES AVENTURES DE NONO
XX. LE DÉPART DES CONJURÉS



XX

LE DÉPART DES CONJURÉS


Laissons notre malheureux prisonnier aux rêves étoilés qu’en son sommeil lui a soufflés la fée Espérance, et retournons un peu à Autonomie, pour voir ce que deviennent nos autres personnages, comment ils ont accepté la disparition de leur camarade.

En même temps que Solidaria était avertie par le cri de détresse de celui qu’on enlevait, Labor était encouru avec toute son équipe. Lui avait été prévenu par le carabe que Nono avait délivré de la mésange.

Il avait assisté à son entrevue de la veille avec Monnaïus, il s’était rendu compte du danger que courait l’enfant, et s’était posté non loin de lui pour l’avertir. Mais un ennemi lui ayant fait la chasse, il avait dû fuir, puis se cacher pour échapper à la poursuite ; c’est en se rendant à Autonomie qu’il avait assisté à l’enlèvement, et qu’il avait couru avertir Labor.

La fureur des enfants fut grande contre Monnaïus. Ils l’auraient certainement mis en pièce, s’il leur était tombé entre les mains. Mais Monnaïus était maintenant derrière le mur de son château-fort à l’abri de leur colère.

Le manque de confiance de Nono fut généralement blâmé; mais comme il en était la première victime et dans le malheur, on laissa les récriminations de côté afin d’aviser à ce qu’il était possible de faire pour le tirer des griffes du roi d’Argyrocratie.

Solidaria, qui était revenue de sa poursuite inutile, présidait à la discussion qui commença par être tumultueuse, chacun apportant son projet, émettant ses idées les plus spontanées ; les plus affirmatives n’étant pas toujours les plus pratiques.

Hans, Mab, Biquette, Sacha et Riri étaient inconsolables. Hans surtout, trépignait d’impatience, et ne parlait rien moins que de marcher en masse sur Argyrocratie.

Mais il ne fut pas difficile de lui démontrer que la colonie était trop faible pour pouvoir s’attaquer aux forces formidables des Argyrocratiens, tant que l’on ne se serait pas créé des intelligences parmi eux.

En désespoir de cause, Hans proposa de partir seul pour Argyrocratie, de se mettre à la recherche de Nono, et là, une fois qu’il l’aurait trouvé, on verrait ce qu’il serait possible de faire pour revenir à Autonomie.

Solidaria convint qu’il y aurait quelque chance de réussite. Si elle était impuissante au pays de Monnaïus, elle pouvait cependant, d’une façon indirecte, aider aux efforts de ceux qui ont confiance en elle. Sa seule crainte était que Hans échouât dans son entreprise, se fit découvrir par les suppôts de Monnaïus, et que l’on eût à déplorer la perte de deux membres de la colonie, au lieu d’un.

Mais Hans déclara que la colonie se devait à elle-même de travailler à la délivrance d’un de ses membres. Quoi qu’il pût arriver, il était résolu à tout sacrifier pour venir en aide à son ami.

Mab ajouta qu’elle-même était décidée à accompagner Hans dans son entreprise, deux volontés étant plus efficaces qu’une. Il n’y eut donc plus qu’à chercher les moyens de faciliter la besogne aux deux hardis volontaires.

Après une laborieuse discussion où l’on proposa et rejeta une foule de projets, on s’arrêta à cette décision. Hans et Mab se déguiseraient en musiciens ambulants. Il y en avait un grand nombre qui parcouraient les villages d’Argyrocratie, gagnant leur vie en jouant de leurs instruments.

Hans et Mab auraient plus de chances de passer inaperçus, de se glisser parmi le menu peuple au milieu duquel Nono avait dû être abandonné, et plus de facilités à se renseigner sur son sort.

Hans fut muni d’une clarinette, et Mab d’un tambourin. Au cas où Nono serait retenu prisonnier quelque part, Labor leur remit une petite lime pouvant aisément se cacher, mais capable de scier les chaînes les plus fortes, les barreaux les plus épais. Électricia leur remit en outre un talisman leur permettant de communiquer avec Autonomie, d'y envoyer des nouvelles et d’en recevoir. Solidaria leur souffla sa force. Mais sachant quelle force est l’or chez les Argyrocratiens, elle leur remit une bourse pouvant leur fournir toute la monnaie dont ils auraient besoin sans que celle-ci s’épuisât jamais.

Maintenant, que tout était arrêté, on avait le temps d’agir. Pour dépister les espions de Monnaïus, s'il y en avait dans les environs, il fut décidé que les deux volontaires ne partiraient que lorsque tout serait prêt, sous prétexte d’herborisation. Ils retrouveraient Solidaria, à un point de la frontière qu’elle leur désigna. Là, elle se chargeait de les faire pénétrer en Argyrocratie sans qu’ils eussent crainte d’être découverts.

Au jour fixé, Hans et Mab furent donc réveillés de bonne heure. Munis de tout ce que la prévoyance de leurs amis s’ingéniait à leur fournir sans trop les charger, ils firent leurs adieux à tous et descendirent le perron du palais.

Mais au moment où ils allaient quitter l’esplanade, un joli petit cochon, tout rose, accourut de toute la vitesse de ses petites pattes, agitant sa queue en tire-bouchon, poussant de petits grognements qui avaient l’air d’être des reproches.

Ce petit cochon était le favori du groupe dont faisait partie Nono ; lui-même l’avait en grande prédilection, lui ayant appris à danser et à faire quelques tours.

Mab l’embrassa sur son joli groin rose, lui disant :

— Nous t’avions oublié, mon pauvre Penmoch, nous allions partir sans te dire adieu.

Penmoch continuait à secouer son tire-bouchon et à grogner.

Hans le flatta de la main, en lui disant :

— Là, là, c’est bien. Vous êtes un joli cochon qui pensez à vos amis, mais il nous faut partir. Nous sommes pressés. Et les deux voyageurs se remirent en route après une dernière caresse. Penmoch leur emboîta le pas.

— Mais tu nous gênerais, nous ne pouvons pas t’emmener, répéta Hans, lorsqu’il le vit trottinant derrière eux. Et il voulut le renvoyer.

Penmoch protesta en grognant plus fort, et continua à suivre les deux émigrants.

— Nous ne pouvons cependant pas l’emmener, fit Hans.

Mab réfléchissait.

— Mais qu’est-ce qu’il a donc, fit-elle tout d’un coup en se baissant ; et elle tira un petit paquet qui pendait à son cou.

Elle l’ouvrit, c’était un petit tablier brodé et un petit tricorne galonné que Nono lui mettait lorsqu’il lui faisait faire des tours.

— Je crois qu’il sait où nous allons, fit-elle gravement. Emmenons-le, il pourra nous être utile.

Et le cochon, se voyant accepté, gambada joyeusement à côté d’eux.

Après avoir quitté les jardins d’Autonomie, Hans, Mab et Penmoch s’engagèrent, dans les bois que quelques jours auparavant ils avaient parcourus si gaiement, et où Nono avait fait la si malencontreuse rencontre de Monnaïus.

Lorsqu’ils eurent fait une partie du chemin, se sentant fatigués, ils s’arrêtèrent dans une clairière, s’assirent à l'ombre d'un mûrier, tirèrent quelques provisions de leur bissac, et se mirent en devoir de déjeuner avec appétit. En route ils avaient fait provision de glands pour Penmoch.

Pour compléter son déjeuner, les châtaignes abondaient sur le sol.

Tout en mangeant, ils causèrent ; et de quoi pouvaient-ils causer, si ce n’est de ce qui les occupait le plus : leur cher Nono et les moyens de le retrouver.

Dans les branches du mûrier, une colonie de vers à soie, qu’ils n’avaient pas aperçue, les écoutait attentivement.

Cette colonie était la progéniture du bombyx auquel Nono avait rendu la volée : une femelle prête à pondre. À ses petits qu'elle ne devait jamais voir, comme elle leur transmettait l’instinct de tisser un cocon, elle leur transmit sa reconnaissance envers son libérateur, avec la charge de s’acquitter pour elle.

Aussi, lorsqu'ils eurent compris qu’il s’agissait de celui qu’ils avaient charge de remercier, ils tinrent conseil sur ce qu’ils pouvaient faire pour venir en aide à sa délivrance. Ils eurent bientôt trouvé, et se mirent immédiatement au travail.

Hans, qui s‘était couché sur le dos en attendant de se remettre en route, les yeux perdus en l’air, fixant, sans le voir, le feuillage du mûrier qui le couvrait de son ombre, songeait à son ami, lorsque, tout d'un coup, d’une des branches, il vit descendre un fil léger, et, après ce fil, glisser, l’un derrière l’autre, une infinité de vers à soie, qu’il reconnut à leur corps blanchâtre, à leur forme annelée. Et il les regardait légèrement intrigué, descendre jusqu’à terre, se mettre en colonne, et se diriger vers lui.

Ne sachant ce que ça voulait dire, il se mit sur le ventre, désignant les vers à Mab qui se rapprocha de lui.

Lorsqu’ils furent tout près, un des vers se détacha des autres, vint presque sous le nez des deux observateurs, et là, dressant la moitié de son corps, il leur fît entendre ceci :

— Soyez sans crainte, nous sommes des amis. Nous avons une dette de reconnaissance à payer à celui que vous voulez délivrer des mains de Monnaïus.

De notre soie la plus solide et la plus légère, nous avons tissé une sphère que vous n’aurez qu’à déplier, pour qu'elle se gonfle d’elle-même, et vous emporte dans les airs, vous ramenant ici.

Et sur un signe de lui, douze gros vers


apportèrent une pièce de soie roulée, grosse comme un cigare.

Mais elle était si fine, si fine, que Hans, sur l’invitation du ver, l’ayant déroulée, elle était semblable à une grande tente. Mais comme elle commençait à se gonfler, sur l’indication du ver, il se dépêcha de la rouler à nouveau et de la mettre dans sa poche.

Hans remercia les vers à soie de leur cadeau, leur promit d’instruire leur ami de leur assistance, s’il était assez heureux pour le rejoindre.

Et s’étant séparés, les vers remontèrent à leur mûrier. Hans, Mab et Penmoch se remirent en route.

Ce ne fut que le soir qu’ils approchèrent de la frontière. Sur chaque pic, sur chaque colline se dressaient de solides châteaux crénelés qui défendaient l’entrée d’Argyrocratie. Sur la route des postes de soldats surveillaient ceux qui passaient. Il ne fallait pas songer à y pénétrer.

Mais Solidaria connaissait une grotte percée dans une des montagnes à pic qui séparaient Autonomie d’Argyrocratie. C’est dans cette grotte, à laquelle on arrivait par un sentier à peine tracé dans les bois, qu’elle leur avait donné rendez-vous, et où nos trois voyageurs la trouvèrent, les attendant.

Solidaria leur donna le secret d’ouvrir un souterrain qu'elle seule connaissait, et qui, de cette grotte, conduisait jusque dans le pays d’Argyrocratie, en arrière de la ligne des forts et des postes de soldats.

Mais comme il faisait nuit, elle les engagea à attendre jusqu’au lendemain pour y pénétrer. Hans et Mab remercièrent Solidaria, qui les engagea encore une fois à réfléchir. Une fois de l’autre côté, la grotte se refermerait sur eux, et la sphère des vers à soie, ne les ramènerait qu’à condition qu’ils eussent fait tous leurs efforts et réussi à retrouver leur camarade.

Et comme ils restaient inébranlables, elle leur souhaita bonne chance et les embrassa avant de les quitter. Puis ils firent un repas du reste de leurs provisions sans oublier Penmoch, s’arrangèrent ensuite un lit de feuilles sèches et de mousse et s’endormirent enfin, un peu anxieux, en songeant au lendemain.