Les Aventures de Nono/XIII. L’accordéon enchanté

P.-V. Stock (p. 191-203).


XIII

L’ACCORDÉON ENCHANTÉ


Lorsqu’il atteignit la rive, Nono tout trempé dut se déshabiller et étendre ses habits au soleil pour les sécher.

Monnaïus, Solidaria, Labor, tous avaient disparu. Il se trouvait seul au milieu d’une grande plaine désolée. Il lui était impossible de se rendre compte où se trouvait Autonomie. À présent que l’engourdissement causé par le philtre était dissipé, sa raison lui revenait. Il comprenait qu’il était victime de Monnaïus, et son prisonnier puisque Solidaria n’avait pu l’atteindre.

Il savait que, désormais, seul, il lui serait impossible d’y retourner. Il n’en retrouverait le chemin que lorsqu’il aurait réussi à unir ses efforts à d’autres.

Et cet enseignement de Solidaria, lui revint à l’esprit pendant qu’il se séchait, regrettant amèrement de s’être laissé entraîner.

Aussi loin que sa vue pouvait s’étendre, c’était le roc, perçant de maigres bruyères. De loin en loin, de pauvres champs rompaient l’uniformité de la plaine.

Nono, une fois qu’il sentit ses habits secs, se rhabilla, la faim commençait à le talonner. Mais ce n’était plus comme à Autonomie, où il n’y avait qu’à étendre la main pour cueillir quelque fruit succulent. Autour de lui les ajoncs épineux et les genêts s’élevaient seuls au dessus de la bruyère.

Nono se mit en marche vers le côté de la plaine où il lui semblait voir loin, bien loin, quelques habitations.

Les champs près desquels il passait étaient entourés de haies formées d’arbustes épineux ; du reste, rien à y grapiller, le blé commençant seulement à pousser. Les bourgeons des haies ne faisaient que s’entrouvrir. Cela semblait annoncer le commencement du printemps.

Nono arriva enfin à une route plantée de quelques arbres, dont le feuillage commençait à pointer. Mais, eussent-ils été plus avancés, ils n’auraient pu être d’aucune utilité à l’affamé, qui y reconnut des ormes, des sycomores, des platanes, des acacias, mais aucun arbre à fruit.

En approchant des maisons, il vit bien quelques arbres en fleur, des cerisiers, lui sembla-t-il. Seulement, eussent-ils eu des fruits, pour en approcher il lui aurait fallu escalader des murs ou des haies. Mais les murs étaient couronnés de tessons de bouteilles fort coupants, les haies se hérissaient d'épines qui ôtaient l’envie d’en tenter l’escalade.

Il continua donc son chemin vers les maisons, espérant trouver là de quoi boire et manger.

À la première où il arriva, une petite fille était sur le seuil. Croyant que c’était comme à Autonomie, il s’approcha pour la caresser et demander à manger, mais la gamine s’enfuit en poussant des cris de pintade.

Et quelle différence avec Mab, Sacha, Biquette, et les autres enfants d’Autonomie ! Sale, mal peignée, la figure toute barbouillée, les jupons en loque, elle rappela à Nono ses petites voisines, lorsqu’il était chez ses parents.

Il continua donc son chemin vers une autre chaumière qu’il aperçut un peu plus loin. Mais lorsqu’il voulut en approcher, un dogue s’élança vers lui, aboyant furieusement. Nono n’eut que le temps de s’éloigner.

Il s’avança vers une troisième, et s’adressant à un petit garçon qui se trouvait sur le seuil, il lui demanda à manger.

— M’man, fit l’enfant s’adressant à une jeune femme qui lavait du linge dans un baquet, au milieu de la chambre, c’est un p’tit garçon, y dit qu’il a faim.

— Encore un mendiant, fit la femme sans se déranger, si on voulait donner à tous, on n’en finirait pas. Dis lui que l’on ne peut rien faire pour lui. »

Le cœur gros, Nono alla s’asseoir sur une grosse pierre, ses jambes refusant de le porter plus loin, il se mit à méditer amèrement sur les aventures qui lui survenaient, se rappelant les paroles de Solidaria, lorsqu’elle l’avait introduit à Autonomie :

« Je te mettrai aux prises avec les circonstances. Comme tu agiras, elles seront bonnes ou néfastes pour toi. — C’est donc toi qui, en définitive, feras tes aventures, et les ornementeras par ta façon de te comporter. »

Et, de fait, s’il avait été plus confiant, plus sage, il ne se serait pas laissé enlever d’Autonomie, ni attirer dans un pays si ingrat.

— Décidément, se dit-il, je n’ai pas pris le bon chemin.

Et fouillant machinalement dans sa poche, sa main y heurta quelque chose de carré. C’était la boîte que lui avait donnée Riri. Voulant s’assurer que l’eau n’avait pas détérioré, en y pénétrant, son instrument magique, il en tira l’accordéon et appuya sur les notes. Aussitôt, l’accordéon grandit, jouant une valse entraînante.

Le petit garçon de la maison, qui l’avait suivi de loin, s’arrêta émerveillé d’entendre sortir d’une si petite boîte, une musique faisant autant de bruit que celle des soldats de Monnaïus lorsque, par hasard, ils venaient à traverser ce petit village perdu.

D’autres enfants du village, attirés par la musique, étaient accourus, sortant des maisons, arrivant de la route ; c’était comme une nichée de petits lapins. Il y en avait de toutes les tailles et de toutes les couleurs. Ils eurent bientôt fait un demi-cercle devant Nono et sa musique. Nono satisfait de voir son instrument en bon état, s’arrêta d’en jouer et fît mine de le remettre dans sa boîte. Les enfants demandèrent qu’il leur jouât encore un air.

Mais le musicien guignait avidement une grosse tartine de pain qu’un des enfants tenait à la main.

Le premier garçon qu’il avait abordé, se rappelant la demande de Nono, lui dit :

— Fais-nous encore de la musique, t’auras la tartine.

— N’est-ce pas Zidore, fit-il en s’adressant au propriétaire de la tartine, que tu lui donneras ton pain au garçon s’il nous fait encore de la musique ? »

Celui-ci se gratta la tête, mais finit par tendre sa tartine à Nono qui se mit à y mordre goulûment.

Et, faisant à nouveau fonctionner l’accordéon, il régala ses auditeurs d'un nouvel air, en prenant le temps de dévorer sa tartine.

Lorsqu’il eut jugé leur avoir donné assez de musique pour leur pain, il voulut se lever, emportant sa boîte, car il voyait que le soleil s’approchait de l’horizon.

Mais les enfants lui redemandèrent encore un air. Et il ressortit sa musique en disant que, leur faire plaisir, il allait encore jouer un morceau, mais qu’il était temps qu’il se remît en route.

Et lorsque l’air fut joué, il remit la boîte dans sa poche, pour partir.

Mais ce n’était pas le compte de ses auditeurs qui lui demandèrent de faire jouer encore la musique.

— Non, vraiment, je ne puis pas, car il faut que je me remette en route, fit Nono.

Et comme les enfants insistaient.

— La nuit va arriver, je ne sais pas où je suis. Non je ne peux pas rester plus longtemps. Il faut que je parte.

Les figures commencèrent à devenir hargneuses.

— Hé ! va donc, teigneux, fit un des garçons.

— A-t-il l’air de faire son malin, avec sa musique ! fit un autre.

— Si je voulais en avoir une, mon papa m’en achèterait une bien plus belle, renchérit une petite fille en loques.


Et, ramassent des cailloux, ils allaient faire un mauvais parti à Nono, lorsque, heureusement pour lui, une femme sortit d’une des maisons, fit la chasse aux galopins, en saisissant un par l’oreille.

— Après qui en as-tu, encore, chenapan ! fit-elle.

— C’est pas moi, m’man, hurla le vaurien. C’est les autres qui voulaient que le garçon leur fasse encore de la musique. »

La femme lâcha l’oreille de son garnement, et s’approcha de Nono, lui demandant qui il était, d’où il venait, où il allait.

Nono lui raconta ses aventures, sa vie à Autonomie, sa rencontre avec le gros monsieur, son enlèvement, son naufrage, et son isolement dans ce pays inconnu.

Mais la pauvre campagnarde n’avait jamais entendu parler d’Autonomie. Pour elle, le gros monsieur devait être quelque Bohémien qui enlevait les enfants pour en faire des petits mendiants.

— Hélas, mon pauvre enfant, fit-elle apitoyée, je ne connais pas le beau pays dont tu me parles. Je n’ai jamais entendu parler de choses semblables que dans les contes de fées, et, si vraiment tu viens d’un pays si magnifique, je te plains certes, car ici, c’est bien différent de ce que tu me racontes.

Il faut travailler beaucoup pour gagner peu. Le pays est pauvre, tu n’as aucune chance de trouver quelqu’un qui veuille te prendre. Ton travail ne paierait pas ta nourriture.

Le mieux que tu puisses faire, c’est de te rendre à Monnaïa, la capitale qu’habite notre roi Monnaïus. Là on y emploie des enfants de tous les âges, comme domestiques, ou dans les usines. Là, tu auras quelque chance de gagner ta vie.

Attends-moi. Je reviens. »

Et se dirigeant vers sa chaumière, elle en revint avec un gros cagnon de pain, un peu de fromage, et une tasse de lait qu’elle fit boire au pauvre exilé.

— Mets ce pain et ce fromage dans ta poche, continua la femme, ça te servira pour continuer ta route. Tu n’as qu’à suivre ce chemin, jusqu’à ce que tu arrives sur une route plus grande, tu tourneras à gauche et tu suivras cette nouvelle route pendant quelque temps. Tu rencontreras bien quelque passant pour t’indiquer lorsqu’il faudra changer. »

Nono eut bien envie de pleurer lorsqu’il vit confirmer ses craintes d’être transporté en Argyrocratie, mais refoulant ses larmes, il remercia la bonne femme et lui demanda s’il lui faudrait marcher longtemps pour atteindre Monnaïa. Il fut tout à fait consterné lorsqu’elle lui eut dit qu’il n’y arriverait qu’après de longues journées de marche.

Le cœur bien gros, il dit adieu à la femme et se remit en marche pour Monnaïa.