Les Avadânas, contes et apologues indiens/96

Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (2p. 73-75).


XCVI

LE MAÎTRE DE MAISON ET LE FLATTEUR MALADROIT.

(Sachez choisir le temps convenable.)


Il y avait jadis un riche maître de maison (Grihapati) dont les nombreux serviteurs épiaient constamment les désirs. Tous lui témoignaient le plus profond respect. Un jour qu’il avait laissé échapper un crachat, un de ses domestiques mit aussitôt le pied dessus. Il y avait un sot qui n’ayant pu l’écraser à temps, se dit en lui-même : « Quand le maître a laissé tomber un crachat par terre, tous ces gens accourent et l’écrasent avec le pied. Je vais faire beaucoup mieux qu’eux. Quand il aura l’air de vouloir cracher, je lèverai le pied d’avance. » À peine avait-il fait cette réflexion, que le maître toussa et parut prêt à cracher. L’idiot leva aussitôt le pied et en frappa la bouche du maître de maison, dont il déchira les lèvres et brisa les dents.

« Pourquoi, lui dit le maître de maison, m’avez-vous blessé d’un coup de pied les lèvres et la bouche. »

— Voici comment, répondit l’idiot : « Lorsque vous n’aviez pas encore craché, j’ai levé le pied d’avance dans l’espoir de vous plaire. »

En toute chose, il faut savoir saisir le temps. Quand le temps n’est pas encore venu, si l’on veut, à toute force, faire une action méritoire, on s’attirera des peines et des tourments. C’est pourquoi les hommes du siècle doivent tâcher de connaître ce qui est à propos et ce qui ne l’est pas.

(Extrait de l’Encyclopédie Fa-youen-tchou-lin, livre XLIV.)