Les Avadânas, contes et apologues indiens/79

Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (2p. 24-26).


LXXIX

LE ROI ET L’ÉLÉPHANT.

(Il faut veiller sur sa bouche[1].)


Il y avait jadis un roi qui possédait un grand éléphant, courageux et propre aux combats. Sa force était telle, qu’il aurait vaincu cinq cents petits éléphants. Un jour le roi leva des troupes et voulut combattre un prince rebelle. Il fit couvrir l’éléphant d’une armure de fer, et choisit un habile cornac pour le conduire. On attacha deux lances à ses deux défenses, deux épées à ses deux oreilles, quatre sabres à lames recourbées à ses jambes, et une massue de fer à sa queue. Cet éléphant, pourvu de neuf armes, avait un aspect terrible. Mais l’éléphant cacha sa trompe et ne s’en servit point pour combattre. Le cornac en fut charmé ; il reconnut que l’éléphant prenait soin de sa vie. Comment cela ? La trompe de l’éléphant est tendre et molle ; si elle est atteinte d’une flèche, il meurt sur-le-champ. Voilà pourquoi il ne dressait pas sa trompe pour combattre. Quand l’éléphant eut longtemps combattu, il dressa sa trompe et chercha une épée. Le cornac cessa de se réjouir ; il pensa que cet éléphant belliqueux n’épargnait plus sa vie, puisqu’il dressait sa trompe et cherchait une épée pour qu’on en armât l’extrémité. Le roi et ses ministres, afin de ménager ce grand éléphant, ne voulurent plus le faire combattre.

L’homme commet neuf sortes de péchés. Il faut surtout veiller sur sa bouche, et imiter ce grand éléphant qui d’abord veilla sur sa trompe et ne s’en servit pas pour combattre, parce qu’il craignait de la voir atteinte par une flèche et d’en mourir.

L’homme doit pareillement veiller sur sa bouche (c’est-à-dire être circonspect dans ses paroles).

(Extrait de l’ouvrage intitulé : Fa-kia-pi-yu-king.)
  1. Ici cette expression s’applique à la trompe de l’éléphant, et, plus bas, à la circonspection dans les paroles.