Les Avadânas, contes et apologues indiens/64

Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 222-224).


LXIV

LE JEUNE BRÂHMANE QUI S’EST SALI LE DOIGT.

(De ceux qui ne savent pas persister dans leur résolution.)


Le fils d’un Brâhmane ayant fait ses ablutions, était enchanté lui-même de sa propreté ; mais étant allé derrière sa maison, il se salit subitement un doigt. Il se rendit auprès d’un forgeron, lui montra son doigt sale et le pria de le lui brûler. Le forgeron lui adressa des représentations et lui dit : « Ne donnez pas suite à cette idée ; il y a d’autres moyens de nettoyer votre doigt. Frottez-le avec de la cendre et lavez-le avec de l’eau pure. Si j’allais vous le brûler, vous ne pourriez supporter la cruelle ardeur du feu, et votre corps serait bien plus péniblement affecté qu’auparavant. »

En entendant ces paroles, le fils du Brâhmane entra en colère et injuria le forgeron. « Gardez-vous, lui dit-il, de mesurer les sentiments des autres d’après les vôtres, et dire qu’un homme ne supporterait pas cette douleur, parce que vous-même ne vous en sentez pas le courage. »

À ces mots, le forgeron fit rougir une paire de tenailles et lui saisit le doigt. Le jeune homme sentant la douleur de la brûlure, ne put la supporter ; il retira son doigt et le mit dans sa bouche. Le forgeron éclata de rire. « Jeune homme, lui dit-il, comment mettez-vous votre doigt sale dans votre bouche ?

— Lorsque je n’avais pas encore senti la douleur, répondit-il, je remarquais que mon doigt n’était pas propre ; mais depuis que j’ai éprouvé la cruelle ardeur du feu, j’ai oublié la saleté de mon doigt. »

(Extrait de l’ouvrage intitulé : Sieou-king-tao-ti-king section Hio-ti)