Les Avadânas, contes et apologues indiens/44

Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 165-167).


XLIV

L’HOMME BLESSÉ PAR UNE FLÈCHE EMPOISONNÉE.

(De ceux qui ne savent pas aller droit à leur but.)


Il y avait un homme qui avait été atteint par une flèche empoisonnée. Ses parents, remplis pour lui d’affection et de pitié, voulurent lui procurer promptement le calme de l’âme et la santé. Ils allèrent chercher un médecin qui pût arracher la flèche empoisonnée et en arrêter les mortels effets. Mais le blessé leur fit ces observations : « On ne m’arrachera pas la flèche empoisonnée avant que je ne sache le nom de famille et le surnom de celui qui m’a blessé, si sa figure est belle ou laide, si sa taille est grande, petite ou moyenne, s’il a le teint noir ou blanc, si, par sa naissance, il appartient à la classe des Kchattrijas, des Brâhmanes, des riches marchands ou des artisans ; s’il est de l’Orient ou de l’Occident, du Midi ou du Nord. On ne m’arrachera pas la flèche empoisonnée avant que je ne sache de quel bois était fait l’arc, s’il provenait d’un arbre Sâla, d’un Tala ou d’un Kélangouli (?). Je ne veux pas qu’on m’arrache la flèche empoisonnée avant que je ne sache de quel animal venaient les nerfs qui ont servi à lier les différentes parties de cet arc ; si c’était un bœuf, un mouton ou un yak. Je ne laisserai pas arracher la flèche empoisonnée avant que je ne sache si la poignée (le milieu) de l’arc était faite avec de l’ivoire ou avec du bois de jujubier. »

Pendant que le blessé perdait son temps au milieu de ces vaines questions, il ne s’aperçut point des progrès du poison et mourut sans secours.

(Extrait de l’ouvrage intitulé : Tsien-yu-king ou Livre des comparaisons empruntées à la flèche, chap. iii.)