Les Avadânas, contes et apologues indiens/12

Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 64-67).


XII

LES QUATRE FRÈRES BRÂHMANES ET LA FATALITÉ.

(On ne peut faire violence au destin.)


Il y avait jadis quatre brâhmanes qui étaient frères. Comme ils possédaient tous les cinq facultés surnaturelles, ils reconnurent une fois que leur vie devait être fort courte, et que leur mort arriverait infailliblement au bout de sept jours. Ils délibérèrent entre eux et dirent : « Nous possédons tous des facultés surnaturelles, et par notre puissance divine, nous pouvons bouleverser le ciel et la terre, en étendant le bras, toucher de la main le soleil et la lune, transporter des montagnes et arrêter les torrents ; il n’y a rien qui nous soit impossible. Faut-il que nous ne puissions éviter ce malheur (échapper à la mort) ? »

Le plus âgé dit : « Moi, j’entrerai dans la grande mer ; je la rendrai calme depuis le haut jusqu’en bas, et je m’établirai au centre ; comment le démon, ministre de la mort, pourra-t-il savoir où je demeure ? » Le second frère dit : « J’entrerai dans le sein du mont Soumêrou, et je refermerai l’ouverture extérieure, de manière qu’il soit impossible de me voir. Comment le démon, ministre de la mort, pourra-t-il savoir où je demeure ? »

Le troisième frère dit : « Moi, j’irai habiter au milieu des airs, je cacherai mon corps, et ne laisserai aucune trace de ma personne. Comment le démon, ministre de la mort, pourra-t-il savoir où je demeure ? »

Le quatrième frère dit : « Je me cacherai dans un grand marché, au milieu du tumulte et du vacarme d’une multitude de gens qui sont inconnus les uns aux autres ; si le démon, ministre de la mort, saisit subitement un homme, pourquoi serait-ce absolument moi ? »

Ces quatre frères ayant ainsi délibéré entre eux, allèrent prendre congé du roi, et lui dirent : « Nous avons calculé que notre vie doit être fort courte. Nous désirons échapper à la mort et obtenu beaucoup de bonheur. »

Le roi leur dit aussitôt : « Eh bien ! efforcez-vous de pratiquer la vertu. » Là-dessus, ils firent leurs adieux au roi, et allèrent chacun dans le lieu qu’ils avaient choisi d’avance. Quand le terme de sept jours fut écoulé, ils sortirent de leur retraite et moururent tous ensemble.

(Extrait de l’Encyclopédie Fa-youen-tchou-lin, livre XIX.)