Charles Delagrave (p. 205-218).
XXXIV. — Couleuvres et lézards

XXXIV

COULEUVRES ET LÉZARDS

Paul. — Je me propose aujourd’hui de prendre la défense des reptiles, classe de réprouvés, objets d’horreur pour la plupart d’entre nous et voués à l’exécration générale. Je vous ai montré quels services nous rendent les chauves-souris, malgré la répugnance quelles nous inspirent ; dans ces animaux qualifiés de hideux et traités en ennemis, je vous ai fait reconnaître de précieux auxiliaires, de véritables hirondelles de nuit adonnées à l’extermination des insectes crépusculaires. La raison apportant ses lumières au sein des ténèbres du préjugé, la bête détestable s’est trouvée animal fort utile. Je vais essayer pareillement de vous faire démêler le faux et le vrai dans l’histoire de ces autres maudits, les reptiles. Commençons par les serpents.

Si, pour expliquer notre aversion pour les chauves-souris, nous pouvons invoquer leur configuration qui nous répugne par son étrangeté, nous ne trouvons pas dans les serpents les mêmes motifs de répulsion. Leur forme svelte ne manque pas d’élégance, la souplesse de leurs mouvements onduleuxTête de couleuvre. Tête de vipère.
Tête de couleuvre. Tête de vipère.
est gracieuse à la vue ; leur peau écailleuse est ornée de couleurs franches, qui plaisent par leur symétrie. Notre aversion a son origine ailleurs. Quelques serpents sont venimeux, ils sont armés d’un redoutable engin de mort. Certes, ce n’est pas avec ceux-là que je veux vous réconcilier ; s’il ne dépendait que de moi de leur écraser la tête à tous, bien volontiers j’en délivrerais la terre. D’autres, beaucoup plus nombreux, sont dépourvus de toute espèce d’appareil venimeux, et de la sorte sont parfaitement inoffensifs, à moins qu’ils ne soient de taille à nous nuire par leurs seules forces musculaires, ce qui n’est pas rare dans les pays chauds de l’équateur, mais ne se présente jamais dans nos pays, où le plus gros serpent ne pourrait résister aux efforts mêmes d’un enfant. Ainsi les uns sont excessivement à craindre à cause de leur venin ; les autres, du moins ceux de nos contrées, ne nous font courir aucune espèce de danger. D’habitude, cette distinction fondamentale nous échappe. La mauvaise réputation, de l’animal à morsure mortelle est, sans examen, généralisée, et tous les serpents indistinctement nous inspirent de l’horreur, parce que nous les croyons tous venimeux. Nous n’avons en France qu’un seul serpent venimeux, la vipère ; tous les autres sont inoffensifs, les plus grands comme les plus petits, et portent le nom de couleuvres.

En vous racontant l’histoire des ravageurs, je vous ai déjà parlé de la vipère ; je vous ai décrit sa forme, sa coloration, la structure de son appareil venimeux, les effets de sa morsure. Je répète ici les faits les plus saillants de notre ancienne conversation, afin de vous donner en son ensemble l’histoire de nos serpents.

Tous les serpents dardent entre leurs lèvres, avec une extrêmeAppareil venimeux de la vipère.
Appareil venimeux de la vipère.
vélocité, un filament noir, très flexible et fourchu. Pour beaucoup de personnes, c’est l’arme du reptile, le dard, comme l’on dit ; mais en réalité ce filament n’est autre chose que la langue, langue tout à fait inoffensive, dont l’animal se sert pour happer les insectes dont il se nourrit, et pour exprimer à sa manière les passions qui l’agitent, en la passant rapidement entre les lèvres. Tous les serpents, sans exception, en ont une ; mais, dans nos contrées, la vipère seule possède le terrible appareil à venin.

Cet appareil se compose d’abord de deux crochets ou dents longues et aiguës placées à la mâchoire supérieure. Ces crochets sont mobiles : à la volonté de l’animal, ils se dressent pour l’attaque ou se couchent dans une rainure de la gencive et s’y tiennent inoffensifs comme un stylet dans son étui. De la sorte, le reptile ne court pas le risque de se blesser lui-même. Ils sont creux et percés vers la pointe d’une fine ouverture, par laquelle le venin se déverse dans la plaie. Enfin, à la base de chaque crochet se trouve une petite poche pleine du liquide venimeux. C’est une humeur d’innocent aspect, sans odeur, sans saveur ; on dirait presque de l’eau. Quand la vipère frappe de ses crochets, la poche à venin chasse une goutte de son contenu dans le canal de la dent, et le terrible liquide s’infiltre dans la blessure. C’est en se mélangeant avec le sang que le venin produit ses effrayants effets.

Jules. — Je me rappelle très bien tout cela, ainsi que les moyens qu’il faut prendre pour empêcher le venin de se propager dans la masse du sang.

Paul. — La vipère, vous disais-je encore, habite de préférence les collines chaudes et rocailleuses ; elle se tient sous les pierres et dans les fourrés de broussailles. Sa couleur est brune ou roussâtre. Elle a sur le dos une bande sombre en zigzag, et sur chaque flanc une rangée de taches dont chacune correspond à un des angles rentrants de la bande dorsale. Son ventre est d’un gris ardoisé. Sa tête est un peu triangulaire, plus large que le cou, obtuse et comme tronquée en avant. La vipère est timide et peureuse ; elle n’attaque l’homme que pour sa défense. Ses mouvements sont brusques, irréguliers, pesants.

Jules. — De quoi se nourrit-elle, la vipère ? mange-t-elle seulement des insectes, ramassés avec la langue ?

Paul. — Sa nourriture principale consiste en une proie plus forte, qui exige l’emploi de l’arme venimeuse. Les petits rats des champs, les mulots, les campagnols, les taupes, quelquefois les grenouilles et même les crapauds, sont ses habituelles victimes. L’animal surpris par le reptile est d’abord piqué avec les crochets à venin ; une prompte agonie est la conséquence de cette blessure. Quand la proie est morte, la vipère l’enlace de ses replis, la presse avec force et la pétrit en quelque sorte pour l’amincir, car elle doit l’avaler en une seule bouchée, serait-elle plus grosse que son corps. Cette préparation terminée, la gueule bâille tant qu’elle peut, les deux mâchoires semblent se disjoindre, et de leurs dents pointues, recourbées vers le gosier, happent la tête du campagnol ou du mulot. Un flot de salive inonde alors le cadavre pour le rendre plus glissant ; mais la bouchée est si volumineuse, que la vipère ne vient à bout de l’engloutir qu’avec une peine extrême. Le gosier se dilate et se contracte, les mâchoires se meuvent alternativement de droite et de gauche pour faire cheminer le morceau. Il faut parfois des heures, parfois la journée entière pour cette laborieuse déglutition. Il n’est pas rare que la moitié antérieure de la proie soit déjà soumise au travail digestif de l’estomac, tandis que la moitié postérieure n’a pas encore franchi le gosier et attend hors de la gueule.

Arrivons aux couleuvres. Aucune d’elles n’a de crochets venimeux à la mâchoire ; leurs dents sont égales, fines, sans force, bonnes pour retenir la proie et venir en aide à la déglutition, aussi pénible que celle de la vipère, mais insuffisantes pour produire une sérieuse blessure. Ces animaux sont d’ailleurs très craintifs ; à la moindre alerte, ils se hâtent de fuir. Si la retraite leur est impossible, ils font bonne contenance pour en imposer à l’ennemi ; ils se roulent en spirale, dressent la tête, la balancent, soufflent et cherchent à mordre. Il n’y a pas lieu de s’effrayer de ces menaces ; une égratignure sans aucune gravité, pareille à quelques légers coups d’épingle, c’est tout ce qui peut nous arriver de pire. Il n’est personne qui, mettant la main dans un buisson, n’ait été blessé plus grièvement par les épines.

Jules. — Si ce n’est pas plus dangereux, je n’hésiterais pas à prendre une couleuvre avec les mains.

Paul. — Je ne vous dis pas cela pour vous engager à prendre ces animaux et vous en servir de jouet ; je désire, au contraire, que vous les laissiez tranquilles, mais je désire aussi dissiper une frayeur que rien ne motive : cette frayeur du serpent, si répandue dans les campagnes. La peur, mauvaise conseillère, jamais ne fait œuvre méritoire en lapidant la bête trouvée dans un trou de mur ; le passant l’assomme de son bâton, s’il la rencontre traversant la route ; le faucheur, au milieu des herbes, lui tranche la tête d’un coup de faux. S’ils n’écoutaient pas une folle frayeur, une aversion non raisonnée, ils laisseraient la bête en paix, et les choses n’en iraient pas plus mal ; car les couleuvres, non seulement sont inoffensives, mais encore nous rendent d’excellents services, en détruisant, pour s’en nourrir, une foule d’insectes et de petits rongeurs, tels que les campagnols et les mulots. À ce point de vue, les couleuvres méritent protection, et non la haine implacable qui leur est généralement vouée.

Louis. — On dit que les serpents fascinent les oiseaux du regard et les attirent dans leur gueule ouverte par la seule puissance de leur haleine pestilentielle. Incapable de résister à cette attraction magique, l’oiseau se précipite de lui-même au fond de l’horrible gosier.

Paul. — Il y a un peu de vrai dans votre observation, mais il y a surtout du faux, fruit de l’imagination populaire, qui volontiers met de la sorcellerie dans les mœurs du serpent. D’abord l’haleine d’une couleuvre et d’un serpent quelconque n’a rien de pestilentiel, rien de magiquement attractif, rien de surnaturel. Vous avez tous ici trop de bon sens pour qu’il me soit nécessaire d’insister sur ces contes ridicules. Reste la prétendue fascination exercée sur l’oiseau par le regard dur et fixe du reptile. Tout ce que l’on raconte de merveilleux à cet égard, en réalité se réduit à peu de chose.

Quelques-unes de nos couleuvres sont friandes d’œufs d’oiseaux. Elles grimpent sur les arbres, recherchent les nids et en mangent les œufs quand les mères ne sont pas là pour les défendre. Il est arrivé à plus d’un dénicheur, qui croyait saisir la couvée d’un geai ou d’un merle, de rencontrer sous la main, au fond du nid, le corps froid et enroulé du reptile. J’en ai connu qui, saisis d’horreur à ce contact inattendu, sont tombés à la renverse du haut de l’arbre et se sont cassé les reins. Avis aux autres. Les grosses couleuvres ne se bornent pas aux œufs, elles dévorent aussi les petits oiseaux, même ceux qui sont hors du nid, quand elles peuvent les saisir, ce qui heureusement n’est pas facile. Supposons un oisillon novice surpris à l’improviste par une couleuvre dans le fourré d’un buisson. Le pauvret voit subitement devant lui une gueule affreusement ouverte et des yeux étincelants qui le regardent avec une féroce fixité. Effaré de terreur, l’oiseau perd la tête et ne sait plus fuir ; il bat inutilement des ailes, il crie plaintivement, enfin il se laisse choir de la branche, paralysé, mourant. Le monstre qui le guette le reçoit dans sa gueule.

Le pouvoir fascinateur dont on gratifie les serpents n’est donc en réalité que la faculté d’inspirer à l’oiseau une terreur soudaine, qui paralyse ses moyens de fuite. Nous-mêmes, quand tout à coup se présente un effrayant danger, conservons-nous toujours la présence d’esprit nécessaire pour y faire face ? manque-t-il de gens qui s’affolent, ne savent plus ce qu’ils font et aggravent la situation par des actes déraisonnables ? Tout le merveilleux de la fascination se réduit là. J’aime à croire que l’oiseau surpris par une couleuvre à d’habitude le caractère assez ferme pour dominer la première impression de frayeur et prendre la fuite dès qu’il aperçoit à proximité l’horrible gueule du reptile ; aussi les embûches paralysantes du serpent n’ont guère chance de réussir qu’avec des oiseaux tout jeunes, sans expérience encore des choses de la vie. Ce qui immobilise de frayeur un innocent oisillon n’émeut guère l’oiseau plus maître de lui-même ; ce qui terrifie l’enfant et les personnes à caractère faible, impressionne peu l’homme qui raisonne le danger. Habituez-vous,Couleuvre à collier.
Couleuvre à collier.
mes petits amis, à conserver en toute grave circonstance le calme de l’esprit, le coup d’œil lucide de la raison, et vous éviterez pas mal de misères, vous échapperez à pas mal de périls, comme l’oiseau qui ne perd pas la tête échappe à la couleuvre embusquée.

Disons maintenant quelques mots de nos principales couleuvres. La plus élégante pour la coloration est la couleuvre à collier, ainsi nommée à cause d’un jaune pâle ou blanchâtre qui lui forme un demi-collier derrière la nuque. Le dessus du corps est d’un gris-cendré plus ou moins foncé, marqueté de chaque côté de taches noires irrégulières ; le dessous est varié de noir, de blanc et de bleuâtre. Cette couleuvre se plaît dans les lieux humides ; elle fréquente les eaux dormantes, où elle nage habilement pour saisir de petits poissons, des insectes aquatiques, des têtards. Pour ce motif, elle a les noms de serpent d’eau et de serpent nageur.

Elle dépose communément ses œufs dans les couches de fumier, favorables à l’éclosion par leur chaleur naturelle. Ces œufs sont en ovale allongé, à coque flasque semblable à du parchemin mouillé. Leur grosseur est celle des œufs de pic. Ils sont agglutinés en chapelet par une humeur visqueuse. En remuant les tas de fumier, les personnes de la campagne ont fréquemment occasion de trouver sous leurs fourches ces œufs à coque molle, dont l’origine leur est inconnue et d’où, à leur grande stupéfaction, il sort de jeunes serpents. Elles prétendent que ce sont des œufs de coq, œufs hors nature, entachés de sorcellerie, procréant des couleuvres au lieu de poulets. Difficilement on leur ôterait de la tête cette folle idée. Quant à vous, mes enfants, s’il vous arrive jamais d’entendre parler d’œufs pondus par les coqs dans les couches de fumier et produisant des serpents, rappelez-vous que ce sont tout simplement des œufs de la couleuvre à collier.

Méfiez-vous encore d’un autre conte qui circule dans nos villages. La même couleuvre, à ce que l’on dit, partagerait avec quelques autres serpents l’inclination à s’introduire par la bouche dans le corps des gens dormant sur l’herbe fraîche. Pour débarrasser le patient de cet hôte incommode, il faudrait attirer le serpent dehors par l’odeur du lait chaud. Ce sont là pures niaiseries ; il ne peut prendre fantaisie à aucun animal d’aller se réfugier dans notre estomac, où il serait digéré, réduit en bouillie, comme l’est une simple bouchée de pain.

La couleuvre commune, ou couleuvre verte et jaune, habite de préférence les lieux boisés et retirés. Elle a le dos d’une couleur verdâtre très foncée, avec un grand nombre de raies composées de taches jaunâtres de diverses figures, les unes allongées, les autres en losange et plus grandes vers les côtés que sur le milieu du dos. Le ventre est jaunâtre. Chacune des grandes plaques qui le couvrent est bordée d’une très petite ligne noire et ornée d’un point noir à l’un et l’autre bout.

La couleuvre lisse ressemble beaucoup à la couleuvre à collier, dont elle diffère surtout par les écailles, qui sont unies, lisses, tandis que les écailles de la seconde sont relevées d’une fine arête au milieu. Le dos est bleuâtre, mêlé de roux, et orné de deux rangs de petites taches noirâtres. La pointe de chaque écaille est brune. Les plaques qui revêtent le dessous du corps sont très polies, luisantes, un peu transparentes, blanchâtres avec des taches rousses. Cette espèce se trouve communément dans les vallons ombragés.

La couleuvre vipérine a quelque ressemblance avec la vipère par sa forme un peu moins élancée que celle desOrvet.
Orvet.
autres couleuvres, et surtout par la série de taches noires formant un zigzag le long de son dos gris-brun. Chaque flanc présente une série de taches plus petites en forme d’œil irrégulier ; le dessous est tacheté, en damier, de noir et de gris. Les écailles du dos ont une légère crête au milieu. Malgré son nom menaçant de vipérine, cette couleuvre n’a rien du venin de la vipère ; elle est absolument inoffensive, fréquente les lieux humides, le bord des mares, tandis que la vipère habite les endroits secs et rocailleux.

Dans le midi de la France, on trouve la couleuvre à quatre raies, qui atteint près de deux mètres de longueur. C’est le plus grand des serpents de l’Europe. Elle est fauve sur le dos, avec quatre lignes brunes longitudinales. Elle se tient dans les broussailles des collines sèches.

On rencontre communément dans les prairies ou même dans les foins coupés un petit serpent qui par sa structure s’éloigne des couleuvres. On le nomme orvet. La tête est petite et sans étranglement au cou ; d’autre part, la queue est obtuse, de sorte que les deux extrémités du corps ont à peu près même forme et nous laissent un moment indécis pour dire où se trouve la tête. L’orvet est revêtu d’écailles très lisses et luisantes. Le dos est jaune argenté, et parcouru d’un bout à l’autre par trois filets noirs, qui se changent avec l’âge en séries de points et finissent même par disparaître. Le ventre est noirâtre. Quand on le tracasse, l’orvet se contracte avec force, se raidit et devient presque aussi cassant que la queue des lézards.

On a fait à ce petit serpent une bien mauvaise réputation ; on le dit malfaisant par son venin, par son contact, par sonPattes du lézard.
Patte antérieure et patte postérieure du lézard.
regard même. Cette réputation n’est en rien méritée. L’orvet est bien le plus inoffensif des reptiles ; il n’essaye pas même de mordre pour sa défense ; il se contente de se raidir et de prendre la rigidité d’une baguette de bois.

Il vit surtout de scarabées et de vers de terre.

Concluons maintenant. Les vipères à part, aucun de nos serpents n’est venimeux, aucun ne peut nous nuire, aucun ne peut nous mordre d’une façon sérieuse. Les couleuvres ne nous font aucun tort ; au contraire, elles nous rendent service en détruisant une foule d’insectes et de petits rongeurs. Surmontons alors une répugnance, une haine sans motifs, et laissons vivre en paix ces auxiliaires.

Respect également aux lézards, agiles chasseurs d’insectes, et même de petit gibier à poil de l’ordre des rongeurs. Qui ne connaît le petit lézard gris, ami des murailles ensoleillées ? Il guette les mouches en passant de plaisir sa fine langue entre les lèvres, il furette d’un trou à l’autre pour happer tout Lézard vert et lézard gris.
Lézard vert et lézard gris.
insecte qui passe. C’est le protecteur des espaliers. « Lorsque, dans un beau jour de printemps, le soleil éclaire vivement un gazon en pente ou une muraille qui augmente la chaleur en la réfléchissant, on le voit s’étendre sur ce mur ou sur l’herbe nouvelle avec une espèce de volupté. Il se pénètre avec délices de cette chaleur bienfaisante ; il marque son plaisir par de molles ondulations de sa queue déliée ; il fait briller ses yeux vifs et animés ; il se précipite comme un trait pour saisir une petite proie, ou pour trouver un abri plus commode. Bien loin de s’enfuir à l’approche de l’homme, il paraît le regarder avec complaisance ; mais au moindre bruit qui l’effraye, à la chute seule d’une feuille, il se roule, tombe et demeure pendant quelques instants comme étourdi par sa chute ; ou bien il s’élance, disparaît, se trouble, revient, se cache de nouveau, reparaît encore, décrit en un instant plusieurs circuits tortueux que l’œil a de la peine à suivre, se replie plusieurs fois sur lui-même et se retire enfin dans quelque asile jusqu’à ce que sa crainte soit dissipée. Utile autant que gracieux, le petit lézard gris se nourrit de mouches, de grillons, de sauterelles, de vers de terre, de presque tous les insectes qui détruisent nos fruits et nos grains ; aussi serait-il avantageux que l’espèce en fût plus multipliée. À mesure que le nombre des lézards gris s’accroîtrait, nous verrions diminuer les ennemis de nos jardins.

Le lézard vert, si fréquent partout, dans les haies, sur la lisière des bois, dans les fourrés herbus, atteint trois décimètres de longueur. La peau du dos est une élégante broderie de perles vertes, rehaussée de points noirs et de points jaunes. Le lézard court avec agilité, il s’élance au milieu des broussailles et des feuilles sèches avec une soudaineté qui surprend toujours et cause un premier mouvement d’effroi. Il se jette au museau des chiens qui l’attaquent et les mord avec tant d’obstination, qu’il se laisse emporter et même tuer plutôt que de desserrer les dents. Sa morsure d’ailleurs n’a rien de venimeux ; elle meurtrit plus ou moins les chairs, sans introduire dans la petite plaie aucune espèce de venin. En captivité, il devient très familier, très doux, et se laisse manier avec plaisir. Sa nourriture consiste surtout en insectes.

La région des oliviers du midi de la France possède un autre lézard, plus gros, plus robuste, plus lourd et plus trapu que le vulgaire lézard vert. Les Provençaux l’appellent rassade ; les savants le nomment lézard ocellé, à cause des points noirs disposés en ocelles, c’est-à-dire en espèces de petits anneaux ou d’yeux, sur le fond vert-bleuâtre du dos. Ce lézard habite les pentes arides, exposées à toute la violence du soleil. Il se creuse un profond terrier dans les points sablonneux, d’habitude sous la corniche d’une pierre faisant saillie. Confiant dans ses fortes mâchoires, il est d’une audace qui impose. Non seulement il se jette au museau des chiens, mais encore il tient tête à l’homme et lui court sus quand il se voit traqué de trop près. Ce courage lui a valu une effrayante réputation parmi les gens de la campagne, qui le croient très dangereux, plus venimeux même que la vipère.

Or l’oncle Paul, qui connaît la rassade comme le fond de sa poche, qui en a guetté pas mal, des jours entiers, pour étudier leurs mœurs, qui leur a examiné attentivement les mâchoires pour se rendre compte de la morsure, qui s’est même laissé mordre, pour se former une complète conviction, l’oncle Paul affirme à tous que le redouté lézard ne mérite pas la noire réputation qu’on lui a faite. La rassade n’est venimeuse en aucune manière ; elle mord rudement, c’est vrai, elle tenaille la peau saisie, emporte même le morceau, mais sans empoisonner la blessure ; en somme, elle n’est guère plus à craindre que le lézard vert ordinaire. Sa nourriture consiste en scarabées, en sauterelles, en petits rats des champs ; aussi, malgré la frayeur qu’il inspire, je m’empresse de classer le lézard ocellé au nombre des auxiliaires.