Charles Delagrave (p. 144-147).

XXIV

LES GRIMPEREAUX. — LA HUPPE

Paul. — Je viens de vous parler des pics et de la sittelle, mangeurs d’insectes dont le bec est solidement façonné en ciseau pour entamer l’arbre et extraire les vers engagés dans le bois. À la suite des pics j’ai mis le torcol, qui ne pioche pas du bec les vieux troncs d’arbre, mais qui sait, comme les premiers, tendre la langue sur la voie des fourmis pour les engluer au passage. Voici maintenant d’autres consommateurs d’insectes, chargés d’un travail moins pénible, consistant à cueillir une à une, sans effraction, toute bestiole réfugiée au fond des moindres fissures. Pour ce genre de chasse, le bec s’allonge, se recourbe, s’effile.

Comme leur nom l’indique, les grimpereaux sont d’habiles grimpeurs. Leur bec est comprimé sur les côtés pour mieux pénétrer dans les fentes de l’écorce, grêle, fléchi en arc et finement pointu. Leurs pieds ont trois doigts en avant et un seul en arrière, plus fort. Nous avons deux grimpereaux en France ; la queue de l’un possède quelques plumes longues et raides sur lesquelles l’oiseau prend appui dans ses ascensions, à la manière des pics ; la queue de l’autre n’a pas cet appareil d’escalade.

Le grimpereau familier est un tout petit oiseau à plumage blanchâtre, tacheté de brun en dessus, teint de roux au croupion et sur la queue. Sa vie est des plus laborieuses. Il fréquente les bois, les vergers, les arbres de nos promenades publiques, toujours occupé à circuler rapidement dans tous les sens autour des troncs pour insinuer son bec effilé dans les fentes des écorces et saisir les moucherons, les punaises, les chenilles et les cocons de petits papillons. Il descend leGrimpereau.
Grimpereau.
long des arbres avec la même rapidité qu’il monte, ce que ne peuvent faire les pics, dont l’évolution est toujours ascendante, soit en ligne droite, soit en spirale. Il s’élève en voltigeant par petits bonds et s’aide de la queue appuyée contre l’arbre ; arrivé à l’extrémité du tronc, il en descend précipitamment, pour recommencer ses recherches sur l’arbre voisin. Il s’encourage, à chacun de ses mouvements, par une note aiguë et flûtée. La nuit venue, il se retire dans quelque tronc d’arbre. C’est là aussi qu’il fait son nid, composé d’herbes fines et de brins de mousse liés avec des fils de toile d’araignée. La ponte est de cinq à sept œufs d’un blanc pur et mouchetés de taches rousses.

Le grimpereau de muraille porte encore le nom d’échelette. Il grimpe le long des rochers à pic, des remparts et des vieilles murailles ; il saisit dans les interstices des pierres divers insectes, des larves, des araignées, et surtout leurs paquets d’œufs. Il se cramponne avec ses ongles, qui sont très grands, sur les surfaces verticales explorées, sans faire usage de la queue pour point d’appui. Cet oiseau, de la taille d’une alouette, est d’une rare élégance de costume. SonHuppe.
Huppe.
plumage est d’un cendré clair, avec du rouge vif, du noir et du blanc pur aux ailes. La gorge est noire, ainsi que la queue ; celle-ci est en outre bordée de blanc à l’extrémité. La richesse de sa coloration et l’habitude qu’il a de stationner au vol devant les rochers qu’il explore, à la manière des papillons qui se soutiennent immobiles sur leurs ailes pendant qu’ils puisent avec leur trompe le suc des fleurs, lui a valu le nom expressif de papillon des rochers. Il habite les Alpes, les Pyrénées et le Jura. En hiver, il visite les vieux édifices de nos villes.

La huppe est avant tout remarquable par la double rangée de longues plumes rousses, bordées de noir et de blanc, qui, au gré de l’oiseau, se couchent en arrière ou se dressent sur la tête et s’étalent en une élégante crête. Le reste du plumage est d’un roux vineux, excepté la queue et les ailes, qui sont noires. Les ailes sont en outre ornées de bandes transversales blanches.

La huppe est de la grosseur d’une tourterelle. Elle vit solitaire, se plaît à terre et perche rarement, si ce n’est sur les branches inférieures des arbres. Ses lieux de prédilection sont les prairies humides, qu’elle parcourt d’un pas grave, en déployant de temps à autre sa belle crête, soit de satisfaction pour avoir trouvé un morceau qui lui plaît, soit de surprise pour la moindre alerte, car elle est très craintive. De son long bec elle fouille le sol pour en tirer des vermisseaux, des scarabées, des courtilières ; ou bien elle cueille les fourmis avec sa langue visqueuse. Repue, elle va à l’écart digérer à l’aise sur quelque basse branche. Au temps de la pariade, elle dit : pou, pou ; de là vient sans doute le nom de puput, qu’on lui donne vulgairement.

On l’appelle encore coq puant, à cause de l’infecte malpropreté de son nid. La huppe, de parure si élégante, n’est pas bien zélée pour la tenue de son logis, situé tout au fond d’un tronc d’arbre carié. Elle enduit la cavité d’un mortier fétide composé de glaise et de bouse, et dispose par-dessus une couchette de feuilles sèches et de mousses. Ce nid profond, de curage difficile, exigerait d’être journellement nettoyé des immondices des jeunes. La huppe n’en fait rien ; elle laisse l’ordure s’accumuler jusqu’à former un rempart tout autour du nid. Ce système de retranchement excrémentiel peut être une excellente mesure contre le dénicheur, qui n’oserait plonger la main dans cette infection, aussi je ne veux pas trop blâmer l’oiseau de sa puante manière de bâtir.

La huppe ne reste chez nous que la belle saison. Vers le mois de septembre, elle traverse la Méditerranée et va passer l’hiver sous le ciel plus chaud de l’Afrique.