Charles Delagrave (p. 113-118).
XIX. — La crécerelle. — Le milan. — Les buses

XIX

LA CRÉCERELLE. — LE MILAN. — LES BUSES

Paul. — La crécerelle ou émouchet appartient au genre faucon, comme l’atteste la fine dent placée de chaque côté de la pointe du bec. C’est un assez bel oiseau, de la taille d’un pigeon, roux et lâcheté de noir. La queue, barrée de noir, a l’extrémité blanche. Le bec est bleu, les pattes sont jaunes. La crécerelle est l’oiseau de proie le plus répandu et le plus fréquent au voisinage des habitations. Elle se complaît sur les vieux châteaux, les hautes tours, les clochers. On la voit voler infatigable autour de ces édifices avec un cri perçant pli, pli, pli, pri, pri, pri, qu’elle jette pour effrayer les moineaux établis dans les trous de muraille et les saisir au vol. Elle plume soigneusement les petits oiseaux capturés avant de les manger ; mais elle a un autre genre de proie qui lui donne moins de peine : c’est la souris, qu’elle va saisir jusque dans les greniers ouverts ; c’est le mulot gras et savoureux, qu’elle épie de haut en faisant le Saint-Esprit, c’est-à-dire en se maintenant immobile au même point de l’air, la queue et les ailes gracieusement déployées. Que fera-t-elle de sa capture ? Va-t-elle l’écorcher par mesure de propreté, comme elle plume le moineau ? Non, la souris et le mulot sont morceaux friands dont la crécerelle veut profiter jusqu’à la dernière goutte de suc. Le rongeur est avalé tel quel, tout entier s’il est petit, par quartiers s’il est trop gros. La digestion faite, la peau et les os sont rejetés par le bec, roulés en pelotes, à la mode des hiboux.

La crécerelle niche dans les vieilles tours, les masures, les creux de rocher. Son nid, fait de bûchettes et de racines, contient quatre ou cinq œufs couleur de rouille, marbrés de raies brunes.

Le milan se distingue de tous les autres oiseaux de proie par sa queue large et fourchue, ses ailes très longues, ses doigts et ses ongles peu robustes, son bec trop faible pour sa taille, supérieure à celle du faucon. Ce défaut d’armes convenables en fait un oiseau poltron à l’excès, que le moindre danger alarme, qu’une simple corneille met en fuite.

Pressé par la faim, il se risque cependant au voisinage des colombiers et des basses-cours pour saisir les pigeonneaux et les poussins. Heureusement la poule, si elle a le temps de rassembler sa couvée sous ses ailes, l’intimide par sa seule colère. À défaut de volaille, le maraudeur, exécration des ménagères de la campagne, attaque les reptiles, les rats, les mulots, les campagnols. Au besoin même, il s’abat sur la charogne, le mouton crevé, le poisson pourri.

Déployées, les ailes du milan mesurent plus d’un mètre et demi. Rien d’admirable comme le vol de cet oiseau. Lorsqu’il décrit ses longs circuits dans l’immensité de l’air, on dirait qu’il nage, qu’il glisse mollement ; puis, tout à coup, il arrêteMilan.
Milan.
son essor et reste suspendu à la même place des quarts d’heure durant, soutenu par une invisible trépidation d’ailes.

Le milan est roux foncé sur le dos, couleur de rouille à la poitrine et au ventre, avec la tête blanchâtre, et les grosses plumes des ailes noires. Son cri ressemble au miaulement du chat. Il construit son nid sur les grands arbres, plus souvent encore dans le creux d’un rocher. Ses œufs, ordinairement au nombre de trois, sont d’un blanc virant au jaune sale, et mouchetés d’un petit nombre de taches irrégulières brunes.

Les busards ont pour signe caractéristique une collerette demi-circulaire de fines plumes tassées, qui s’étend de chaque côté de la face, depuis le bec jusqu’à l’oreille, et ressemble assez bien à l’encadrement des yeux de la chouette. Par la poitrine évidée, la jambe haute, l’aile longue, la queue plus longue encore, ils ont quelque chose de la physionomie et de l’allure des faucons ; par leur grosse tête et les collerettes de la face, ils se rapprochent des rapaces nocturnes. Les busards fréquentent les marais, les rives des eaux stagnantes, où ils s’embusquent dans les joncs, pour saisir les petits rongeurs, les reptiles et les insectes qui passent à leur portée. La ferme n’a rien à leur reprocher : pigeonneaux, poulets, canetons, sont respectés ; elle les félicite au contraire de leur goût prononcé pour les mulots. Malheureusement le chasseur les accuse de prélever une forte dîme sur le gibier, notamment sur les poules d’eau, et de se laisser même tenter par le jeune lièvre et le petit lapin. Il faut vous dire que la belette, petit carnassier aux appétits des plus sanguinaires, s’introduit dans les garennes pour saisir le levraut et le lapereau, qu’elle saigne au cou pour en boire le sang. Le cadavre est ensuite abandonné derrière quelque buisson. Le busard est au courant de ses assassinats ; il inspecte d’un vol paisible les alentours desBelette.
Belette.
garennes dans les bois, pour enlever les corps morts et faire curée des rebuts de la belette. Qu’il se trompe parfois et prenne pour mort un lapin bel et bien vivant, je n’oserai le nier. Après tout, sans trop me faire prier, je lui pardonne, et, en considération de sa guerre aux mulots, je serais assez d’avis de le décorer du titre d’auxiliaire.

Si l’hésitation est permise à l’égard des busards, elle ne l’est plus au sujet des buses. Voilà certes des auxiliaires de haut mérite, grands mangeurs de mulots et de campagnols, grands destructeurs de taupes, qu’il importe de maintenir dans d’étroites limites. Les buses ont le bec court, large, courbé dès sa base ; les ailes très longues, mais obtuses, atteignant presque l’extrémité de la queue ; les pattes fortes, et l’intervalle entre l’œil et les narines hérissé de poils.

Les buses sont amies du repos, nonchalantes, ou plutôt douées d’une grande patience d’immobilité, condition de succès pour leur chasse quand elles guettent le mulot au sortir du terrier. Des heures durant, s’il le faut, sans le moindre mouvement, sans le plus léger signe d’impatience, la buse tient l’affût ; on la dirait prise de sommeil. Puis soudain, l’oiseau pioche le sol à coups de bec et déchire le gazon de ses fortes pattes. Une taupe éventrée est amenée au jour, un mulot est pris, aussitôt avalé. Or, savez-vous la réputation qu’a value à la buse cette longue pose immobile, qui lui est indispensable pour déjouer la finesse d’ouïe de la taupe et du rongeur ? La réputation d’oiseau stupide, réputation consacrée pour le langage. Nous disons de quelqu’un très borné d’intelligence : Sot comme une buse. Voici revenir le travers d’esprit qui nous porte à honnir les espèces qui nous viennent en aide et à glorifier celles qui vivent à nos dépens. Nous tournons en bêtise les qualités de la buse, qui respecte nos basses-cours et nous délivre des rongeurs ; nous appelons courage, noblesse, magnanimité, la fureur de carnage de l’aigle ravisseur d’agneaux, et du faucon voleur de poulets.

La buse commune est un grand oiseau brun, à gorge blanchâtre. Les plumes du ventre sont ondées de petites lignes alternativement brunes et blanches ; la queue est traversée par neuf ou dix bandes obscures. Le bec est blanchâtre à la base, noir à la pointe. Les yeux et les pieds sont jaunes. Cette espèce construit son nid sur les arbres élevés. Elle le compose de bûchettes entrelacées et en garnit l’intérieur d’un matelas de laine et de crin. La ponte est de trois œufs au plus, blanchâtres et mouchetés de taches irrégulières d’un jaune sale. C’est la buse commune qui s’est particulièrement attiré la réputation d’oiseau stupide, par la paresse de son vol et sa patience à l’affut. Son lieu d’observation est d’habitude une motte élevée. Des observateurs qui font étudiée dans ses manières de vivre portent à seize le nombre de souris qu’elle consomme par jour en moyenne, ce qui fait près de six mille en un an.

Louis. — Voilà un oiseau qui serait précieux au voisinage des habitations, si l’on pouvait l’apprivoiser.

Paul. — Rien n’empêche de le tenter ; la buse est d’un caractère assez accommodant. D’autres observateurs ont étudié ses chasses aux mulots ; ils estiment qu’elle en mange près de quatre mille par an. Jugez d’après ce nombre quelles légions de petits rongeurs une compagnie de buses peut détruire dans un canton. À côté de l’éloge, ne dissimulons pas le blâme. Je sais que la buse ne se gêne pas, quand une belle occasion se présente, pour achever un levraut blessé ; je sais aussi qu’en temps de neige, pressée par la faim, elle enlève le petit poulet qui s’émancipe hors de la basse-cour. Mais que sont ces rares larcins en comparaison des milliers de rongeurs de toute espèce dont elle purge nos champs ! En quelque saison que l’on ouvre le jabot d’une buse, on est certain d’y trouver par douzaines, souris, mulots et campagnols. Si j’avais un champ ravagé par ces rongeurs, je m’empresserais d’y établir quelques morceaux de tronc d’arbre, pour servir de juchoirs et de points d’observation aux buses dans leurs patientes chasses.

La buse bondrée ou tout simplement la bondrée est encore un oiseau fort utile, qui se nourrit de larves, de chenilles, d’insectes, et particulièrement de guêpes.

Émile. — De ces guêpes qui font tant de mal quand elles piquent ?

Paul. — Oui, mon ami, la bondrée est friande des guêpes, dont la piqûre est si douloureuse ; elle les avale sans nul souci de leur aiguillon, comme le hérisson mange la vipère sans se préoccuper de ses crochets venimeux. Elle assaille leurs nids à coups de bec pour extraire les nymphes des cellules, elles apporter, tendres et grasses, à ses petits.

La bondrée est un peu moindre que la buse commune. Son dos est brun ; la gorge est d’un blanc jaunâtre, avec des lignes brunes ; la poitrine et le ventre blancs et mouchetés de taches obscures en forme de cœur. La queue est traversée par trois larges bandes sombres. Le bec est noir. Enfin la tête du vieux mâle est d’un gris bleu. La bondrée niche dans les bois, sur les arbres élevés. Ses œufs sont assez petits, d’un blanc jaunâtre, marqués de grandes taches brunes, parfois si nombreuses que le fond s’aperçoit à peine.

La buse pattue a les pieds revêtus de longues plumes, comme certaines races de pigeons portant la même dénomination. Elle fréquente les bords des rivières, les plaines incultes, les bois, et vit de mulots, de taupes, de reptiles, au besoin d’insectes.

Terminons là notre conversation sur les oiseaux de proie. Je vous ai fait connaître les principaux rapaces, tant diurnes que nocturnes ; je vous ai dit leurs mœurs, leur nourriture, les services qu’ils nous rendent ou les dommages qu’ils nous font. C’est maintenant à vous de compléter ces trop courtes notions par l’observation des faits qui journellement se passent sous vos yeux. Ne dédaignez pas de donner un coup d’œil attentif à la buse qui, juchée sur une motte, attend patiemment le mulot ; à la crécerelle qui vole en criant autour du clocher et fond tantôt sur la souris, tantôt sur le moineau ; au milan qui plane immobile dans le bleu du ciel ; vous trouverez dans les traits de mœurs recueillis par vous-mêmes d’abord la satisfaction de l’esprit, toujours avide de savoir, et, par surcroît, des renseignements très utiles aux intérêts de l’agriculture.

Jules. — Il me semble, mon oncle, que vous avez oublié les oiseaux de proie les plus communs, les corbeaux.

Paul. — Les corbeaux ne sont pas des oiseaux de proie ; ils n’ont pas le bec crochu, les serres prenantes, les ongles acérés et recourbés des oiseaux faits pour vivre de rapine. Je vous en parlerai demain.