Librairie Hachette (p. 250-252).


épilogue


Je me souviendrai toujours de ce matin.

Nous séjournions dans le chalet montagnard. Je me levai quand la maisonnée dormait encore et tout de suite, j’allai voir le jardin qui depuis quelque temps me passionnait. Les plantes martiennes croissaient abondamment, de-ci, de-là mêlées à des plantes alpestres. Elles fournissaient déjà une part d’alimentation à Grâce et au Chef Implicite. Ils les mangeaient avec plaisir mais sans préférence sur les mets terrestres auxquels ils s’étaient parfaitement adaptés.

Une dizaine de bêtes martiennes circulaient près de la ville. Jean les avait parfaitement apprivoisées et non seulement elles ne montraient aucune tendance à fuir, mais, assez craintives, elles attendaient l’éveil des hôtes pour aller paître à distance. Deux d’entre elles me suivaient dans ma promenade matinale ; la première, de la taille d’un chat, était bleu et or avec une gueule en tire-bouchon et des pattes en hélices. Elle exécutait en marchant de singuliers soubresauts comme si les pattes se détendaient à la manière de ressorts. L’autre, sinueuse comme une belette, était vêtue d’amarante sur le dos, de rose sur le ventre avec des filets émeraude ; ses pattes s’étalaient presque horizontalement, terminées en spatules et la faisaient progresser moitié rampant, moitié bondissant.

Toutes deux avaient six grands yeux dont la beauté dépassait de loin ceux de tous les animaux terrestres, de la gazelle au tigre, six foyers où passaient toutes les couleurs et toutes les nuances du spectre solaire…

Comme je revenais du fond du jardin, je vis accourir Grâce ; elle tenait son enfant dans les bras : signe que sa croissance embryonnaire était terminée. Et déjà les yeux du petit être étaient magnifiques.

« Je suis heureuse, dit-elle… Je le voue à la Terre, sa patrie… et à vous qui m’avez donné le désir de le voir naître ! »

Je la regardais attendri et il me semblait vraiment que, si différente pourtant, sa face avait pris un peu de la forme humaine.

« C’est un Martien… je l’ai voulu ainsi ! »

Violaine parut sur le seuil avec Jean.

« Le premier Martien terrestre ! s’exclama Jean… Nous lui chercherons… un complément ! »

C’était son idée de fonder une petite colonie martienne, inoffensive par définition…

Violaine considérait attentivement le nouveau-né.

« Il portera bonheur au nôtre ! » fit-elle.

Elle aussi allait être mère :

« Nous retournerons dans Mars ! »

Un vrombissement nous fit tourner la tête et bientôt le vortex d’Antoine se posa sur le terre-plein…

Il regarda l’enfant martien avec recueillement, puis il murmura :

« S’il avait plus tard une compagne, ce pourrait être le commencement d’une colonie martienne…

— Mais, dit Jean, ou nous le ramènerons définitivement sur Mars, ou nous lui chercherons une compagne…

— Ce sera peut-être inoffensif, dit Antoine, mais enfin, ce pourrait être aussi un péril ! La Terre a singulièrement ranimé Grâce et le Chef Implicite ! »

Ces paroles ne pouvaient rien contre notre quiétude. Une atmosphère de douceur nous enveloppait. Les paysages de Mars se mêlaient aux sites de la montagne estivale, au conclave des cimes d’argent, cependant que, de la profondeur, les forêts de sapin montaient, rampaient sur les côtes, après avoir exterminé les chênes et les hêtres…