Briard (Poulet-Malassis) (p. 20-39).

IL Y A DES REVENANTS.




DEUXIÈME FRAGMENT.




Dans la même chambre dévolue à Trottignac lorsqu’il arriva, madame Durut introduit Zéphirine, cette Longpré[1], cette prétendue morte dont l’effigie est l’idole de l’extravagant baronet.


ZÉPHIRINE, MADAME DURUT.

La Durut. — C’est ici, ma chère, que vous pourrez vous remettre, en attendant dans un plein repos le succès de nos mystérieuses menées. Dans ce moment, on avertit la petite comtesse. Nous allons avoir avec elle un entretien bien nécessaire ; après quoi…

Zéphirine. — Après quoi, ma chère dame, il faudra penser que je garde l’heure, que mon neuvième mois expire dans deux jours, à ce que je crois, et que d’un moment à l’autre je puis être surprise par la nécessité d’accoucher. Quel contre-temps ! Que je suis malheureuse ! (Des larmes.)

La Durut. — J’avoue qu’il eût été plus à votre avantage de n’avoir pas ce paquet à mettre bas. Cependant ne vous attristez point ;… le pis aller serait que vous fissiez ici vos couches en secret et que l’exécution de nos bizarres projets fût remise à l’époque de votre rétablissement. (On entend marcher.) Mais à ces pas légers et prestes, je reconnais la petite fée… (Durut ouvre la porte et fait un pas au-devant de madame de Mottenfeu.)


LES MÊMES, LA COMTESSE.

La Comtesse (encore dans le corridor). — Eh bien ! la belle fauvette est donc enfin dans notre cage ? (Rentrant et voyant Zéphirine.) Ah ! (Étonnée.) c’est la perfection ! (Elle se jette au cou de Zéphirine et lui donne un baiser du genre le plus polisson.)

Zéphirine. — On m’a prévenue, madame la comtesse, des bontés infinies que, sans me connaître, vous vouliez bien vous proposer d’avoir pour moi. Ma reconnaissance…

La Comtesse (gaiement). — Quelle folie ! C’est à nous, au contraire, à vous remercier de nous avoir fourni l’étoffe d’une aussi plaisante récréation. Va, va, friponne ! (Elle lui prend amoureusement le menton.) pour mon compte, je prévois que tu m’auras bientôt et qu’à mon tour je t’aurai des obligations bien plus essentielles… Quel œil ! Durut, quelle peau ! (Elle veut fourrager.)

La Durut. — Allons d’abord au solide ; le temps presse furieusement. Il faut vous dire, future arbitre de nos destinées, que cette belle enfant en porte un tout à fait mûr et qui peut s’impatienter au point de ne pas nous laisser le temps de lever la toile pour notre grand spectacle. Que pensez-vous de cette conjoncture ?

La Comtesse. — Ah ! diable !…

La Durut. — J’imaginais…

La Comtesse (interrompt). — Un moment… (Elle sourit.) J’y suis. Oui, quand la charmante l’aurait fait exprès… L’épisode est unique !…

La Durut. — Quoi ! vous entrevoyez…

La Comtesse. — Tout est-il prêt ?

La Durut. — Sans doute.

La Comtesse. — L’antre ?

La Durut. — Oui.

La Comtesse. — Le bûcher ?

La Durut. — Le bûcher, les torches, les foudres.

La Comtesse. — Tout ce que j’ai prescrit, en un mot ?

La Durut. — Tout, tout, vous dis-je. Il ne s’agirait plus que de savoir si vous avez, de votre côté, suffisamment préparé notre homme…

La Comtesse. — Sois sans inquiétude à cet égard. Dès le miracle de l’orange[2], il n’y avait plus moyen qu’il doutât de la toute-puissance de mes enchantements. Depuis lors, son égarement n’a cessé de s’accroître. Sa neuvaine, comme tu sais, s’achève après-demain. Ce n’a pas été sans peine, dès aujourd’hui, qu’il a fourni l’émission de ses principes de vie, dont il est persuadé que j’ai besoin pour la composition de l’élixir (en regardant Zéphirine) qui doit vous ranimer. Le régime dont nous avons fait vivre l’heureuse dupe, l’agitation fatigante dont nous avons excédé son sommeil, l’ébranlement perpétuel où nous avons entretenu son ardente imagination, l’état de faiblesse enfin où le jetteront neuf contributions extraites par cette main habile (elle fait en même temps un geste plein de grâce, de nature à ne laisser aucun doute sur l’habileté dont elle se flatte) : tout cela nous répond du degré de crédulité fanatique où nous devons enfin amener notre vaporeux… Le grand coup de théâtre achèvera de nous le soumettre. Reste à savoir si la dernière secousse ne sera peut-être pas trop forte et ne lui fera pas perdre si bien l’esprit, que peut-être il ne soit plus possible de le remettre au courant des fous de l’espèce commune…

Zéphirine (avec émotion). — Vous m’alarmez, madame. Se pourrait-il qu’en vue de rendre moins malheureuse une créature… hélas ! trop coupable, vous jouassiez à faire à jamais le malheur d’un homme estimable et de si bonne foi ? Ah ! bien plutôt renonçons…

La Durut (interrompant). — Bien cela ; j’aime ce sentiment… (Elle tend amicalement la main à Zéphirine.) Mais ne craignez rien, notre amie, le bonheur ne tue jamais… et le cours fatal de l’existence journalière n’apporte que trop de remèdes à la précieuse folie d’un mortel insoutenablement heureux. Sans scrupule laissez-nous faire, et ne songez qu’à jouir de nos succès.

La Comtesse (à Durut). — Du moins il paraît que nous ne servons pas une vile créature et que nous n’aurons pas fait au baronet un funeste présent.

La Durut. — J’allais le dire mot à mot. Ainsi voilà nos consciences fort à l’aise, Dieu soit loué !

La Comtesse. — À propos de conscience, tu me fais penser à te dire quels arrangements vient tout à l’heure de prendre de lui-même, avec moi, ce reconnaissant Harisson[3]. “ S’il est vrai, déesse, a-t-il dit en me baisant les pieds malgré moi, s’il est vrai que les esprits et les éléments vous soient soumis, comme je commence à le croire ; s’il est vrai que vous puissiez rendre à mes vœux celle… qui avait cessé de respirer, mais qui vit toujours dans mon âme, Zéphirine, dès l’instant de sa seconde vie, disposera de six mille livres sterling, qui sont maintenant à Paris entre les mains de mon banquier. J’assurerai aussi tout de suite à la plus chère moitié de moi-même cinq cents livres sterling de rente perpétuelle, sans préjudice de vivre ensemble comme par le passé. Ah ! pourquoi ma médiocre fortune ne permet-elle que d’aussi faibles sacrifices ? Mais quel monarque serait assez riche pour payer le bien qui va m’être rendu ? Quant à vous, madame,… si vous n’étiez qu’une mortelle, il ne serait pas encore en mon pouvoir de m’acquitter. Tout l’or de l’univers suffirait-il à récompenser l’être si propice qui m’aurait sauvé la vie en m’assurant une imperturbable félicité ? „

La Durut. — Voilà de superbes paroles sans doute ; mais je ne serais pas fâchée que tout cela fût dit plus uniment, en quatre ou cinq petites lignes, dont le notaire pût faire, un bon acte…

Zéphirine. — Connaissez mieux sir Harisson, madame : un mot qu’il a dit vaut un contrat. S’il l’avait oublié, le lui rappeler simplement, c’en serait assez pour qu’il s’engageât sur nouveaux frais et fît encore plus qu’il n’avait promis.

La Comtesse. — Je crois que Zéphirine a raison ; les Anglais sont assez dans ce genre.

La Durut. — À la bonne heure ; au surplus, ce n’est pas par ces beaux côtés que nos fieffés penseurs les imitent. (À Zéphirine.) C’est à vous, la belle enfant, à vous conduire si bien, après tout ceci, qu’il ne démente jamais un langage qui vous fait tant d’honneur.

Zéphirine. — Ah ! je réponds bien de ne plus perdre par ma faute un cœur… dont j’avoue que je me rendis trop peu digne. Cependant sans l’affreuse rouerie d’un perfide, d’un ingrat…

La Durut. — J’entends. Or, ce maudit cousin, ce funeste objet de votre ruineuse escapade,… c’est lui probablement qui… (Elle jette un regard expressif sur l’exhaussement du ventre de Zéphirine.)

Zéphirine (avec douleur). — Hélas, oui ! J’en meurs de honte ; un événement qui pouvait convertir les liens légers du plaisir en chaînes solides de la reconnaissance et de l’attachement devait-il au contraire corrompre notre union et me préparer mille genres d’infortunes ?

La Comtesse. — Raconte-nous le fait, mon cœur. (À Durut.) Elle est délicieuse ; j’en raffole déjà. Tout ce qui la concerne me pénètre d’intérêt. (À Zéphirine.) Nous écoutons.

Zéphirine. — Grosse à peine de cinq mois, dès que mes formes perdirent de leurs grâces et mon peu de charmes de son éclat, le vil Bricon[4] se refroidit par degrés. Bientôt il devint désobligeant, grondeur, brutal même au point de me battre ; livré au jeu, aux liqueurs fortes ; démocrate enragé, devenu l’un des piliers des clubs les plus incendiaires, ardent bravache parmi ces nouveaux soldats soi-disant citoyens, dont la moitié n’a que le courage de la férocité ; mon persécuteur enfin, après avoir dissipé le reste de nos ressources, un beau jour me laissa sans un écu, devant à tout le quartier, sur la paille en un mot…

La Comtesse. — Cette chère enfant !

Zéphirine. — J’y serais morte sans doute au moment de mes couches, sans la faveur du ciel (À madame Durut), qui vous fit apparaître l’autre jour dans mon obscur taudis… (Elle fait un mouvement pour saisir et porter à sa bouche la main de madame Durut, qui la retire vite et donne à sa protégée un baiser.)

La Comtesse (à part). — Elle me fend le cœur. Avoue, Durut, que les femmes sont bien payées pour s’attacher à ces animaux d’hommes ! (À Zéphirine.) Car tu aimais sans doute ?…

Zéphirine. — C’est tout au plus si je suis radicalement guérie d’une passion qui me livrait à mon propre mépris…

La Comtesse (la caressant). — Va, va, mon ange, nous t’apprendrons à chasser l’amour (Elle lui met la main sur le cœur.) de là. Il n’est de saison qu’en deux endroits : ici… (Lui touchant le front.) pour le gouverner habilement, et là, pour avoir du plaisir… (Elle a glissé lestement la main sous la jupe de Zéphirine et surpris le bijou de la belle qui tient une assez sotte contenance n’osant ni faire la bégueule, ni se livrer à cette étrange agacerie. La comtesse, glissant son doigt dans le sentier de la volupté, ajoute :) Promets-tu que ton marmot ne me mordra pas ?…

Mais le chocolat qui survient met fin à ce manége, sans quoi la comtesse se serait amusée dès lors à pousser la chose à bout.

On déjeune. La conversation n’ayant plus rien de fort intéressant pour le lecteur, on lui en fait grâce. La seule circonstance un peu remarquable, c’est que la petite comtesse, à travers le détail qu’elle a fait à Zéphirine des mesures qu’on a prises pour avancer les choses au point où elles sont, tire de sa poche une petite fiole où, dans une partie d’eau de Cologne, erre le tribut qu’elle a déjà fait éjaculer de chez le superstitieux Anglais.

La Comtesse. — Si j’ai pu lui persuader que cela m’était nécessaire pour rendre les esprits vitaux à sa chère momie, qu’en coûte-t-il de plus d’assurer que d’un excès de soin pris pour la plus grande sûreté de l’opération il résulte, par un second miracle, la formation hâtée d’une nouvelle créature dans l’utérus surabondamment vivifié ?

La Durut (s’extasiant). — L’idée seule est d’une sorcière de premier ordre ! Oui, le diable m’emporte ! ou vous l’êtes tout de bon.

La Comtesse. — Nous n’en sommes pas encore au plus intéressant des diableries. (D’un ton comique.) Je veux que l’assemblée frémisse, que les cheveux dressent sur sa tête, même à travers la tempête du plaisir…

La Durut (se levant). — Çà ! tandis que vous allez apprendre à cette belle enfant le rôle que vous lui destinez, je vais, moi, désigner l’ordre général et donner pour après-demain rendez-vous aux coopérateurs. (Elle a déjà fait quelques pas.)

La Comtesse. — Un moment, notre féale. Il est bon de te rappeler que si mon estomac a déjeuné il n’en est pas de même de certain petit écureuil[5] qui n’est de rien dans mes vastes projets et n’est du tout au fait de demeurer à jeun si tard que l’heure actuelle.

La Durut. — Ah ! je comprends.

La Comtesse. — Va donc, et s’il y a par là-bas quelqu’un de convenable, envoie-le-moi tout de suite. Point de marmots ; du solide, entends-tu ?

La Durut. — J’ai votre affaire, je crois. Pourvu qu’on ne soit pas déjà loin ! Je cours.


LA COMTESSE, ZÉPHIRINE.

La Comtesse (avec un baiser). — Tu permettras bien, charmante, que dans le cabinet d’à côté…

Zéphirine. — Je suis au désespoir d’être apparemment la cause que madame…

La Comtesse (caressant). — Oui sans doute, tu l’es. Sans cette ronde bedaine, qu’il y aurait conscience à troubler le moins du monde dans ses derniers instants de repos, je n’aurais appelé pour ce matin personne à mon secours. J’étais accourue céans, la tête diablement montée. Tes traits enchanteurs, bien gravés dans ma vive imagination d’après ta pâle image, m’avaient d’avance inspiré le caprice le mieux conditionné. Je comptais bien t’écrèmer aussitôt que la marche de notre projet te mettrait en mon pouvoir.

À travers cette galante déclaration, les lèvres de la comtesse se sont si bien rapprochées de celles de Zéphirine que l’aimant des deux bouches les a soudain unies par un fougueux baiser. Cependant Zéphirine n’a pas décidément le goût des femmes ; mais on la désire, on l’a louée, et l’être séduisant qui répand ainsi sur elle le doux poison de la séduction est cette même femme qui lui prépare une infinité de bonheurs… Zéphirine est émue et s’enflamme d’un feu d’autant plus vif qu’il est nouveau pour elle. Ce feu, l’experte comtesse vient de l’allumer à la fois partout, ayant détourné d’abord, avec toute la délicatesse d’un respectueux amant, la triple gaze d’un fichu, en chatouillant d’un tact léger comme le pas d’une mouche les sommets irritables de deux montagnes dont le lait a converti en dureté la consistance ci-devant élastique. Plus loin c’est pis encore, car déjà ces amantes de nouvelle date ont quitté l’entour de la table du déjeuner ; machinalement on a gagné le lit ; Zéphirine, jalouse de complaire en tout à sa voluptueuse bienfaitrice, a compris qu’on la souhaitait sur cet autel de la folie ; elle a bien voulu s’y coucher. Pour lors une main qui n’avait pas encore d’occupation se donne à son tour une bien plus incendiaire besogne. La comtesse croit s’apercevoir que le trop grand jour fatigue l’œil clignotant de son divin caprice. Elle rabat donc sur leur groupe un rideau qui pare aussitôt à la fortuite incommodité. Zéphirine en devient plus hardie. Le triple badinage est plus paisiblement souffert, plus délicieusement savouré, mieux secondé enfin. La tête de la patiente est partie tout à fait ; elle n’est plus ; cet effet seul va peut-être suffire à jeter l’agente dans le même délire du plaisir.

Mais au même instant entre, sur la pointe du pied, quelqu’un orienté par deux jolis petons aperçus au bas du rideau. Cet homme, qui n’a fait aucun bruit, est soudain en pleine impertinence avec la comtesse. Celle-ci sent alors très-bien qu’on lui manque essentiellement par-dessous ce rideau qui ne sépare plus que les bustes. — Elle se fâche ? — Non, elle s’y prête. Cette aubaine ne peut l’étonner que par l’extraordinaire proportion de ce qui la travaille… Bientôt une averse des plus solides jouissances abat le zéphyr dont ses sens n’étaient qu’émoustillés pendant sa gentille escarmouche. On pourrait croire que la grosse faim de l’écureuil est déjà satisfaite. Non pas : il est, comme on sait, un furieux mangeur. Le premier morceau, très-fort, est déjà avalé, sans que la pâmée Zéphirine se soit doutée de rien ; mais pendant qu’on recommence, comme il est bon de savoir quel est le recommandable mortel si libéral d’une délectable ambroisie, la petite comtesse écarte le rideau, sans se dégager retourne son buste vers le vigoureux acteur, avec toute la souplesse d’une taille mignonne, et voit… un gros réjoui, montrant par son sourire un râtelier égal, d’un blanc éblouissant ; une face vermeille à barbe bleue… dardant de ses grands yeux noirs les éclairs de la luxure et de la vigueur.

Cependant Zéphirine (aussi nue qu’on peut l’être avec des habits, et ayant encore des sentinelles partout) est un peu confuse, aussi bien d’avoir un témoin que d’en servir. Au reste, le premier pas est fait. Sa position lui impose tant d’égards envers la petite fée ! il en coûte si peu de s’accoutumer à des scènes dont la contemplation vaut quelquefois la moitié de la réalité !… Peu bégueule (quoique loin de l’impudence de nos Aphrodites), Zéphirine prend la chose en bonne part, recule assez vers le fond de l’alcôve pour faire beaucoup d’espace, ce qui détermine aussitôt l’intrépide comtesse à faire face, au lieu de continuer en levrette comme on a débuté.

Pour lors commence entre l’envoyé de madame Durut et la brûlante comtesse l’un des plus vifs assauts qu’ait jamais soutenus cette couche, même après avoir supporté, comme on sait, madame Durut sous le terrible Trottignac. Le fameux déjeuner du bijou d’or s’est déjà répété, coup sur coup, quatre fois, avant qu’il y ait eu un moment où l’on ait pu demander au prodigue pourvoyeur comment il se nomme. Au nom de Ribaudin, enfin prononcé avec une ronflante basse-taille, un saint respect saisit la comtesse. Quelqu’un du même nom lui fit jadis des choses si surprenantes, que se sentant dans les bras d’un individu de la famille, elle ne peut plus savoir pour combien de temps encore elle en a avant d’être quitte de cette téméraire débridée. Mons Ribaudin semble être fourré là pour la vie. Il cogne, recogne, éjacule, baise et jure ; il pille, au delà de la comtesse, les charmes découverts que les jolis doigts de la fée ont cessé d’occuper quand elle a volté. C’est maintenant une paire de larges mains qui les couvre et les agace, toutefois avec l’attention de ne point les blesser… Qui verrait après l’affaire les traces mousseuses qui souillent le bord de ce pauvre lit croirait que dix victimes ont été, coup sur coup, immolées à la même place.

Lecteur, cet athlète gigantesque, ci-devant abbé de l’ordre de Saint-Bernard et neveu d’un digne oncle dont la petite comtesse peut et doit conserver de charmants souvenirs, cet ex-moine, ce Goliath de Lampsaque, était alors capitaine de la garde nationale de Paris. Comment cet immonde avait-il pénétré dans l’hospice sacré des Aphrodites ? C’est ce que peut-être je vous dirai plus tard ; mais portons nos regards ailleurs.


  1. Zéphirine : à peine vingt et un ans ; grande et belle brune, claire, d’une extrême blancheur. Traits réguliers et piquants ; en même temps beaux yeux bleus, sourcils noirs, nés de la plus jolie forme féminine, et qui n’est ni aquilin ni en l’air. Petite bouche gracieuse, dents courtes d’un bel émail, nettes et dans un ordre admirable. On voit que, n’étant pas grosse, cette beauté doit avoir une tournure distinguée dans le demi-embonpoint. Les pieds et les mains sont étonnants par leur délicatesse et leur perfection. Motte relevée et tapissée avec luxe.
  2. Elle veut parler de cette magnifique orange qu’on se souvient sans doute que Célestine avait présentée à la comtesse. (Voyez page page 10 de ce numéro.) La prétendue sorcière, cinq jours plus tard, se promenant au jardin avec le baronet, avait mis, comme par caprice, ce fruit dans la terre d’un pot à fleur vide et avait fait semblant de lâcher par-dessus un jet d’urine, en observant de bien arrondir ses jupes alentour. En même temps, à ce pot d’excréments escamotés, Gervais, à travers d’une charmille, substituait un pot absolument pareil et que l’Anglais, qui se tenait à deux pas, le dos tourné par décence, ne pouvait manquer de prendre pour le même qu’il venait de voir. Mais pour le coup il voit de plus un jeune oranger de la plus fraîche verdure. La comtesse lui ordonne d’arracher cette faible plante. Il obéit, sous la racine quelque chose brille ;… c’est un médaillon en or. À l’ouverture, l’émerveillé protégé de la fée est frappé de la fraîche image de sa Zéphirine si chérie. En pareil cas, ne vaut-il pas mieux lâcher la bride à toute la folie d’une absurde superstition que de s’alambiquer l’esprit pour arriver enfin à se dire que tant de plaisir ne se doit qu’à un tour de main ?
  3. C’est le nom du baronet.
  4. Un proche parent de certain mauvais sujet qui brille dans le Diable au corps. — Bon sang ne peut mentir.
  5. Plaisanterie familière à la petite comtesse qu’on sait être rousse et qui n’en rougit pas.