Les Aoûterons (Verhaeren)
LES AOÛTERONS
Faucheurs, aoûterons, betteraviers,
Vous désertez vos champs familiers,
Avec de la poussière de Flandre
De train en train, de gare en gare,
Portant bissac à carreaux,
Et votre pique et votre faux
Sont jointes
À ce bagage improvisé,
Avec un gros bouchon fixé
Au delà de Quiévrain, de Reims et de Paris,
Dans la Beauce ou la Nièvre,
Vivre aux abois,
Pendant trois mois
Frustes, mais durs, lents, mais têtus, lourds, mais dispos,
Vos corps, dès le matin, s’arc-boutent et puis cognent
Le mur quotidien des compactes besognes,
Et chaque soir, quand les ombres prennent leur vol,
Vous engrangez quand même orges, seigles, froments,
Et semaine à semaine, on vous solde dûment
Par les chemins déjà connus, vers votre bourg
Et son clocher debout sur l’âpre Escaut de Flandre,
Vous regardez les gens avec des yeux changés,
Et leurs champs et leurs clos vous sont comme étrangers,
Filles et gars, femmes et vieux,
Et que la bière
Fait tout à coup jaser ceux qui ne parlent guère,
Vous déliez les liens des souvenirs captés,
Et vos gestes alors passent comme exaltés,
Lorsqu’ils montrent comment une seule machine
Avec ses larges dents, avec sa ferme échine,
Et ses arrêts et ses déclics et ses ressorts,
Pareille à quelque énorme et frêle insecte d’or,
Fauche des champs entiers, en Nièvre, en Beauce, en Somme
Mais les beaux gars vermeils, dont les mains et les bras
S’apprêtent
Dieu sait pour quelle ardente et précise conquête,
Tendent vers vous leur cœur et leur esprit dispos ;
Ils vous suivent longtemps, bien qu’ils ne soufflent mot,
Et quelques-uns d’entre eux rêvent déjà peut-être
À tout ce qu’ils feront,
Quand eux seront