Albert Méricant (p. 161-167).

XVII

Le Divin Mirage

André, près de Fiamette, se remettait au travail — un travail selon sa raison et son cœur qui l’ensoleillait d’espoir. — Il disait à sa maîtresse qu’il avait été insensé de vouloir l’oublier et qu’il comprenait bien maintenant que tout lui venait d’elle : force et courage. Ses confessions, ses aveux, ses promesses étaient coupés de baisers, de folies tendres, et, cajôleuse, elle le grondait ou s’égayait avec lui de ses imaginations.

N’avait-il pas tout pour être confiant, rassuré, libre, avec l’avenir charmant qu’elle lui ferait ?… Était-il possible de se créer des tourments, lorsqu’il n’y avait qu’à se laisser vivre, qu’à laisser couler les heures toutes limpides comme les grains d’un rosaire de cristal ?…

Et le flux ne tarissait pas de ces paroles douces qui chantent au cœur des poètes l’hymne éternel de résurrection !

Le beau roman de caresses recommença.

Toute l’occupation d’André, après son labeur, fut d’adorer Fiamette, et il eut l’illusion de l’aimer avec toute l’ardeur de la prime jeunesse. Elle n’avait plus de regards, elle ne semblait plus avoir de pensées que pour lui. Il la voyait en princesse tragique dans les flammes de ses pierreries, immobile, presque immatérielle sur l’estrade de velours pourpre, et elle n’était point seulement une femme, mais l’incarnation de son rêve. À travers les mailles de son gorgerin, il caressait les coupelles fraîches de ses seins, et, délicieusement, il mettait ses lèvres aux fossettes voluptueuses que découvrait le réseau d’or.

Souvent il l’emmenait dans son costume sidéral, pour la posséder ainsi, et les rimes lumineuses chantaient si follement dans sa tête qu’il lui semblait jongler avec des étoiles !

Il avait acheté, chez un brocanteur, une délicate soie d’aïeule, ramagée d’œillets et de roses sur un fond gris très doux, et cette étoffe avait couvert les murs de leur chambre, qu’égayaient, chaque jour, des fleurs nouvelles.

Ainsi, avec leur tendresse, ils possédaient le printemps chez eux. Leur paradis leur semblait très vaste et le monde tout petit, perdu dans les brouillards de l’éloignement. Rien autour d’eux qui ne fût eux-mêmes, nul regard hostile entre leurs regards, nulle voix discordante entre leurs voix. Le soir, lorsqu’il écrivait, elle se blottissait dans le lit, lui faisait la place chaude. La lampe versait une lumière blanche, éclairant un coin de table, un fauteuil, un bout de tapis. Le reste était dans une ombre blonde, égayée, çà et là, d’un accroc d’or sur un cadre, d’une lueur de soie, d’un reflet de cuivre.

Il se tournait vers elle, sa feuille toute mouillée d’encre à la main, et il scandait ses vers, lentement, quêtant une approbation, prêt aussi à corriger selon le sentiment de sa maîtresse :

…Et, dans ce ciel obscur où je ne voyais rien,
Je découvre, éperdu, le nid aérien
Des baisers confondus, des baisers fous, avides,

Que couve l’aile d’or de mon amour vainqueur !
Qu’importe le réveil sous les brumes livides :
J’ai caché le soleil tout entier dans mon cœur !

Le temps passait comme l’eau passe entre les doigts, ne laissant qu’une impression de douceur fluide. Le rêve poussait le rêve dans une griserie toujours renaissante, et le souvenir du bonheur succédait à l’espoir du plaisir. Nulle amertume, nulle crainte, nul souci, nul doute, nulle menace. Il suffisait donc pour être heureux de se laisser vivre en se laissant aimer ?… Comme c’était simple !

André, par le contraste de ce qu’il avait vu et deviné dans une société indigne, trouvait du charme aux moindres détails de son existence paisible.

— Vois-tu, disait-il à Fiamette, je sortirai indemne de toutes les épreuves, car je n’ai pas cessé de te chérir, et rien en moi ni autour de moi ne pourra jamais éteindre le feu sacré. Miette, pardonne à l’imprudent ?… je te jure de ne jamais revoir Chozelle. Ta patience, ta douceur ne s’exerceront pas en faveur d’un ingrat ; je sais que tu as sacrifié une fortune pour moi, — Nora m’a tout dit, — et je t’adore de m’aimer autant !

— Poète, murmurait-elle, en lui baisant les yeux, tu es sincère aujourd’hui et je suis joyeuse, mais Dieu sait où ta chimère t’emportera demain !… Tu es comme ces enfants qui construisent des palais dans le sable des plages ! Rien n’y manque, ni la vie opaline des méduses, ni le trésor nacré des coquillages, ni l’horizon ensoleillé. Les ouvriers s’installent, comme des monarques dans leur royaume, puis tout croule, balayé par le flot ! Mais je ne veux pas savoir ce que sera demain. Demain, c’est l’oubli, c’est la souffrance, c’est la mort ! Il faut jouir de l’heure présente, fermer les yeux et se boucher les oreilles. Demain, d’autres auront pris notre place et nous serons dans le passé… Étreins-moi bien, mon cher amant, et que nos âmes se lient comme nos corps pour la suprême extase !…

— Dis-moi, Miette, que je pourrai toujours compter sur toi ?

— Sans doute, fit-elle, d’une voix hésitante ; mais il ne faut pas tenter la nature, et la douleur est bien près de la faute. Si tu me quittais encore, je ne sais ce que je ferais…

— Je ne te quitterai plus.

— Même si l’on te proposait des merveilles ?…

— Non. Et puis, j’ai confiance en moi. Je travaille avec une ardeur, une liberté que j’ignorais jusqu’à ce jour. Je dois réussir, car j’ai la volonté. Si je faiblissais, tu serais là pour me soutenir avec ton amour. Crois-tu qu’il y ait autre chose dans la vie que l’amour ?… Penses-tu que ce soit aisé de se faire aimer autant que l’on aime ?… Bien des hommes meurent inassouvis d’âme, parce qu’ils n’ont pu donner ce qu’ils avaient en eux de tendresse, en échange d’une tendresse égale. Souvent un être de délicatesse et de sensibilité reste ignoré, méconnu, sort vierge de toutes les étreintes, de toutes les voluptés. Ah ! quand le hasard réunit deux caresses et deux sentiments de même valeur, il ne faut plus désirer, ni espérer autre chose sur la terre, car le bonheur n’est que la fusion de deux âmes dans un baiser !…

Et Miette, en souriant, mit son âme sur ses lèvres pour l’offrir à son ami.

Il reprit fiévreusement :

— Tu as senti qu’en moi il y avait mieux que l’artiste et le compagnon d’un jour. Si tu doutais de mon amour présent, je douterais de ton amour passé. Tu ne m’as point choisi par orgueil, donc tu ne m’abandonneras pas par égoïsme. Miette ! Miette ! songe à ce que je perdrais si tu me quittais !…

Un peu tristement, elle répondit :

— Je ne te quitterai pas… Pourquoi te tourmenter ?…

— Ah ! dit-il, je ne suis pas fait pour le bonheur, et quand le destin me donne de beaux jouets tout neufs, je les casse pour voir ce qu’il y a dedans !