Les Amours de Tristan/Sujet des plaintes d’Acante

Les Amours de TristanP. Billaine, A. Courbé (p. 157-159).


SVIET DES PLAINTES D’ACANTE.



SOVS ce voile paſtoral des Plaintes d’Acante, on a voulu deſguiſer les Amours d’vn Caualier de merite & de condition, qui ſorty d’vn pere illuſtre pour la valeur, s’eſt touſiours nourry dans l’ambition de l’imiter. Ie te diray que ſa Maiſtreſſe eſt vne des plus parfaites perſonnes du monde, & que l’on y treuue tout enſemble, vne grande naiſſance, des vertus rares & des beautez merueilleuſes : de ſorte qu’il semble qu’à l’enuy, la Nature & le Ciel ſe ſoient efforcez à qui luy feroit le plus de graces : ſa preſence eſt vn charme ineuitable aux belles ames, & les moindres de ſes actions ſont extrémement rauiſſantes. Or tu ſçais que la rigueur eſt aſſez ordinaire aux Belles, & qu’entre les plus precieux ornemens de ce Sexe, on donne le premier rang à cette honneſte ſeuerité qui met ſuperbemẽt des eſpines à l’entour des roſes. Noſtre Bergere eſt trop accomplie pour en manquer, & c’eſt le ſujet de toutes ces plaintes. Acante qui la void indifferente à tous ſes ſeruices, explique les froideurs à quelque eſpece de meſpris, apprehende que ſes deuoirs ne luy ſoient pas agreables, & qu’il ne puiſſe voir reüſſir les vœux qu’il fait pour cét himenée. Il ſe forme de ces penſées, mille matières de douleur, & ſe laiſſant emporter aux mouuements de ſon amoureux Genie, taſche par toutes ſortes d’artifices, de repreſenter ſa paſſion, & de porter inſenſiblement ſa Siluie à faire plus d’eſtat de ſes ſoins. Au reſte ie t’auertis que cét Ouurage n’eſt point fait à l’vſage de tout le monde, & que s’il y a icy de mauuais vers, ils ne ſont pas toute-fois de la Iuriſdiction des eſprits vulgaires, encore qu’il m’importe peu s’ils ſont condamnez mal à propos, par des Iuges qui ne ſeroient pas capables de les fauoriſer de bonne grace. Ie m’aſſeure que les honneſtes gens y treuueront au moins des choſes aſſez agreables pour auoüer que tous les Exilez qui ont eſcrit d’amour, depuis l’ingenieux Ouide, n’ont pas mieux employé de triſtes loiſirs.