Les Amours de Tristan/Les vains plaisirs

Les Amours de TristanP. Billaine, A. Courbé (p. 103-107).


LES VAINS PLAISIRS.

STANCES.



FILS de la nuict & du ſilence,
Qui d’vne aimable violence
Charmes les ſoucis des Humains,
Quand ſur le creſpe de tes aiſles
Tu viens de tes humides mains
Clore doucement nos prunelles :
Sommeil, entre les Immortels
Tu merites bien des Autels.

L’homme laſſé de l’exercice,
Periroit ſans ton bon office ;
C’eſt toy Sommeil qui le remets.
Et tandis que le corps repoſe,
À l’Eſprit qui ne dort iamais
Tu contes touſiours quelque choſe ;
Et dépeins encore à ſes yeux
La Mer, ma Campagne & les Cieux.

Bien que le Soleil ſoit ſous l’Onde,
Par ta grace il void tout le monde
Ainſi qu’à la clarté du iour.
Il court ſoudain toute la Terre
Et trouue mille objects d’Amour,
De chaſſe, de paix, ou de guerre,
Reſſentant ſelon tes deſirs
Des maux feints, ou de faux plaiſirs.

Par ta faueur i’ay veu Clymene
Mais plus belle & moins inhumaine
Qu’elle n’auoit iamais eſté.
Rien ne marchoit deſſus ſes traces
Pour tenir l’œil ſur ſa beauté,
Qu’Amour, la Ieuneſſe, & les Graces
Et mille autres diuins appas,
Qui vont touſiours deuant ſes pas.

Auec vn ſouſris qui ſe iouë
Dans les follettes de ſa iouë,
La Belle m’a tendu les mains :
M’a dit d’vne voix angelique,
Quite tous ces ſoins inhumains
Et cette humeur melancholique,
Tes iours de larmes ſont passez
Et tous tes vœux ſont exaucez.

Ô mon Astre, ô ma belle Reine
Daignez-vous conuertir ma peine
En vn contantement ſi doux ?
Vous m’honorez aſſez de croire
Que i’aime à ſoupirer pour vous,
Et que ie tiens à plus de gloire
De mourir deuant vos beaux yeux,
Que de viure auecque les Dieux.

Mes deuoirs ne vous touchoient guere
Quand vous craignez que le vulguaire
Parlast contre vostre beauté :
Alors moins ſage que vous n’este
Auiez vous bien la laſcheté
De craindre ce Monſtre à cent teſtes,
Qu’vn de vos regards ſeulement
Pourroit charmer en vn moment ?

Ie conſidere à ces paroles,
Ses yeux, mes deux cheres idoles
Qui s’abbaiſſent honteuſement :
Clymene me fait mille plaintes,
Et m’enſeigne inſenſiblement
Qu’il eſt temps de bannir nos craintes
Et de rappeller nos deſirs,
À la recolte des plaiſirs.

Le ſang au viſage luy monte,
De roſes l’amour & la honte
Couurent les beaux Lys de ſon teint ;
Ie preſſe celle de ſa bouche,
Et d’vne ardeur bruſlante atteint
Ie la faits tomber ſur ſa couche,
Où par mille plaiſirs charmez
Nous demeurons tous deux paſmez.

Mais comme mon bon-heur me noye,
Et que ie me fonds tout en ioye,
L’Aurore qui fond toute en pleurs,
Me ſurprenant ſur ces rapines
Deſcouure beaucoup moins de fleurs
Qu’elle ne me couuvre d’eſpines ;
Alors que le grand bruict du iour
M’eſveille, & trahiſt mon amour.

Le Soleil en venant de naistre
S’est introduit par ma feneſtre
Afin d’en chaſſer mon eſpoir,
Deſia ſa lumiere importune
Monte deſſus mon lict pour voir
Si i’ay quelque bonne fortune,
Et rid de voir qu’auec les bras
Ie la cherche en vain dans mes draps.

Que le ſort de l’homme eſt volage,
Il ne luy monstre bon viſage
Que pour le tromper à l’inſtant :
S’il ſouffre ce n’est point menſonge,
Mais s’il aduient qu’il ſoit contant
Il trouue que ce n’eſt qu’vn ſonge
Dont la veine felicité
Diſparoiſt deuant la clarté.